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Chamanisme, la médecine de l’âme 2

Écrit par Patrick Shan praticien en médecine traditionnelle, La Grande Époque
17.08.2006
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N’est pas chaman qui veut

Les personnes appelées à devenir

chamans sont souvent marquées d’une singularité. Il peut s’agir de

personnes atteintes d’une forme de cécité, la privation des sens

ordinaires développant naturellement les rêves et visions du dedans.

Parfois, il s’agit d’êtres à la sexualité ambivalente, celle-ci

faisant d’eux des intermédiaires particuliers entre le Ciel et la

Terre, les forces du Yin et du Yang. Il peut encore s’agir de personnes

« rescapées » d’une maladie ou d’un accident grave, touchées par la

foudre ou ayant, pour une raison ou une autre, côtoyé la mort de près,

et connu ce qu’on nomme aujourd’hui une N.D.E. (Near Death Experience).

Il semble que cette première et traumatisante expérience leur donne

ensuite la capacité de dédoubler plus facilement leurs différents

corps. D’une manière générale, et comme l’exprime un chaman inuit : «

Les privations et la souffrance sont souvent les seules choses qui

peuvent ouvrir l’esprit de l’homme à ce qui reste caché aux yeux des

autres. »

  • Un Chamane en Corée du Sud(Stringer: CHOI JAE-KU / 2003 AFP)

 

Pour cultiver et développer leurs visions, les

chamans ont recours à des pratiques et des rituels, qui visent à

détacher le Hun en augmentant ses vibrations par rapport aux autres

corps. Ces rituels commencent généralement par une importante période

de retraite et de jeûne, pendant laquelle le corps physique

s’affaiblit. Le « décollage du Hun » peut alors s’accomplir,

généralement à l’aide de sons et de rythmes vibratoires créés par

divers instruments, et destinés à créer un écho : crécelles, tambours,

didjeridoo, conques, chants, etc. Ces instruments sont considérés comme

de véritables véhicules pour le corps de l’âme : certains chamans

parlent de leur tambour comme d’un cheval. Ils sont généralement

utilisés en conjonction avec des danses cadencées et l’inhalation de la

fumée d’herbes sacrées, afin d’induire les conditions d’une transe

profonde, qui constitue ce qu’on appelle le voyage, le temps du rêve ou

le samadhi pendant lequel le chaman connaît l’expansion de son champ de

conscience.

La transe chamanique n’est pas un jeu, mais une

expérience éprouvante, à visée exclusivement spirituelle ou

thérapeutique. Dans les cultures traditionnelles, on n’utilise pas le

rituel et la substance sacrée n'importe où, n'importe quand, dans

n'importe quel contexte. On consomme le produit selon un code culturel

strict et on l'utilise dans un but précis. C’est hélas ce qu’ont oublié

les apprentis sorciers d’aujourd’hui, qui éprouvent toujours le besoin

de faire vibrer leurs différents corps pour connaître le sentiment

extatique d’une conscience décuplée, mais ont perdu le mode d’emploi.

Faute d’une tradition à laquelle se raccrocher, ils ont troqué l’usage

chamanique des tambours, des plantes et des boissons sacrées pour la

discothèque, la drogue et l’alcool. Mauvais trip, rebaptisé delirium,

dont ils ne rapportent guère que quelques éléphants roses et autres

araignées géantes. Et triste retour, où la dépression et la dépendance

les attendent. En perdant ses traditions, l’occident a fait du rêveur

sacré qui sommeille en chacun de nous un « singe en hiver », dont les

voyages ne se font plus au nom de la quête, mais de la fuite et de

l’oubli.

Parler aux pierres et aux animaux

Les

médecines chamaniques ont une approche animiste (du latin anima, âme)

du monde : elles se fondent sur le fait que l’homme partage ses

différents corps/entités avec les autres espèces vivantes : Le monde

minéral avec le corps physique, le monde végétal avec le corps

ethérique,

le monde animal avec le corps de l’âme et le monde humain avec le corps mental.

