Le chamanisme, médecine de l’âme - 1
Au début de la médecine était le chamanisme. Le mot est d’origine sibérienne, mais il recouvre une réalité présente dans l’histoire médicale de tous les continents. De l’aborigène d’Australie à l’homme-médecine sioux, en passant par le kahuna hawaïen, le miko japonais ou le bombo tamang du Népal, chaque socio-culture a son chaman, personnage mystérieux et androgyne, à la croisée du prêtre et du médecin. On dit de la médecine qu’elle est un sacerdoce. En latin, ce mot veut dire « prêtre ». Tout comme le mot chaman, en langage toungouse, ou marabout, en langue arabe. Et il faut bien admettre que, de nos jours encore, la frontière entre religion et médecine reste indistincte : certains patients font du médecin leur confesseur, tandis que d'autres partent en pèlerinage trouver la guérison. Comment pourrait-il en être autrement, dès lors que l’entité humaine est faite d’un corps et d’un esprit qui interagissent en permanence, entre une naissance et une mort qui ne sont elles-mêmes que les deux faces d’une même vie ? |
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La médecine chamanique chinoise A l’instar des autres ethnomédecines, la médecine chinoise est d’origine chamanique. Son ouvrage de référence, le Huang Di Nei Jing (300 av. J.-C.), révèle que « dans la Chine ancienne, les médecins étaient des chamans (Wu Yi : médecins-sorciers). » Dans cet ouvrage, l’empereur Huang Di demande à son médecin Qi Bo : – « On dit que les anciens traitaient les malades en se bornant, par des invocations (Zhou Yu Ke), à déplacer l’essence et transformer l’énergie (Qi). Comment se fait-il qu’aujourd’hui on doive recourir aux médicaments contre les maladies internes et aux aiguilles contre les maladies externes, et souvent sans succès ? » – « Nos ancêtres vivaient parmi les animaux. Ils se protégeaient du froid par l’activité physique et de la chaleur en se mettant à l’ombre. Ils n’avaient ni attaches domestiques ni charges publiques. Dans cette ère de tranquillité les perversions (maladies exogènes) ne pouvaient s’enfoncer profondément ; les médicaments pour l’intérieur et les piqûres pour l’extérieur étaient sans nécessité ; les déplacements d’essence par invocations suffisaient. Il n’en est plus de même à présent car les soucis domestiques gâtent la vie intime et les travaux pénibles endommagent le corps ; et cela d’autant plus que, pêchant contre les impératifs saisonniers, on s’expose aux vents malfaisants qui déposent du matin au soir des atteintes par vide (Xu Xie : facteurs pathogènes générés par faiblesse interne – nous dirions aujourd’hui immunodéficience –), pénétrant jusqu’aux viscères et aux moelles après avoir lésé extérieurement les orifices et la peau. De telle sorte que les moindres maladies sont aggravées et les plus graves deviennent mortelles, sans que les invocations puissent y mettre un terme. » Ce texte ancien souligne le fait que les sociétés humaines qui vivaient de façon simple, en contact avec la nature, bien que ne disposant pas du confort moderne, n’avaient pas non plus toutes ses obligations, laissant aux individus le loisir de s’adapter, se protéger, fonctionner en symbiose avec l’environnement. L’éloignement de cette nature a entraîné une inadaptation progressive de l’homme à son milieu, et favorisé le développement de nouvelles maladies, rendues virulentes par son propre affaiblissement. Pour traiter ces maladies, une médecine de type chamanique, faisant essentiellement appel aux ressources de la nature et à celles de l’esprit, est devenue à son tour insuffisante. Ceci dit, le chamanisme semble connaître depuis quelques années un regain d’intérêt en Occident. Sans doute le doit-il à sa vision naturelle, holistique et spirituelle de l’être humain, qui apparaît d’une étonnante modernité, en phase avec un vingt-et-unième siècle décidé à rompre avec un matérialisme incapable de venir à bout des maladies qu’il a lui-même créées. La folie comme processus de guérison Quelle que soit la tradition à laquelle il appartient, la principale caractéristique du chaman est sa vision élargie de la réalité, son apparente familiarité avec un royaume échappant à la conscience éveillée ordinaire. Pour comprendre le chamanisme, il faut accepter le monde des morts et des esprits. Il faut admettre la notion de perception extra-sensorielle, d’état modifié de conscience, d’existence d’un « au-delà » des sens ordinaires que réfute la science matérialiste. Il faut réviser l’idée que l’on se fait de la sagesse et de la folie, et admettre que ce que l’on nomme chez