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Le sort du Mexique est toujours incertain

Écrit par Noé Chartier, Envoyé spécial au Mexique
15.08.2006
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  • Andres Manuel Lopez Obrador(攝影: / 大紀元)

MEXICO – Les gens s’entassent dans le Zocalo, la place centrale de la capitale mexicaine. Une mer de jaune marque l’œil, la couleur du Parti de la révolution démocratique (PRD). Affiches, banderoles et drapeaux se dressent ou flottent à profusion. L’intensité est palpable. Ils sont réunis pour entendre leur chef. «Voto por voto, casilla por casilla», scande la foule à l’unisson. Tel est le mot d’ordre pour le vaincu des élections présidentielles du 2 juillet dernier et ses partisans. Ils demandent de recompter toutes les voix, «vote par vote, bureau de scrutin par bureau de scrutin», alléguant une fraude généralisée. Ainsi, se poursuit l’incertitude entourant la question politique au Mexique.

La coalition de gauche, menée par le populiste Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO), a perdu l’élection par 0,5 % des voix au profit du conservateur Felipe Calderon, du Parti de l’action nationale (PAN, le parti de l’actuel président Vicente Fox). Avec un mince écart les séparant, tous deux se sont proclamés nouveau président du pays.

Le groupe de Lopez Obrador a entrepris des actions sur deux fronts pour conquérir ce qu’il croit être sien : le pouvoir. Par la voie légale, la Coalition pour le bien de tous, que mène AMLO, a présenté au tribunal électoral des cas de non-conformité entourant certains bureaux de vote. Selon la loi mexicaine, des enquêtes peuvent être ouvertes seulement pour les endroits spécifiques où il y aurait eu des irrégularités. C’est ainsi que plutôt que d’ordonner le dépouillement de tous les votes, le tribunal électoral a ordonné de recompter 9,07 % du total des bureaux de scrutin.

La fraude?

Au moment où ces lignes étaient écrites, le nouveau dépouillement des voix n’était pas terminé. Il laisse entrevoir qu’effectivement, il y a certaines irrégularités, et selon l’orientation de la presse mexicaine, elles sont petites ou graves.

La revue Proceso, qui a manifestement une dent contre le PAN, dans son édition du 12 août, titrait Manipulation confirmée. Elle affirme qu’il y avait une «stratégie systématique pour manipuler les votes.»

Le quotidien de droite Reforma, de son côté, titrait le 13 août : Le nouveau dépouillement agonise avec peu de variations.

L’issue de cette procédure risque d’avoir peu d’impact sur les événements. D’une part, la Coalition exige le dépouillement à nouveau de tous les votes et, d’autre part, elle a engagé un mouvement qui dépasse largement le cadre de la simple élection, insistant sur une réforme des institutions. C’est ce qui rend la situation politique triplement compliquée.

À propos de la décision émise par le tribunal de dépouiller à nouveau une partie des votes, Lopez Obrador a écrit dans une lettre envoyée au New York Times : «Ceci est incompréhensible, car si les altérations de bulletins de vote étaient courantes, le résultat pourrait changer avec une poignée de votes par station.» Il suggère la collusion du tribunal avec le pouvoir politique, argumentant cette tendance «traditionnelle» des institutions. «Sans recompter les votes clairement comme de l’eau de roche, le Mexique aura un président qui n’a pas l’autorité morale pour gouverner.»

Cet appel à l’aide d’AMLO à un quotidien américain en a surpris plusieurs, car il s’agit d’un changement de stratégie, cette dernière étant tournée vers l’intérieur depuis le début. Il appelle maintenant la communauté internationale à appuyer sa lutte.

Le facteur majeur pouvant laisser croire qu’une fraude massive a eu lieu est la réputation qu’a le Mexique d’être un pays corrompu à l’extrême. En réalité, le Mexique est doté d’un système électoral beaucoup plus sophistiqué et perfectionné que celui du Canada. Les électeurs possèdent une carte d’identification comprenant une photo, tous les renseignements personnels et même une empreinte digitale. Les bureaux de vote possèdent eux aussi toutes les informations des électeurs se retrouvant sur la carte d’identification. Les personnes travaillant lors des élections sont des citoyens ayant reçu une formation pour bien s’acquitter de leurs tâches.

Lopez Obrador, dans ses discours quotidiens au Zocalo, dit qu’il est «ridicule que certains de nos intellectuels disent que l’IFE (Institut fédéral électoral, responsable des élections) fait bien son travail et que les élections ont été propres». Outre les allégations de fraude émises par son clan, il déplore la «guerre sale» menée contre lui. Les publicitaires de l’équipe Calderon, lors de la campagne, martelaient qu’AMLO était un «danger pour la nation», le comparant à Hugo Chavez du Venezuela. L’alignement bien évident des grands médias à son encontre est également un point mentionné pour haranguer les foules et dénoncer le complot contre la gauche.

