Grâce et dénuement

Écrit par Floriane Denis, La Grande Époque
24.08.2006

  • Page couverture du roman Grâce et dénuement d’Alice Ferney. (攝影: / 大紀元)

Qu’ils soient gitans, manouches ou bohémiens, les gens du voyage sont à l’origine d’un bouillonnement culturel, sans doute lui-même fruit du brassage et du mélange issu des pays traversés. Qu’on le veuille ou non, leur culture imprègne la nôtre, dans toutes ses strates : dans la musique, des Danses hongroises de Johannes Brahms au flamenco d’Andalousie en passant par le jazz manouche; dans la mode, qui depuis deux étés popularise le style gitane; dans le cinéma, avec les films d’Emir Kusturica; et même dans la littérature, avec des romans comme Grâce et dénuement d’Alice Ferney. Leur musique nous fait rêver et voyager, leur refus de la sédentarité est le mode de vie que nous avons peur d’adopter, mais que nous leur envions. Pourtant, ce sont les «sans-droits», les parias les plus unanimement méprisés par les sociétés occidentales, surtout en Europe de l’Ouest.

Dans Grâce et dénuement, Alice Ferney nous fait vivre, le temps d’un roman, au sein d’une petite communauté de gens du voyage. Ces gens que l’on voit si souvent, qu’on trouve si confortable de considérer comme des voleurs et des profiteurs, mais dont on ignore tout : leur vie, leurs difficultés et leurs joies.

C’est par l’intermédiaire d’Esther, gadjé comme nous, qui peu à peu se fait accepter de la petite troupe par le biais des enfants et de la lecture qu’elle leur fait, que nous pénétrons nous aussi, avec nos yeux de gadjés, la vie du clan.

Par petites touches elliptiques, à coups de mots simples, l’auteur nous fait d’abord découvrir la grand-mère, Angéline, qui règne sur ce petit monde. En quelques pages, le tableau de sa vie est brossé, ainsi que son rôle de reine mère incontesté par ses cinq fils et par ses quatre belles-filles et la ribambelle de ses petits-enfants.

Ensuite, Esther arrive dans le clan et dans le récit. Elle s’installe sous un pommier avec quelques livres. Intrigués, les enfants approchent. Captivés par la lecture, ils restent. En redemandent. Il faut dire que pour eux, un livre est un objet nouveau. Ils découvrent la magie de la lecture : un livre est un objet, un drôle d’oiseau aux ailes de papier. On en tourne les pages, les signes deviennent des sons, des mots porteurs de sens qui, enfilés les uns aux autres, nous permettent de créer nos propres images et nos propres émotions! Ils nous ouvrent des mondes réels ou imaginaires, vécus ou fictifs, mais toujours différents. Ils nous permettent de vivre des vies parallèles. Parfois, ils nous éloignent des autres, ils sont moqués dans la cour d’école ou absorbés par ce coeur de papier, mais ils suscitent aussi le rapprochement et la discussion entre ceux qui ont lu le même ouvrage, même si chacun se fait une image, une histoire et une idée différente du livre. Un livre renaît à chaque fois et se renouvelle dans le cœur de chacun de ses lecteurs.

C’est cela que les enfants pressentent et découvrent. Les livres leur ouvrent la porte de mondes inaccessibles et inconnus, tout comme Esther, en se battant pour leurs droits et leur éducation, leur ouvre la porte d’une société qui les rejette. Esther qui, elle aussi, reste en marge du récit. Comme les gitans, le lecteur ne connaîtra que de vagues pans de sa vie hors du camp. Pour une fois, ce sont les gitans qui sont au cœur du récit, et les gadjés sont à la marge.

Dans un style simple mais juste, touchant et précis, par un récit fait d’ombres et de lumières qui sait taire certains aspects pour mieux crier les autres, Alice Ferney nous plonge dans un monde inconnu, très humain, chaud et vivant, sans chercher à enjoliver la vérité. Dans un roman authentique, sans fard, parfois rude mais porteur d’espoir, Alice Ferney nous ouvre la porte du monde des gens du voyage.

Grâce et dénuement

Alice Ferney

Roman

Éditions Babel

Site intéressant sur les tziganes : [http://mayvon.chez-alice.fr/]