Expérience révolutionnaire du CERN sur les neutrinos

Écrit par Cordis Nouvelle
26.09.2006

 La physique moderne a accompli un pas de géant le 11 septembre 2006 alors que les scientifiques du CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) ont commencé à émettre un faisceau souterrain de neutrinos en direction du laboratoire du Gran Sasso, près de Rome (Italie), à 730 km de là.

Cette expérience s'inscrit dans le cadre d'un effort planétaire visant à appréhender ces particules qui, bien que n'ayant jamais été observées directement, sont censées renfermer les secrets des origines et de l'évolution de notre Univers.

Les neutrinos sont des particules élémentaires invisibles produites au cours des réactions nucléaires qui se déroulent au coeur des étoiles. Il s'agit du second type de particules le plus abondant de l'Univers après les photons.

Eu égard à leur très faible interaction avec les autres particules, les neutrinos peuvent traverser la matière, ne laissant que peu ou pas de traces, ce qui les rend très difficiles à détecter. Des trillions de neutrinos traversent chaque seconde la Terre, nuit et jour.

Les scientifiques estiment que du fait de cette faible interaction avec d'autres particules, les neutrinos transportent des informations «intactes» sur les supernovæ. La compréhension de ces informations est fondamentale pour celle de notre Univers.

On pense que les neutrinos oscillent entre trois «types» différents : l'électron, le muon et le tau. Les chercheurs espèrent que le laboratoire du Gran Sasso sera en mesure de détecter la transformation de neutrinos muoniques en neutrinos tauiques, phénomène jamais observé jusqu'à présent.

Selon le CERN, les neutrinos muoniques seront engendrés par collision entre un faisceau accéléré de protons et une cible spéciale. Les neutrinos muoniques ainsi générés effectueront les 730 km vers le Gran Sasso en 2,5 millisecondes, à une vitesse proche de celle de la lumière. Au Gran Sasso, les chercheurs espèrent détecter un petit nombre de neutrinos passer du type muon au type tau en cours de route. Les calculs prédisent que sur les milliers de milliards de neutrinos de type muon arrivant au Gran Sasso, on pourra détecter une quinzaine de neutrinos tauiques.

La détection de ces neutrinos tauiques par le centre du Grand Sasso est précisément ce qui distingue cette expérience des autres menées dans le même domaine aux États-Unis et au Japon, qui se sont classiquement attachés à mesurer le nombre de neutrinos tauiques qui disparaissent plutôt que le nombre de ceux qui apparaissent.

Le Gran Sasso possède deux détecteurs à neutrinos baptisés Opera et Icarus. Seul Opera, un dispositif de 1800 tonnes, est actuellement opérationnel; il permet de «voir» les neutrinos grâce à des plaques photographiques détectant les interactions entre le plomb et ces particules. Icarus mobilisera quant à lui 600 tonnes d'argon liquide pour détecter les neutrinos.

«Le neutrino devient désormais l'une des questions centrales de la physique des particules élémentaires», a déclaré Atsuto Suzuki, directeur général de l'Organisation de recherche avec des accélérateurs de haute énergie (KEK) et ancien porte-parole du KamLAND, un autre détecteur qui décèle quant à lui les neutrinos géologiques. «Il y a de nombreux défis passionnants en ce domaine. L'un des plus importants jalons dans l'essor de la physique des neutrinos est de vérifier expérimentalement que l'oscillation des neutrinos du muon en neutrinos du tau coïncide avec celle qui a été découverte lors des observations portant sur les neutrinos atmosphériques. Je me félicite que les expériences du CERN et du Gran Sasso puissent prochainement apporter une réponse à cette question capitale.»

Les scientifiques s'appuieront sur ces expériences pour décider si les neutrinos possèdent une masse et, dans l'affirmative, si cette dernière varie en fonction du type de neutrino. La théorie actuelle prédit que les neutrinos ont une masse nulle, puisqu'ils n'interagissent quasiment pas avec le reste de la matière.

«L'existence d'une masse pour ces particules jetterait une nouvelle lumière sur certains des principaux problèmes de physique moderne», explique Roberto Petronzio, président de l'Institut national de physique nucléaire italien (INFN), où est situé le laboratoire du Gran Sasso. «Le fait que le neutrino soit doté d'une masse pourrait par exemple contribuer à expliquer la fameuse asymétrie entre matière et antimatière, autrement dit la prévalence de la matière dans l'univers, malgré le parallélisme quasi parfait de leurs interactions fondamentales.»