Le coup d'État en Thaïlande a le soutien royal et public

Écrit par Teresa Sutakanat, La Grande Époque
26.09.2006

BANGKOK – Le général en chef de l'armée thaïlandaise, Sonthi Boonyaratglin, a mené avec succès et sans effusion de sang un coup d'État pour renverser l'administration du premier ministre thaïlandais, Thaksin Shinawatre. L’action militaire a eu lieu le 19 septembre 2006, tard en soirée. À ce moment-là, des troupes ont encerclé des bâtiments gouvernementaux et des carrefours importants à Bangkok. L'armée a inondé les ondes de chansons royales, ce qui signifiait qu'un coup d'État se déroulait.

  • Des soldats Thailandais mènent la garde dans le centre de Bangkok.(Staff: INDRANIL MUKHERJEE / 2006 AFP)

Par la suite, les putschistes ont annoncé qu'ils étaient fidèles au monarque thaïlandais, le roi Bhumibol Adulyadej.

Dans l'après-midi du 20 septembre, le Conseil de réforme démocratique a annoncé que le roi Bhumibol approuvait Sonthi en tant que chef du Conseil, sans opposition apparente du Palais royal. L'appui du roi a virtuellement garanti le succès du coup d’État, en lui conférant légitimité. Le roi, qui est très estimé et même vénéré par la grande majorité des Thaïlandais, a par le passé joué un rôle critique pour déterminer le sort des coups d'État.

Des rubans jaunes, représentant la royauté, étaient attachés aux canons des chars et étaient portés par les troupes de l'armée qui patrouillaient Bangkok.

Le 20 septembre, un «Conseil de réforme démocratique», présidé par Sonthi, a annoncé qu'il contrôlait le gouvernement, et la loi martiale a été décrétée à l'échelle nationale. Le conseil a alors abrogé la constitution thaïlandaise ébauchée en 1997 et a dissout le Sénat, la chambre des représentants, le Cabinet et le Tribunal constitutionnel.

Les militaires ont reçu l'investiture royale le 22 septembre et ont déclenché une purge des partisans de Thaksin, d’après l'AFP.

Le putsch est survenu par surprise alors que Thaksin était à New York pour participer à l'Assemblée générale des Nations Unies. Bien que l'ex-premier ministre ait essayé de discréditer Sonthi dans une diffusion à la chaîne de télévision locale, le Canal 9, il a été interrompu au bout de dix minutes par les militaires putschistes.

D'après l'annonce officielle du Conseil de réforme démocratique, le coup était la conséquence de la mauvaise gestion par le gouvernement actuel et aussi un pas nécessaire afin de résoudre les problèmes qui affligent depuis longtemps la nation thaïlandaise. Étaient cités comme raisons suffisantes la corruption généralisée, la montée des conflits, et les violations possibles contre le roi Bhumibol Adulyadej. Le conseil se dit dévoué à la sécurité et la paix de la nation ainsi qu'au soutien de la monarchie.

En conférence de presse, Sonthi a dit aux journalistes que présentement, la tâche la plus importante pour le Conseil est d'ébaucher une constitution intérimaire. Il a aussi déclaré à plusieurs reprises qu'il n'avait pas l'intention de rester définitivement au pouvoir et qu’il va rétablir le pouvoir démocratique du peuple dès que possible. Sonthi a précisé qu'il assumera la fonction de premier ministre intérimaire pour une période n'allant pas au-delà de deux semaines, jusqu'à ce qu'un remplaçant adéquat soit trouvé.

Le 23 septembre, les militaires ont présenté une liste de quatre noms de remplaçants possibles au premier ministre écarté, le plus connu est Supachai Panitchpakdi, ancien directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

La permission a été accordée aux membres de la Commission électorale (CE) de continuer leur travail, ce qui contredit une annonce précédente abolissant les organes indépendants. On a besoin de la CE pour organiser les nouvelles élections afin d'élire des administrations et des conseils locaux. Les élections législatives sont prévues pour le 15 octobre 2006, mais pourraient être reportées.

Le Conseil a aussi désigné la vérificatrice générale, Khunyng Jaruvan Maintaka, pour enquêter sur la corruption au gouvernement; ses pouvoirs ont été étendus pour qu'elle accomplisse sa tâche.

Pour certains en Thaïlande, la bénédiction du roi a joué un rôle décisif dans la façon dont ils perçoivent le coup.

«Au début, je ne savais pas de quel côté [venait le coup d'État]. Mais une fois que j'ai entendu la nouvelle [que le coup avait été fait par les partisans du roi], je me suis sentie soulagée. Je pensais que cela arriverait un jour, c'est juste que je ne savais pas quand», a raconté une résidante de Bangkok, Suparat Hiranput, 25 ans, quand on lui a demandé quelle était sa réaction face au coup d’État.

«D'un point de vue négatif, je ne sais pas comment [le coup] est présenté par les médias à l'étranger. Ça pourrait modifier d'une manière négative l'image de la démocratie en Tha?lande et affecter le tourisme. D'un point de vue positif, je crois que le coup aidera à résoudre les problèmes de politique, de corruption, de l'unité et de la situation dans le sud de la Tha?lande», a-t-elle poursuivi. Sa réponse représente un désenchantement populaire grandissant envers le gouvernement, particulièrement manifeste dans la capitale.

Cette année, l'opposition à Thaksin a organisé de nombreux rassemblements à Bangkok, dont des protestations menées par le magnat des médias, Sondhi Limthongkul, et l'Alliance du peuple, pour la démocratie. Sondhi a parlé à maintes occasions de la corruption présente au gouvernement de Thaksin. L'Alliance du peuple et Sondhi ont tous deux réclamé à plusieurs reprises la démission de Thaksin et ont appelé à ce qu'il quitte définitivement la politique.

Bien que Thaksin ait initialement déclaré qu'il allait quitter la politique, ses discours récents ont suggéré qu'il avait l'intention de se trouver à la tête de son parti, le Thai Rak Thai (les Thaïlandais aiment les Thaïlandais) lors de la prochaine élection. Avant le coup d’État, ce parti avait la majorité au Parlement.

La Thaïlande a un historique de coups déclenchés par des conflits politiques. Depuis 1932, il y a eu environ dix coups majeurs. Le plus triste et le plus célèbre est le mouvement démocratique de 1973, aussi appelé mouvement du 14 octobre, où des étudiants universitaires ont été abattus par les militaires. Le conflit n’a cessé que lorsque le roi est intervenu.

Beaucoup de résidants de Bangkok ont donné des fleurs et de la nourriture aux troupes militaires putschistes pour les remercier d'avoir organisé le coup.

Mais le putsch n'a pas fait que des heureux. Les restrictions sur les médias ont été fortement critiquées par Reporters sans frontières, une organisation internationale de défense de la liberté de presse. «Les propos tenus par le ministre de l’Information et la présence de militaires dans les stations de télé sont inacceptables. Reporters sans frontières se joint à l’appel de l’Association thaïe des journalistes de radiotélévision et de l’Association des reporters thaïs pour réclamer la restauration de la liberté de presse. Des élections démocratiques ne pourront avoir lieu qu’après un débat libre relaté par les médias», a déclaré l'ONG.

Le Département d'État américain a aussi indiqué qu'il réévaluait son aide à la Thaïlande, proclamant que le coup était injustifié.