Voyage dans le temps : La province de Québec il y a 75 ans (2)

Écrit par Raymond Laberge, Collaboration Spéciale
13.09.2006

L’auteur est historien et habite Montréal

Les élections générales dans la province de Québec

Le mois de juillet s’écoule sans que le premier ministre Taschereau dévoile la date des élections générales dans la province. La situation en devient cocasse, les deux partis (le parti libéral et le parti conservateur) étant déjà en pleine campagne électorale.

Taschereau laisse-t-il Houde, le chef du parti conservateur, s’épuiser avant la grande course? Ce n’est donc que le 30 juillet 1931, alors que Camillien Houde sue à travers le Québec depuis deux mois, que le premier ministre annonce que les urnes seront ouvertes le 24 août.

Un troisième mois de tournées, d’assemblées, de performances, de tapes dans le dos, de mains serrées, et d’épuisements commence pour Houde, dont l’embonpoint accuse des progrès. Encouragé par les siens, il aborde à la baïonnette le régime Taschereau, le vieux régime dont il veut avoir la peau coûte que coûte.

En 1931, Camillien Houde dirige sa première campagne électorale en tant que chef de l’opposition. Il est détesté par Taschereau et mal soutenu par Maurice Duplessis, l’aspirant secret à la direction de son parti, qui attend son heure. Le premier ministre lui-même préfère le fils de Nérée Duplessis, qu’il trouve beaucoup plus gentilhomme que le gros Houde. Ce dernier ratisse la province, avec son inséparable bras droit, Laurent Barré.

Cependant, dès le début de la campagne, toutes les attentions sont focalisées sur les Trois-Rivières, où une élection fédérale complémentaire doit précéder de quinze jours le scrutin provincial.

Observateurs et politiciens suivent avec grand intérêt le déroulement de cette lutte particulièrement vive, dont le résultat pourrait influencer dans cette région la campagne provinciale de Maurice Duplessis.

Le ministre fédéral Arthur Duranleau, qui aspire alors à la lieutenance québécoise pour Bennett, préside la convention bleue qui choisit comme candidat Charles Bourgeois, avocat trifluvien bien connu, président de la Société Saint-Vincent-de-Paul, ancien bâtonnnier-général du Québec, un bien-pensant.

Les libéraux fédéraux lui opposent Alfred Gariépy, dont la campagne est orchestrée par l’ex-secrétaire d’État du cabinet King, Fernand Rinfret.

Durant les derniers jours de la campagne, le député provincial Maurice Duplessis intervient fréquemment en faveur du candidat Bourgeois. Au décompte, Charles Bourgeois obtient 13 479 voix et Gariépy, 13 398; les conservateurs crient victoire.

Grâce à cette étroite majorité, les conservateurs s’emparent du siège fédéral des Trois-Rivières, une propriété des libéraux depuis 1900. Taschereau en fait des ulcères. Les conservateurs provinciaux en campagne pensent déjà à sabler le champagne.

La victoire de Bennett en 1930, la défaite récente des libéraux de l’Île-du-Prince-Édouard, les succès persistants de Camillien Houde et la victoire de Charles Bourgeois font rêver des conservateurs québécois qui se croient dans l’antichambre du pouvoir.

Outre la double-entrée en lice du maire de Montréal, Camillien Houde, dans Sainte-Marie et Saint-Jacques, plusieurs candidatures conservatrices offrent l’espoir d’une victoire.

Robert Tellier, fils de l’ancien chef conservateur québécois, se présente dans Joliette. Les députés Maurice Duplessis, Jean-Paul Sauvé et Aimé Guertin ont confiance de conserver leur siège (Trois-Rivières, Deux-Montagnes, Hull).

Laurent Barré mène campagne dans son comté natal de Rouville qu’il veut ravir aux libéraux. Il a persuadé trois figures de proue du syndicalisme agricole de faire la lutte sous la bannière bleue : Albert Rioux, Abel Marion et Antonio Élie briguent les suffrages des électeurs ruraux de Matapédia, Compton et Yamaska. L’Union catholique des cultivateurs (UCC) conseille de voter pour le parti de Camillien Houde et de Laurent Barré, qui «pogne» beaucoup auprès de l’agroélectorat.

