Massacre au Sri Lanka éclipsé

Écrit par Marc Gadjro, La Grande Époque
23.08.2006

  • Les troupes sri lankaises débarquent dans la ville de Muttur(Staff: AMAL JAYASINGHE / 2006 AFP)

Éclipsée par les événements du Proche et du Moyen-Orient, la guerre ouverte entre le gouvernement sri lankais et les Tigres tamouls se rappelle au monde par l'escalade des attaques visant les civils.

«En cas de violation des Conventions de Genève, la Communauté internationale toute entière a le devoir, je dis bien le devoir, de les dénoncer», déclare cette semaine Louise Harbour dans une revue géopolitique américaine. La haut-commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme se dit en effet furieuse de l’inertie des gouvernements face aux conséquences humanitaires de la sanglante crise au Proche-Orient. L'indignation qui vaut pour le drame du Liban vaut-elle aussi pour la guerre civile, beaucoup moins médiatique mais tout aussi cruelle, qui déchire le Sri Lanka depuis 1983?

Silence et impuissance

Le lundi 14 août dernier, il a fallu le bombardement d'un orphelinat par l'aviation gouvernementale, provoquant la mort de 61 lycéennes, selon l'organisation des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), pour qu’une timide indignation internationale se fasse entendre, notamment à Ottawa et que le secrétaire général des Nations Unies appelle les parties au conflit à respecter le droit international humanitaire.

Le 6 août, une semaine avant la déclaration onusienne, on retrouvait pourtant déjà dans les bureaux d'Action contre la faim, à Muttur, une ville de la côte est du Sri Lanka, les corps sans vie de dix-sept employés de cette ONG française, tués d'une balle dans la tête. Une violation flagrante des conventions censées protéger les populations civiles et surtout les organisations qui leur portent secours. L'armée sri lankaise et les rebelles tamouls se rejettent la responsabilité du massacre. Les familles des victimes, en majorité tamoules, en font porter la responsabilité aux forces gouvernementales.

Rebelles et gouvernement se renvoient la balle

Les rebelles tamouls ont aussi accusé l'aviation sri lankaise d'avoir bombardé l’orphelinat Senchcholai de Vallipunam dans le nord-est de l'île, tuant les 61 lycéennes et en blessant 150 autres, toutes âgées de 15 à 18 ans. Les autorités de Colombo, capitale du Sri Lanka, n'ont pas démenti. «C'est un mensonge de dire que les écoliers étaient visés», a relativisé toutefois un porte-parole du gouvernement, cité par l'Agence France-Presse (AFP). «L'aviation a bombardé un centre d'entraînement des LTTE. Nous ne savons pas s'ils ont déplacé là-bas des enfants soldats.» Le gouvernement a fermé toutes les écoles, par crainte de représailles des LTTE.

Le Sri Lanka vient de connaître la pire semaine depuis la trêve de 2002. Les combats ont fait plus de 150 morts du côté rebelle et 36 dans les rangs de l'armée. Un attentat visant apparemment l'ambassadeur du Pakistan à Colombo a fait sept morts lundi le 14 août. Un haut responsable du processus de paix au Sri Lanka, appartenant à la minorité tamoule, a été abattu par des inconnus le samedi 19 août.

Les ONG prises au piège

Depuis une semaine, les organisations humanitaires notamment canadiennes qui oeuvrent dans le pays depuis le tsunami de janvier 2005, bouleversées et inquiètes pour la poursuite de leur aide, attendaient donc que les institutions internationales expriment la même indignation que celle manifestée au sujet de la crise au Liban. Les organismes suisses particulièrement, parmi les plus impliqués, réclament de leur gouvernement que des explications soient exigées de la part du gouvernement de Colombo sur le meurtre des humanitaires. «Si Berne, comme dépositaire des Conventions, ne réagit pas, alors cela veut dire que dans toutes les guerres on pourra impunément tirer sur ceux qui portent secours. Ici, nous avons le sentiment qu'aussi bien le gouvernement que les Tigres cherchent à se débarrasser des témoins gênants et à les faire fuir», exprime sur place un volontaire d’Oxfam.

Car les ONG constatent un net recul du respect des règles humanitaires des deux côtés. Très présentes au Sri Lanka, les ONG suisses ont été contraintes de multiplier les règles de sécurité, voire de quitter les zones les plus risquées. Helvetas a dû interrompre plusieurs jours ses projets situés dans la zone du district de Batticaloa, contrôlée par les groupes tamouls. La Croix-Rouge suisse, qui développe un programme de reconstruction (écoles, habitations, dispensaires de santé) dans la zone affectée par le tsunami et dispose sur place de onze collaborateurs expatriés, a retiré de Trincomalee, la région la plus dangereuse, ses trois délégués suisses.

Le conflit, qui a fait plus de 62 000 morts depuis 1983, s'est ravivé après l'élection présidentielle de novembre dernier. L'ancien premier ministre Mahinda Rajapakse, qui avait fait campagne sur un programme de paix, a durci les actions de l'armée pour ne pas s'aliéner le soutien du parti marxiste nationaliste et extrémiste, le JVP. Mais les attentats attribués aux LTTE, placés sur la liste des organisations terroristes par l'Union européenne, n'ont jamais cessé non plus.