Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Oaxaca, là où la police est fantôme

Écrit par Noé Chartier, Envoyé spécial au Mexique
22.08.2006
| A-/A+

  • Oaxaca, au Mexique(攝影: / 大紀元)

OAXACA – Le sac est fouillé avant de monter dans l’autobus. Puis, avant le départ, se présente à bord une garde d’une quelconque agence de sécurité privée. «Mesdames et Messieurs, nous allons maintenant vous filmer pour des raisons de sécurité», dit-elle. Elle sort de sa poche une minicaméra vidéo numérique et balaie l’intérieur de l’autobus de l’avant à l’arrière.

Après quelques minutes de route, à la sortie de la ville, un poste de contrôle : deux hommes montent à bord. Ils sont habillés en civil, mais demandent à voir les pièces d’identité des passagers. Le pistolet de l’un d’eux est apparent sous son coton ouaté rouge. Pourquoi un tel dispositif de sécurité? Il n’y a pas de terroristes ici, seulement des professeurs en grève. Bienvenue à Oaxaca, ville de l’État mexicain du même nom.

François, de Sherbrooke, s’est fait détrousser avec un couteau à la gorge sur une plage du sud. «Vous n’allez pas attraper le voleur?», a-t-il demandé aux policiers. «Non, tous les effectifs sont dans la ville de Oaxaca», ont-ils répondu.

C’est étrange, après une journée passée dans la ville, pas la moindre ombre d’un homme en uniforme. Les forces de l’ordre, jadis omniprésentes et imposantes avec leurs mitraillettes et leurs shotguns, sont invisibles.

Quand le chat est parti, les souris dansent. Le centre historique, avec ses édifices coloniaux et ses maisons aux couleurs tendres, est défiguré. Les rues menant au centre sont fermées, seuls passent les piétons, comme dans un entonnoir.

Il n’y a pas un mur sans graffiti, des banderoles de toutes sortes sont accrochées ici et là, les grands hôtels ont fermé leurs portes et sont vandalisés et le siège du gouvernement de l’État n’est plus occupé, exhibant les plaies de la haine que lui portent les gens : fenêtres aux vitres cassées, slogans accusateurs peints sur les murs. Mais où sont donc les policiers?

Bienvenue sur le site d’un conflit qui pourrit depuis trois mois. Et où sont les policiers? «Maintenant, ils sont tous en civil», explique Jose Rios Nolasco, représentant de la Section 22 du syndicat de professeurs. «Vendredi [le 11 août], nous en avons attrapé deux. Ils ont confessé qu’ils étaient envoyés par le gouvernement. Ils ont essayé d’assassiner un dirigeant [du mouvement de grève], mais ils ont échoué.»

Tout a commencé par la traditionnelle grève annuelle des professeurs. Ces derniers présentaient dix-sept revendications au gouvernement, incluant des augmentations salariales, des installations salubres pour enseigner, du matériel, des uniformes scolaires, des déjeuners pour les écoliers, etc.

Se butant à un gouvernement intransigeant, les maîtres d’école ont déclaré, le 22 mai dernier, une occupation indéfinie du centre historique de la ville de Oaxaca, s’étendant sur 56 coins de rue.

Le délogement du 14 juin

Tout a basculé le 14 juin, quand la police de l’État est venue aux petites heures du matin déloger les grévistes.

«Les gens dormaient. Il y avait des sentinelles, mais ils [les policiers] nous ont surpris. Il y avait des rumeurs que cela arriverait… Ils sont rentrés avec des armes. Ils lançaient des gaz lacrymogènes de l’hélicoptère», raconte Jose Rios Nolasco.

Des combats urbains ont ensuite éclaté, durant cinq heures au total, jusqu’à ce que le terrain perdu soit repris par les grévistes. «Les étudiants sont venus nous renforcer», commente un professeur indigène mixteco en grève.

L’impact de cette journée a été énorme. La population qui jusqu’alors pouvait être hostile aux grévistes est devenue favorable à leur cause, raconte les deux professeurs. Des gens seraient venus de différentes villes pour apporter un appui surtout matériel.