nous schizophrénie ou hystérie, peut tout aussi justement être appelé transe ou possession dans d’autres contextes socioculturels, et qu’un chaman n’est autre qu’un « fou guéri ». Freud lui-même suggérait que l’on devrait « considérer les troubles psychotiques comme la dissolution d’un ego trop rigide, suivie d’une tentative de reconstruction, de renaissance à soi, qui, dans le cas du psychopathe, n’est jamais pleinement réussie ». Il écrit : « Le rôle d’une psychose, dont nous pensons qu’elle est un phénomène pathologique, est en réalité une tentative de guérison, un processus de reconstruction » . En apparence, rien ne distingue un Sadhu indien ou un sorcier Yaki, de certains illuminés enfermés dans nos hôpitaux psychiatriques. Si ce n’est que les premiers sont maîtres de leur folie, et pas les seconds. La différence est de taille, et la confusion dramatique. Aussi, avant d’enfermer tous les « rêveurs sacrés », devrions-nous essayer de redécouvrir comment ils fonctionnent, et ce qu’ils peuvent apporter à une société normopathe qui ne sait plus rêver. Le succès de séries télévisées comme X-files ou de films comme Le 6e sens, stigmatise à sa manière ce besoin confus d’une génération actuelle en mal d’initiation, et en quête de réponse à des questions qui ont toujours fait partie de l’homme. Le voyage de l’âme Pour les médecines chamaniques, l’être humain est constitué de plusieurs « corps » de différentes densités, chacun ayant sa propre réalité. En médecine chinoise, on distingue le corps physique Shen Di, le corps ethérique ou astral Po, le corps mental ou conscience Shen, et le corps de l’âme Hun. Bien qu’indépendants les uns des autres, ces différents corps, ou agrégats, ne sont pas séparés. Ils forment les entités de l’être composite que nous sommes, tout comme une bougie est à la fois cire, mèche, flamme, chaleur et lumière. Hormis le corps physique, les trois autres agrégats, conscience Shen, âme spirituelle Hun, âme physique Po peuvent tout aussi bien être décrits comme des « formes d’esprits ». Cependant, le terme « corps » leur donne une plus grande réalité. Bien que ces corps vibrent à un diapason différent, ils sont reliés par une même énergie, le Qi qui maintient l’ensemble en vie, et rend ces corps capables de s’influencer, se régler ou se dérégler mutuellement. La particularité du chamanisme est de prendre appui sur les corps-racines les moins manifestés, le Po et le Hun, pour agir sur le corps physique et la conscience ordinaire. Cela se fait généralement au moyen d’une transe, au cours de laquelle le corps et l’esprit ordinaires sont mis en veille, pour laisser les corps-racines s’exprimer. Selon les traditions, cette transe prend différents noms : voyage de l’âme, temps du rêve, quête de vision... En médecine chinoise, cette expérience se nomme Shi Hun (perte de l’âme), et correspond à une situation où le Hun se sépare temporairement des autres corps. Dans cette situation, le sujet est éveillé, mais sa conscience est sans contrôle. Cliniquement, cet état se manifeste par des signes de folie ou d’hystérie Dian Kuang. L’âme Hun est en effet la racine de la conscience Shen, et si le Hun s'échappe, les racines de la raison et des sentiments sont coupées. L'esprit peut alors divaguer, rencontrer d’autres niveaux de réalité, entrer dans le monde des esprits, s’imprégner de leurs conseils et de leurs pouvoirs. Il convient donc de réserver le terme de folie aux aspects définitifs de Shi Hun. Car de la même manière que le sommeil n'est pas le coma, le transe et l’état modifié de conscience ne sont pas la folie. Tout dépend de la possibilité pour l’âme de réintégrer ou non les autres corps à l’issue de son voyage. Un esprit peut en cacher un autre Le terme « esprit » utilisé dans les médecines chamaniques peut être sujet à diverses interprétations en terme de médecine chinoise. Il peut désigner : - Le Grand Esprit (litt. « Grand Mystère ») : Wakan Tanka des sioux, Xuan ou Ling des Chinois ; - L'esprit (ou pouvoir) des orients ou directions : sensible équivalent des Wu Xing et du Yin Yang dans la médecine chinoise (bien que ces derniers fassent initialement référence au pouvoir des planètes, du soleil et de la lune) ; - Les esprits qui « visitent » le chaman lors d'une transe : équivalents des Shen chinois (« esprits errants » n’ayant plus de support corporel) ; - L'esprit (ou pouvoir) des pierres, des animaux ou des plantes : corps vibratoires avec lesquels le Hun et le Po de l'homme peuvent communiquer lors des pratiques rituelles.
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