Génocide au Darfour : À quand le réveil?

Écrit par Zora Ait El Machkouri - La Grande Époque
19.09.2006

Pris dans l'imbroglio entre l'Union africaine, les Nations Unies et le gouvernement soudanais, les civils de la région du Darfour subissent depuis trois ans un conflit opposant les milices «arabes» janjaweeds, soutenues par le pouvoir central de Khartoum et les rebelles «négro-africains». Malgré les 300 000 morts parmi les civils et les plus de 2,5 millions de déplacés depuis 2003, le gouvernement soudanais refuse le déploiement des forces onusiennes.

  • un Soudanais à Khartoum exhibe une affiche pour manifester contre la résolution onusienne 1706(攝影: / 大紀元)

L'Union européenne a exhorté le 15 septembre 2006 le gouvernement soudanais et les rebelles du Darfour d'accepter le déploiement d'une force onusienne de maintien dans cette région de l'ouest du Soudan. Le même jour, le président américain, George W. Bush, a exprimé sa «frustration» face à l'impuissance de l'ONU au Darfour, souhaitant qu'elle force la main au régime soudanais pour envoyer une force des Nations Unies pour mettre fin au «génocide» en cours.

De son côté, Khartoum a prévenu l'Union africaine, le 13 septembre, que sa force de paix déployée au Darfour serait renvoyée dès le 30 septembre si l'organisation donne un feu vert définitif au transfert de sa mission à l'ONU. En effet, Khartoum s'oppose à ce que la force de maintien de la paix de l'Union africaine passe le relais de sa mission à des Casques bleus de l'ONU. La situation est ainsi gelée face au refus de Khartoum.

Le gouvernement veut désormais gérer seul

Le président soudanais, Omar Al-Béchir, s'oppose à la venue d'une force de l'ONU capable de faire respecter un fragile accord de paix signé en mai dernier et de protéger la population. Selon Khartoum, cette intervention onusienne serait une «ingérence» et un «viol de sa souveraineté». Au vice-ministre soudanais pour les Affaires étrangères, Al-Sammani al-Cheikh al-Wassila, d'ajouter que «ce que nous voulons c'est un partenariat entre nous tous (africains) et non pas l'imposition d'une résolution». Une réunion de l'Union africaine était prévue le 18 septembre à l'ONU au cours de laquelle l'organisation panafricaine devait se prononcer sur l'avenir de sa force de paix au Darfour, dont le mandat actuel s'achève le 30 septembre. Néanmoins, le pouvoir central annonce déjà l’envoi d’un contingent de plus de 10 000 hommes pour «rétablir la sécurité» et faire appliquer l’accord de paix signé à Abuja, au Nigeria en mai 2006.

Réagir face à l'immobilisme international

Devant un tel statu quo de la situation au Darfour, quel est le réel poids des organisations de défense des droits de l'homme. C'est ce que nous avons demandé au président de l’association française Sauver Le Darfour, Mahor Chiche, qui a décidé de créer une organisation pour obtenir l'arrêt des massacres au Darfour. Ce militant français des droits de l'homme ne veut pas moins qu'obtenir l'arrêt des massacres des populations civiles du Darfour, le désarmement des milices janjaweeds, la liberté de circulation des journalistes et des humanitaires ainsi que l'arrestation et le jugement des responsables des crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

La Grande Époque (LGÉ) : Le conflit au Darfour se poursuit, le retrait des troupes de l'Union africaine se profile dans les prochains jours, quel bilan peut-on établir de la situation actuelle?

Mahor Chiche (M. C.) : Depuis 2003, le nombre de civils tués dépasse les 300 000, le nombre de déplacés à l'intérieur des frontières et de réfugiés au Tchad avoisine les 3 millions. Un accord de paix a certes été signé, mais sans réelle efficacité sur le terrain. Les autorités de Khartoum préparent actuellement une vaste offensive contre les rebelles du Darfour qui ont refusé de signer l’accord de paix. Qui plus est, cet été a par exemple été l’un des plus meurtriers pour les travailleurs humanitaires.