Pour contrecarrer ces succès, le ministre de l’Agriculture, Adélard Godbout, quadrille le terroir; la gigue des promesses de bouts de route, un classique du folklore politique québécois, assure des fidélités aux libéraux. Les cantonniers préélectoraux asphaltent les chemins creux du Québec rural.

Dans Montmorency, le comté du premier ministre Taschereau, Louis Francoeur, candidat de l’opposition, agite l’Île-d’Orléans, tannée de son isolement de toujours. Taschereau, presto, fait entreprendre des travaux préparatoires à la construction du pont de l’île, coupant l’herbe sous le pied de Francoeur qui escomptait le vote massif des insulaires, de Saint-Pierre à Sainte-Pétronille.

Côté montréalais, Louis-Alexandre Taschereau fait miroiter aux yeux des électeurs un beau grand boulevard métropolitain qu’il s’engage à faire construire. Depuis que Lomer Gouin a créé, en 1914, un ministère de la Voirie, pour répondre aux nouveaux besoins de l’automobile et du camion, ces engins à explosion se sont multipliés. En 1921, le Québec comptait 10 072 voitures qui sortaient des usines américaines et, en 1931, alors que Taschereau promet le métropolitain pour la traversée de Montréal, 32 029 automobiles sillonnent rues et routes du Québec.

Les ministres de Taschereau, eux, parcourent rangs et villages.

Le secrétaire de la province, Athanase David, à Sainte-Agathe-des-Monts, capitale des Laurentides montréalaises, indique à ses électeurs réunis près de l’église que ce n’est pas le temps de «confier la province à des arrivistes».

Les fédéraux, encore une fois, selon leur manie, fourrent leur nez dans une élection québécoise. Fernand Rinfret, député de Saint-Jacques à la Chambre des communes, accuse Houde d’avoir introduit «la violence dans nos luttes politiques».

À La Tuque, dans la Mauricie d’en-haut, le libéral Wilfrid Lacroix laisse entendre, en bon démagogue, que les conservateurs fédéraux auraient demandé au Parlement de pouvoir sortir des troupes armées pour faire face aux chômeurs québécois qui demandent du pain pour leurs familles.

Dans la métropole, les députés Cohen et Bercovitch, d’origine juive, soulèvent la section montréalaise de la diaspora contre le maire Houde. La campagne libérale révolte Camillien qui, devant ces rouges provocants, prend l’allure d’un taureau.

Toutefois, les conservateurs sont confiants. Tous se disent assurés de la victoire, et plus d’un libéral s’inquiète ouvertement d’un possible raz-de-marée «houdiste» le 24 août. À tel point que Omer Héroux, au journal Le Devoir, pose la question : «Est-ce la fin du régime (libéral)?»

Jusqu’au 15 août, en ces temps où les sondages «scientifiques» d’opinions n’ont pas encore cours, l’armée «houdiste», comme certains surnomment l’entourage du maire de Montréal, semble avoir la faveur populaire. Malheureusement, aux derniers jours de la campagne, Houde s’emporte et commet l’erreur d’affirmer publiquement que «Montréal en a assez d’être la vache à lait de la province». Les libéraux saisissent cette déclaration et peignent alors le maire de Montréal en ennemi du cultivateur, affaiblissant les positions de son parti dans les milieux ruraux.

Dans sa livraison du 19 août 1931, à cinq jours du scrutin, la Gazette donne un solide croc-en-jambe aux conservateurs québécois. Coiffés du titre intriguant de Washington et Québec, les colonnes du quotidien anglo-montréalais sont remplies d’une prose qui laisse entendre que les Américains s’apprêtent à prendre le contrôle du fleuve Saint-Laurent pour le canaliser à leur profit. N’ayant pu soudoyer le gouvernement Taschereau, l’Oncle Sam, selon la Gazette, appuierait les conservateurs de Camillien Houde avec qui il serait plus facile de s’entendre.

La suite la semaine prochaine.

Sources : La Presse, l’Illustration, Le Clairon, Le Courrier de St-Hyacinthe, The Montreal Gazette, Le Soleil, L’Événement, l’Action catholique, Le Droit, Le Devoir, la Revue moderne, la Revue populaire et la Voix nationale.