Au

sommet du spectre des espèces incarnées, l’être humain est

théoriquement capable de se mettre au diapason des autres corps

vibratoires. C’est ce que fait le chaman, lorsqu’il fait vibrer l’un de

ses corps pour entrer en communication avec l’esprit des autres formes

de vie (l’étymologie du mot animal vient également du latin anima).

Cette communication ne se fait pas dans un langage semblable à celui du

corps mental, car chaque corps a son langage, que les mots ne peuvent

forcément décrire. Le corps ethérique, par exemple, a un langage fait

de sensations, de réactions instinctives, de frissons indicibles. Celui

de l’âme est davantage fait d’images sensorielles (visuelles,

éventuellement olfactives ou auditives). Ce sont ces langages, sans

doute, qui ont permis à la médecine chinoise primitive d’élaborer sa

théorie des méridiens et des points d’acupuncture, ainsi que poser les

bases de son étonnante pharmacopée. Certaines formules classiques ont

en effet été composées en rêve. Et de nos jours encore, les

pharmacologues traditionnels disent que pour vraiment connaître les

propriétés d’une plante, il faut dormir avec. La médecine chamanique

est d'essence spirituelle : lorsqu'elle soigne avec les plantes, c'est

l'esprit de la plante qui est censé guérir le malade. Même les minéraux

sont des « êtres-pierres », dont le corps est chargé d'un pouvoir. En

pharmacopée chinoise, on définit ainsi les substances médicinales par

un tempérament, un caractère (Xing), qui leur confère une tout autre

dimension que ce que la science ramène à de simples propriétés

pharmaco-chimiques.

La guérison tombée du Ciel

Le

chaman est un homme de foi, qui considère que l'homme est avant toute

chose un produit du Grand Mystère (Ling), devant son souffle au ciel,

son sang à la terre, et sa destinée aux étoiles. L’être humain n’est

pas une entité autonome, mais le jouet de forces qui le dépassent.

Partant de cette vision, le médecin n'a pas par lui-même de pouvoirs de

guérison : ceux-ci ne peuvent venir que des forces naturelles qui se

déversent en lui, ou se manifestent à travers lui. L’idéogramme Ling

représente des personnages qui chantent pour appeler la pluie. Il

équivaut sensiblement à ce que les sioux nomment Wakan Tanka, Grand

Esprit, ou Grand Mystère, qui ordonne le monde et préside aux destinées

humaines. Le terme Ling Qi (force du Ling) a d’ailleurs donné naissance

au Rei Ki japonais, technique de soins d’inspiration chamanique, mais

hélas dénaturée par le mercantilisme : rappelons que, par définition,

un don ne se vend pas...

Lors de son « rêve éveillé », le chaman

entre en communication avec le Ling, qui selon les circonstances, peut

lui offrir une vision prémonitoire, une crise salvatrice, l’entrée en

communication avec les forces naturelles ou esprits adéquats, qui lui

donneront un conseil ou un pouvoir de guérison. Intercesseur entre le

Ciel et l’Homme, le chaman utilise son corps comme un poste de radio :

il se met au diapason d’une certaine fréquence, captant et exprimant

temporairement un programme dont il n’est pas lui-même responsable ni

conscient. L'homme-médecine est avant tout un homme de croyance, qui

s'en remet totalement à la nature pour le guider dans ses actes. Ce

sont les esprits qui lui disent quels remèdes utiliser, ce sont les

esprits qui lui donnent son don de guérison, ce sont les esprits qui

emportent le malade s'il doit rentrer dans la Grande Maison. Aux

antipodes de notre civilisation, pour la tradition chamanique, la

nature reste le maître, et le médecin n'est que son serviteur.

La

médecine et la psychologie occidentales interviennent sur les aspects

manifestés de l’être humain, que sont le corps physique et le corps

mental. L’approche chamanique prend le parti inverse : elle considère

que ce sont surtout les désordres du Hun et du Po qui rendent le corps

ou l’esprit malade, et agit d’abord sur le corps de l’âme et le corps

ethérique pour soigner les malades.