Il faut noter que la presse ne vit que pour lui ces derniers jours, ne laissant à Felipe Calderon qu’une place infime dans l’actualité.

Lopez Obrador antidémocratique?

Ayant rejeté la légitimité des institutions, ce qui semble signifier le refus d’accepter les résultats défavorables à son égard sortis des urnes, Lopez Obrador et sa stratégie sèment la confusion. Il demande de recompter toutes les voix, mais ne semble pas en mesure de reconnaître la défaite, même si les voix étaient recomptées.

Le magazine The Economist, dans un éditorial, tape sur Lopez Obrador avec virulence. Abus égoïste du «pouvoir du peuple» est le titre de la pièce, avec comme sous-titre : Les tactiques postélectorales de Lopez Obradormenacent de miner la jeune démocratie mexicaine . Selon l’argument du magazine, des observateurs de l’Union européenne et des États-Unis ont jugé l’élection transparente; les élections sont supervisées par des organes impartiaux (l’IFE et le tribunal électoral) et en ne lâchant pas le morceau, il risque de gâcher sa carrière politique. AMLO dit renforcer la démocratie avec le pouvoir de la rue, tandis que The Economist dit qu'il la sape.

Des chercheurs du séminaire Perspective démocratique de l’Institut d’investigations sociales (IIS) de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM) reconnaissent certains traits antidémocratiques à AMLO. Selon le Dr Jorge Cadena, Lopez Obrador agit selon certains principes marxistes : «AMLO se dit : “Je suis pour les pauvres, les pauvres sont la majorité, donc j’ai gagné”. Il aime aussi citer Benito Juarez [président mexicain du 19e siècle très respecté] en disant que “le triomphe de la droite est une impossibilité morale”. Et pourquoi la droite ne pourrait-elle pas triompher? C’est un commentaire antidémocratique.»

Résistance civile

Selon ces notions de «ne pas avoir pu perdre» en raison d’une fraude généralisée, l’autre front sur lequel s’est engagée la Coalition est celui de la «résistance civile pacifique». À présent, c’est ce qui tourmente et divise le plus la capitale. Chaque jour, les partisans de la Coalition organisent des activités visant à déstabiliser l’ordre. Jusqu’à maintenant, ils ont tenté de bloquer l’accès à diverses institutions, ils ont pris possession des postes de péage sur les autoroutes autour de la ville pendant une journée en laissant passer les automobilistes gratuitement, etc.

Certains commentent que c’est une situation terrible et inacceptable, mais les autres répondent que c’est plus acceptable que les millions de gens vivant quotidiennement dans la misère dans le pays.

Mises à part ces actions éphémères, ce qui soulève le plus de controverse est le barrage de l’avenue Reforma, artère principale de la capitale. Des campements de contestataires, partisans de Lopez Obrador, sont érigés tout le long de l’avenue depuis le 31 juillet et vont jusqu’au Zocalo, où se trouvent les sièges des gouvernements local et fédéral. Une guerre médiatique a éclaté au sujet de cette occupation.

Des commentateurs à la télévision parlent de «chaos», de «prise en otage de la ville», et certains vont même jusqu’à parler d’«insurrection». Le gouverneur de la ville de Mexico, Alejandro Encinas, est sous une pression immense venant des opposants de la Coalition pour qu’un ménage soit fait, que les campements soient démontés. Mais M. Encinas est du PRD, tout comme l’administration de la ville, ce qui garantit aux contestataires un espace libre de répression.

«Contrairement à ce que la presse dit, ce n’est pas le chaos, c’est organisé», commente un observateur de l’IIS. En effet, pour permettre à 12 000 personnes (chiffres du gouvernement local) de vivre en permanence dans la rue, une certaine organisation est nécessaire.

Tout d’abord, chaque État mexicain possède son campement. Il y a donc le camp «Guerrero», le camp «Jalisco», le camp «Michoacan», ainsi de suite. Les gens venant des différents États pour protester occupent le campement correspondant à leur provenance. Entre eux, certains font des rotations de quelques jours, leur permettant de poursuivre leurs emplois.

Le camp «Oaxaca», installé sur le Zocalo tout juste à côté de la scène d’où sont prononcés les discours de Lopez Obrador, compte exactement 320 personnes. Tout le Zocalo, sauf une partie devant la scène pour permettre aux gens de se regrouper, est recouvert de grandes tentes. Sous les tentes, des lits de fortune sont alignés. Ceux qui sont un peu plus chanceux ont des lits de camp et les mieux installés possèdent des tentes de camping, garantissant un peu plus d’intimité.