Les preuves que la police a utilisé une force extrême abondent. D’abord, il y a eu plusieurs blessés, même des morts. En se promenant sur la place centrale, au cœur du piquet de grève, on trouve des expositions de photos montrant des scènes de la bataille et de ses après coups. Il y a même des vidéos en vente à deux dollars montrant l’évolution du conflit, avec les mensonges enregistrés de celui dont tous ici veulent la tête : le gouverneur de l’État, Ulises Ruiz Ortiz, du Parti de la révolution institutionnalisée (PRI).

«La police n’était pas armé», affirme le gouverneur. Les images sont claires : la police était armée jusqu’aux dents. «Il n’y a pas eu d’affrontements», enchaîne-t-il. Les affrontements étaient de réelles batailles épiques, d’une violence déconcertante.

C’est ainsi que les murs de la ville sont tatoués de «Ulises assassin», «Dehors Ruiz Ortiz», et qu’on ne voit pas de policiers en uniforme.

Sortir Ulises

À présent, le mouvement de contestation s’est élargi. Aux professeurs se sont greffés différents groupes avec différentes revendications, mais ayant en commun le désir d’expulser du pouvoir Ruiz Ortiz. On y retrouve, entre autres, des organisations indigènes, communautaires, syndicales, des groupes communistes qui laissent flotter des drapeaux à l’effigie de Lénine et de Staline.

Le mouvement est mené par l’Assemblée populaire du peuple de Oaxaca (APPO), qui compte 383 organisations ayant chacune un représentant. Fonctionnant démocratiquement, «le parti communiste n’est pas dans l’APPO», précise Jose Rios Nolasco.

Les négociations sont au point mort avec l’État de Oaxaca. L’APPO contrôle les édifices du pouvoir exécutif, judiciaire, législatif, des procurateurs et de la finance. Pour faire de plus amples pressions, elle fait blocus régulièrement devant les entreprises multinationales comme Wal-Mart, McDonald’s et Coca-Cola. Elle essaie, en résumé, de créer un climat ingouvernable forçant Ulises Ruiz Ortiz à prendre la porte.

Le gouvernement étatique répond de son côté par des tactiques de séquestration et de détention des dirigeants du mouvement, et même par la torture et les assassinats. Le plus important quotidien de la région, Noticias, mentionne l’arrivée dans la partie des paramilitaires, travaillant de pair avec la police déguisée en civil. Dans un éditorial du 16 août, le journal croit au retour de la «guerre sale», se référant aux querelles violentes que se livraient «révolutionnaires» et policiers dans les années 70 et 80 partout en Amérique latine.

«À Oaxaca, la guerre sale qui a ensanglanté notre pays est de retour. Il est urgent d’y mettre fin. Pour cela, il n’y a qu’une solution : le départ d’Ulises Ruiz [Ortiz]», écrit le quotidien.

En attendant le dénouement des présidentielles mexicaines, les contestataires craignent que la victoire de Felipe Calderon (Parti de l’action nationale – PAN) annonce l’envoi de la Police fédérale préventive (PFP) pour réprimer leur mouvement. Le PAN ne bénéficiant pas d’une majorité à la chambre au niveau fédéral serait en train de négocier une alliance avec le PRI, parti de Ruiz Ortiz, pour former une coalition.

Répercussions économiques

Les commerçants sont grandement affectés par le conflit. Ils ont récemment demandé à l’actuel président, Vicente Fox, de déclarer Oaxaca «zone de désastre économique». Ils disent avoir accumulé près de 21 millions de dollars en pertes depuis le début de l’occupation du centre historique.

Les employées de la bijouterie Tere, située à l’intérieur des barricades, confirment de grandes pertes. «Il y a vraiment moins de touristes», assurent-elles. Avec l’absence de policiers officiels dans la ville, la nature «de luxe» de leur commerce le rend d’autant plus vulnérable. «Ça nous affecte tous, il n’y a pas de sécurité. Nous fermons plus tôt, certains jours à la mi-journée. Mais nous savons qu’Ulises ment. Alors…»

 

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.