Kenneth Meadows écrit : «

C'est le Moi du corps (Po) qui accomplit toute guérison ; chirurgie,

drogues, remèdes, traitements, thérapies ne sont que des adjuvants.

C'est pourquoi un chaman ne se revendique pas guérisseur : il sait que

la guérison véritable a lieu à l'intérieur de celui qui est soigné.

Tout ce qu'une autre personne peut faire, c'est assister à ce processus

interne. » L’intérêt du rite chamanique, comme par exemple la sweat

lodge des indiens d’Amérique, est qu’il tient à la fois de l’outil de

guérison physique, de l’instrument de psychothérapie et de la cérémonie

religieuse. Il est considéré par les sociétés tribales comme le remède

universel aux différents maux dont l’homme peut souffrir, qu’il

s’agisse de maux de l’âme ou du corps. Cette thérapie par les «

corps-racines » a longtemps fait partie intégrante de la médecine

chinoise antique, au même titre que d’autres branches thérapeutiques

comme l’acupuncture ou la pharmacopée, afin de traiter l’ensemble des

agrégats formant l’être humain. Même s’il vient du fond des âges, le

chamanisme n’a pas dit son dernier mot. Si elle veut aider l’homme à

retrouver ses racines, la médecine de demain devra sans doute

réapprendre à réconcilier le corps et l'esprit, l'homme et la nature,

la science et la foi. L’approche chamanique pourrait l’y aider. N’en

déplaise à nos sorciers en blouse blanche et à leurs gri-gri

électroniques.

La médecine incantatoire, faite essentiellement

de concentration et de prière, ouvre la porte à des forces dépassant

l’homme. En mettant le chaman en contact avec sa nature-racine (Ben

Xing), il arrive qu’elle fasse naître en lui des pouvoirs sur-naturels

(Ling Xing), tels que la clairvoyance (Tian Yan Tong : « les yeux qui

communiquent avec le ciel »), la clairaudience (Chao Ting Jue : «

audition surnaturelle »), la télépathie (Chuan Xin Shu : « perception

surnaturelle »), la connaissance du passé ou de l'avenir, etc. Rien

d’étonnant à ce que ces « Jeanne d’Arc de la médecine » aient le plus

grand mal à faire admettre leur art auprès de la communauté

scientifique ! Quant aux bénéficiaires des cérémonies – qui participent

généralement activement à leur préparation et leur déroulement – ils

font parfois l’objet de guérisons miraculeuses, bien que le terme soit

théoriquement réservé aux seules guérisons obtenues par les sorciers de

la religion officielle.

La méditation comme “ garde-fou ”

Aussi

fascinant soit-il, le chamanisme reste une voie au caractère

exceptionnel, nécessitant une véritable initiation. Piéger les rêves et

attraper les âmes est un métier à risque, car la sagesse et la folie

sont sœurs jumelles. Aussi, plutôt que de faire sortir l’âme dans la

conscience (extase), au risque qu’elle ne réintègre pas sa demeure, les

traditions orientales ont-elles préféré développer une autre voie, à

priori inverse : faire rentrer la conscience dans l’âme (enstase).

C’est l’objet des pratiques introspectives, de la méditation, qui

permet une meilleure connaissance de soi en même temps qu'une

découverte de la réalité intime des choses. Les deux pratiques se

rejoignent, car les chamans peuvent entrer en transe méditative, tandis

que les yogis peuvent expérimenter l’extase. Moins spectaculaire,

l'expérience méditative garde pour elle l’avantage d’être moins

dangereuse. Elle n’en permet pas moins la réalisation de l’être humain

dans ses différentes dimensions, par la réunion de se différents corps.

Ce qu’elle révèle en outre, c’est qu’aucun de ces corps ou de ces

esprits n’est finalement réel, et qu’un Moi vide d’existence propre ne

peut être fou ni malade...

1 S. Nicholson, Anthologie du chamanisme, Le Mail, 1987, p.299

2 K. Meadows, L’envol de l’Aigle, Ed. Ramsay, 1996, p.207

 

 

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