L'Union africaine qui est présente sur place s’est montrée incapable de faire régner la paix au Darfour et a demandé à l'ONU d'y envoyer les Casques bleus à l'expiration de son mandat le 30 septembre. Ce départ risque d’augmenter l’intensité des combats. Aussi l'ONU a voté la résolution 1706 prévoyant l'extension au Darfour de la Mission des Nations Unies au Sud-Soudan, mais cette résolution demeure insuffisante parce que sa mise en œuvre est soumise au consentement du gouvernement soudanais, coupable du génocide.

LGÉ : Quel est concrètement le rôle d'une association comme la vôtre? Vous voulez sensibiliser le grand public au conflit, mais en avez-vous vraiment les moyens?

M. C. : Sauver Le Darfour fait un travail pédagogique d’explication du conflit et alerte l'opinion publique sur le génocide en cours au Darfour. Nous avons aussi pour mission d’interpeller les pouvoirs publics et la communauté internationale sur l’urgence à agir. Nous avons par exemple publié des affichettes dans le quotidien national français Libération interrogeant les candidats à la Présidence de la République de 2007 sur ce qu'ils comptent faire pour le Darfour. Nous avons des contacts sur place avec des militants des droits de l’homme, des travailleurs humanitaires et certains reporters.

LGÉ : Le Qatar, la Russie et la Chine, qui a investi dans le pétrole soudanais, n'ont pas voté les renforts des forces onusiennes. Pourtant le Congrès américain a osé parler de «génocide» sans pour autant que ce terme ne soit repris par le Conseil de sécurité. Pourquoi une telle divergence de points de vue?

M. C. : Depuis longtemps, les États-Unis estiment qu’au Darfour se déroule un génocide. Mais la reconnaissance d'un génocide par le Conseil de sécurité des Nations Unies impliquerait, en vertu de la Charte des Nations Unies, l'obligation d'envoyer les Casques bleus au Darfour sans l'accord du gouvernement soudanais. Or, la Russie et la Chine, membres permanents, qui fournissent les armes de la guerre au Darfour, ne souhaitent pas entraver leurs relations commerciales avec le Soudan en outrepassant l'accord de Khartoum. D’autant plus que 8 % des importations pétrolières chinoises proviennent du Soudan.

Le 6 août 2006, la France – par la voix de son ministre des Affaires étrangères, M. Douste-Blazy – a fait un grand pas en faveur d’une intervention onusienne en reconnaissant à son tour qu'un génocide était en cours au Darfour.

LGÉ : Le haut commissaire des Nations Unies annonce une imminente catastrophe humanitaire, les réfugiés se comptent en millions, sans compter le nombre de victimes civiles. Peut-on se permettre de faire un parallèle avec ce qui s'est passé au Rwanda?

M. C. : La situation humanitaire est grave y compris dans les camps de réfugiés, sans compter que l’arrivée de la saison des pluies est favorable aux épidémies comme le choléra. Le silence médiatique et l’indifférence citoyenne sur le génocide au Darfour sont comparables à ceux du Rwanda. Il est d'autant plus blâmable que s’il dura trois mois au Rwanda il perdure depuis trois ans et demi au Darfour. Au Darfour, les médias faillissent plus que jamais à leur mission d'information. Il convient tout de même de préciser que ce silence est organisé par Khartoum qui fait régner la terreur envers les journalistes qui se rendent au Darfour.

LGÉ : Comment une association comme la vôtre peut-elle peser face aux intérêts des plus grandes puissances mondiales?

M. C. : La diplomatie française qui a pris une initiative pour le Liban doit désormais en prendre une pour le Darfour. Une force de protection des populations civiles du Darfour doit être déployée sans avoir à obtenir le consentement de Khartoum. La qualification de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre devrait suffire à outrepasser cette aberration et impasse diplomatique qui permettent la perpétuation du génocide au Darfour.

Le rôle de «Sauver Le Darfour» est d'infléchir les positions diplomatiques par des mouvements citoyens pour peser sur les futures décisions des grandes puissances. À cet effet, nous nous fixons pour objectif de former des centaines de comités locaux de notre association partout en France et en Europe afin d'être en mesure très prochainement de faire connaître au plus grand nombre la tragédie du Darfour, d'interpeller nos élus, les institutions européennes et internationales, de créer enfin une puissante base populaire permettant de donner force à la colère et à l'indignation que suscite le drame du Darfour.

Référence : [http://www.sauverledarfour.org/]