On trouve avec surprise des gens assis autour de téléviseurs et d’autres en train de taper à l’ordinateur portable. C’est le cas d’Ernesto Reyes, un journaliste. Tout en étant à six heures de distance de son domicile et vivant sous les tentes dans ce mouvement d’occupation, il peut écrire ses éditoriaux au beau milieu des événements et les faire parvenir à son quotidien Noticias de Oaxaca. Il nous apprend que le camp vit de dons extérieurs, car nourrir 320 bouches, trois fois par jour, n’est pas une mince tâche.

Mais ce ne sont pas ce genre d’informations que les contestataires aiment transmettre, le «human interest». A priori, méfiants devant un journaliste étranger, ils s’ouvrent peu à peu lorsqu’on touche au sujet qu’ils considèrent d’une importance beaucoup plus grande. Ces gens de Oaxaca ont chez eux un autre conflit non réglé : la grève des professeurs.

Severina Martinez Guerra garde l’entrée du camp «Oaxaca», mais son vrai travail est l’enseignement. Elle fait partie du mouvement de grève des professeurs et de celui pour la résolution de l’énigme présidentielle. Elle dit que l’occupation durera jusqu’à ce qu’il y ait une solution. «Ce qui nous fait rester est le courage et l’indignation. C’est une lutte juste.» Cette autochtone déplore le manque de ressources pour enseigner, de même que la situation sociale et politique en général dans le pays.

La violence?

Carlos Larranaga Rito ne fait pas partie du mouvement et n’habite pas la capitale. Il est venu au Zocalo à partir de l’État de Mexico voisin pour voir de ses propres yeux comment évolue la situation. Il dit que ce que renvoie la télévision est trompeur. Il s’inquiète sincèrement du risque de déchaînement de la violence. «C’est le sang du peuple qui coulera, pas celui de Lopez Obrador», s’indigne-t-il en regrettant que les partisans du leader le suivent quasi aveuglément.

Sergio Sosa, humble garde de sécurité aussi sur les lieux, voit l’actuel combat politique comme une lutte entre riches et pauvres, les pauvres étant bien entendu représentés par AMLO. Mais au sujet de la violence qui pourrait survenir, il dit : «J’aime mieux vivre avec peu qu’être mort.»

On peut ressentir qu’une grande partie de la population ne peut s’imaginer vivre six autres années sous l’égide du PAN. C’est ce qui donne force au mouvement. Les disparités entre riches et pauvres sont criantes et la ségrégation officieuse est toujours d’office. Mais on voit aussi que, parmi les partisans de la réforme, tous ne sont pas en faveur de Lopez Obrador, le jugeant démagogique et provoquant un effet quasi messianique sur ceux qui le suivent.

Perspectives

Le 6 septembre 2006 est la date fatidique où le tribunal électoral devra déterminer qui est président du Mexique finalement, ou si l’élection est annulée. Entre-temps, les analystes discutent de ce qui pourrait bien survenir d’ici là et aussi par la suite. Le mouvement mené par AMLO cherche à transformer l’État mexicain et pas seulement à recompter des votes. C’est pourquoi certains croient que le mouvement perdurera au-delà du 6 septembre.

Au sujet des organes électoraux et de leur décision du 6 septembre, AMLO a dit dans un discours au Chiapas le 12 août : «Ce sont les dernières instances, mais c’est aussi la dernière opportunité qu’à le pouvoir de réformer et de transformer les institutions. Et s’ils ne le font pas, le peuple du Mexique s’en chargera.»

Dr Julio Labastida, de l’IIS, note que Lopez Obrador a capitalisé sur le sentiment d’insatisfaction sociale plutôt que de l’avoir provoqué. Ceci laisse entendre que même si le mouvement s’estompe, c’est un large segment de la société qui éprouve du ressentiment envers la présente manière de gouverner le pays. La question que plusieurs se posent présentement concerne le degré possible de radicalisation du mouvement.

Dr Fernando Castanos, de l’IIS également, craint réellement que se produise une catastrophe si le 16 septembre, jour du traditionnel défilé présidentiel aboutissant au Zocalo, les contestataires bloquent le passage à la procession. «S’il n’y a pas de défilé, le PRD perd tout», croit-il.

La semaine prochaine sera publié, si possible, un reportage en provenance de la ville de Oaxaca, où le gouvernement ne peut diriger convenablement et où les gens se font tirer dessus.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.