Afghanistan : derrière la guerre, la drogue

Écrit par Vincent Duclos, La Grande Époque
05.09.2006

  • Un véhicule humvee de l’armée américaine(攝影: / 大紀元)

Tous les rapports le confirment, tous les analystes s’entendent, l’Afghanistan inquiète. Les attaques contre les forces armées gouvernementales et internationales augmentent, faisant notamment plusieurs victimes au sein des forces canadiennes. Les talibans contrôlent certaines zones et leurs rangs sont gonflés par des combattants étrangers provenant du Pakistan, de l'Égypte, du Yémen, etc. À l'instar de l'Irak, l'ennemi se dissimule parmi les civils, prenant des vies la plupart du temps grâce aux embuscades et aux kamikazes. Ce ne sont que quelques manifestations des plus explosives de cette situation.

Ce pays, qui semble côtoyer la guerre depuis toujours, montre des signes d’épuisement généralisé. Après les années 80 et la lutte contre l'envahisseur soviétique, les années 90 et le sévère régime taliban, les attaques américaines à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et les présents combats qui font rage, les espoirs de reconstruire en toute sécurité sont difficiles à entretenir. À travers tout ça, l'Afghanistan est aussi de loin le principal producteur d’opium au monde.

Exemple frappant du lien fréquemment observé entre narcotrafic et conflit armé, ce pays ne semble pas en voie de diminuer cette production ni la culture de la plante de pavot dont l’opium est dérivé. Au contraire, un rapport publié par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) le 2 septembre 2006 indique que cette production fait l’objet d’une hausse considérable, de quoi inquiéter autant les dirigeants politiques locaux que ceux de la communauté internationale. Chose certaine, la gestion de la production de drogue en Afghanistan depuis la chute des talibans représente un échec frappant et cette situation dépasse largement le cadre de la seule question narcotique pour affecter tous les aspects du progrès du pays.

Des statistiques qui font peur

L’enquête annuelle sur l’opium en Afghanistan, dont la version intégrale sera publiée à la fin du mois d’octobre, annonce que la culture de l’opium dans le pays devrait augmenter de 59 % en 2006, principalement à cause d’une hausse dramatique dans les régions du sud du pays, les mêmes régions à être actuellement aux prises avec de graves conflits armés.

Le pavot aurait été cultivé sur quelque 165 000 hectares en 2006, contrairement aux 104 000 hectares utilisés à cet effet en 2005. Les 2,7 milliards de dollars provenant de ce trafic représentent environ le tiers de l’économie afghane. Selon le rapport, il n’y aurait plus que six des 34 provinces du pays où la culture du pavot ne serait pas présente. «La récolte de cette année sera environ de 6100 tonnes d’opium – un choquant 92 % de la production mondiale», selon Antonio Maria Costa, le directeur général de l’ONUDC.

Des chiffres qui rappellent l’échec de l’offensive menée principalement par les États-Unis dans le but d’éradiquer cette culture directement liée autant au développement du pays qu’à la subvention des activités belliqueuses menées par les talibans, de même que par divers seigneurs de guerre locaux.

«L’opinion publique est de plus en plus frustrée par le fait que la culture de l’opium en Afghanistan est hors de contrôle. Les investissements politiques, militaires et économiques par les pays de la coalition n’ont pas beaucoup d’effets visibles sur la culture de la drogue. Conséquemment, l’opium afghan nourrit l’insurrection en Asie de l’Ouest, fournit les mafias internationales et cause 100 000 morts par surdose chaque année», poursuit M. Costa.

Selon lui, l’Afghanistan montre des signes évidents d’effondrement. Opinion reprise par Doug Wankel, directeur du bureau américain du contrôle des drogues, qui avertit que «si cette situation devient hors contrôle, l’on pourrait glisser d’une narco-économie à un narco-État», ce qui minerait fortement les chances de voir l’Afghanistan afficher un jour un régime où les dirigeants représentent réellement la population.

Helmand, dans l’œil de la tempête

Dans la seule province de Helmand – la principale productrice de pavot du pays, qui est destiné à l’opium – la culture de la plante a augmenté de 162 % depuis l’année dernière, atteignant quelque 69 324 hectares. Cette région, où les forces canadiennes et anglaises ont été les cibles de nombreuses attaques armées, est largement sous le contrôle d’insurgés talibans bénéficiant directement de cette production pour financer leurs activités belliqueuses.

«Évidemment que nous faisons pousser du pavot cette année», a déclaré à la BBC le chef du district de Lashkar Gah située dans cette province. «Le gouvernement, les étrangers, ils nous ont promis de l’aide si nous arrêtions. Mais où est-elle?» Ces propos résument bien l’état de consternation répandu dans ce pays, l’un des plus pauvre au monde.

La faillite des programmes de compensation destinés aux agriculteurs dans le but de les inciter à ne plus faire pousser le pavot est indissociable d’un sous-financement chronique relié à la reconstruction de ce pays détruit par la guerre. Helmand représente bien l’échec des politiques américaines et britanniques, où plus de quatre ans d’efforts n’ont fait que bien peu pour tenter de dissuader la population locale de faire pousser le pavot.

Les paysans, pauvres et souvent endettés auprès de la pègre locale, ne se voient à ce jour offrir aucune alternative à cette production. Ayant un revenu moyen de quelque 200 dollars par année, ceux-ci se sentent abandonnés par le président Hamid Karzaï tout comme par les dirigeants occidentaux qui tardent à transformer leurs promesses en actions concrètes. Selon un officier gouvernemental afghan en entrevue à la BBC, «les fermiers ont écouté le président Karzaï, mais ils pourraient perdre confiance en lui s’ils ne reçoivent pas davantage d'appui».

Avenir trouble

Rien ne semble pouvoir mettre fin à la montée de la violence opposant d’un côté le gouvernement afghan et les forces de l’OTAN et de l’autre ceux que l’on qualifie d’«ennemis de l’Afghanistan», soit les talibans et leurs alliés au sein du groupe terroriste Al Qaïda.

Se nourrissant à même les fruits du narcotrafic, ces groupes rebelles prennent de l'expansion et semblent actuellement plus forts que jamais depuis la chute de l’administration talibane en 2001. Payant davantage leurs combattants que l’armée afghane, les activités des insurgés gagnent de l’ampleur, particulièrement dans le sud du pays où de violents combats les opposent quotidiennement aux forces de l’ordre.

Amalgame d’anciens dirigeants talibans et de seigneurs de guerre locaux, les «ennemis de l’Afghanistan» s’opposent fortement à l’éradication de la culture de l’opium, opposition leur valant une hausse de popularité chez les paysans de nombreuses régions dépendant de cette production pour leur survie.

Chose certaine, la situation est des plus complexes dans ce monde d’alliances guerrières, de combats subventionnés par ce que plus d’un pointe du doigt comme étant le voisin pakistanais, de même que plusieurs riches particuliers impliqués dans le commerce de l’opium. Plus de quatre ans après les premières frappes américaines, on est encore loin de la liberté annoncée au monde entier au moment même où les bombes larguées semaient une partie des conditions de la précarité actuelle.