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Où ira maintenant le Turkménistan?

Écrit par Matthew H. Wahlert, Collaboration spéciale
12.01.2007
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Le futur du pays d’Asie centrale est incertain après la mort de son dictateur

Quand le dictateur du Turkménistan, Saparmourat Niyazov, est mort au mois de décembre, peu de gens en Occident y ont porté grande attention. Mais pour ce pays isolé d’Asie centrale de 5 millions d’habitants, la mort de Niyazov met un terme à un des plus bizarres cultes de la personnalité. Le Turkménistan se retrouve également au centre des convoitises de différents États puissants qui lorgnent du côté de ses ressources énergétiques abondantes.

  • Deux soldats montent la garde,(Staff: OLIVIER MATTHYS / 2006 AFP)

 

La terre du Turkmenbashi

Pendant son règne, Niyazov, qui s’était lui-même donné le nom de Turkmenbashi, – soit le «chef de tous les Turkmènes» – s’est érigé un culte de la personnalité particulièrement élaboré. En tant que «président à vie» depuis 1999, il clamait détenir le monopole de la sagesse et avait essayé d’inventer une identité turkmène gravitant autour de sa propre personne. Ceci comprenait souvent des tentatives de réguler les détails les plus infimes de l’existence des Turkmènes. Par exemple, en 1999, Niyazov a distribué des montres à son effigie à chaque étudiant et soldat du pays.

Un des éléments-clés de son culte de la personnalité a été l’utilisation du nom Turkmenbashi qui est devenu omniprésent dans la société : une ville porte le nom de Turkmenbashi et est située dans la baie de Turkmenbashi dans la mer Caspienne, non loin de la raffinerie de pétrole Turkmenbashi. Les usines, les fermes d’État et même les produits locaux portent le nom de Turkmenbashi.

Des statues de Niyazov sont également visibles à travers tout le Turkménistan, dont la plus célèbre est l’Arche de Neutralité dans la capitale Achgabat. L’arrangement comprend une représentation en or de Niyazov qui suit une rotation de manière à toujours faire face au soleil.

Le culte de personnalité de Niyazov comprenait aussi de nombreuses politiques non conventionnelles et mêmes bizarres. Par exemple, il a renommé les jours de la semaine et les mois de l’année, renommant le mois de janvier par son propre nom et le mois de mars par celui de sa mère. Le mois de septembre a été renommé selon son livre d’enseignements spirituels, le Ruhnama, qui a été traduit dans des langues aussi exotiques que le zoulou.

Les efforts de Niyazov visant à «turkméniser» la société comprenaient aussi des politiques ayant pour but d’isoler le pays du reste du monde. À ce titre : le bannissement de l’opéra, la fin des salles de concerts et du cirque et la fermeture de l’Académie des sciences.

Le dictateur a également institué un bon nombre de lois sur l’unilinguisme turkmène et, en 2002, il a rendu illégal d’importer quelconque publication provenant de la Russie. Un an après, les professeurs qui avaient obtenu des diplômes à l’étranger après 1993 étaient relevés de leurs fonctions, et des règlements ont été émis pour empêcher strictement les habitants du pays d’étudier à l’étranger

Mais les efforts de Niyazov pour s’agripper au pouvoir n’étaient pas limités à cet excentrique culte de la personnalité.

En tant que président, il ne tolérait aucune opposition à son règne et utilisait souvent la violence pour la supprimer. Par exemple, après une tentative d’assassinat en 2002, il a ouvert des colonies pénales dans le désert de Karakoum de manière à «purifier la société».

Dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), le Turkménistan arrive 167e sur 168 pays, devant la Corée du Nord. Lors de l’annonce du décès de Niyazov, RSF a demandé la libération de 4000 journalistes et prisonniers politiques encore détenus dans de mauvaises conditions dans les prisons turkmènes.

Bien que la mort du despote pourrait amener une telle libéralisation, certains signes indiquent que le règne de l’arbitraire pourrait se poursuivre sous son successeur. Selon la constitution, à la suite de la mort de Niyazov le 21 décembre 2006, la personne devant lui succéder est le président du parlement, Overzgeldy Atayev. Mais il a vite été mis en arrestation et c’est le vice-premier ministre, Gurbungali Berdymukamedov, qui est devenu le chef par intérim. La prochaine étape est l’élection du 11 février 2007 que Berdymukamedov devrait gagner après l’Assemblée d’investiture qui l’a nominé à l’unanimité, rappelant ainsi les méthodes soviétiques.

De retour dans le Grand jeu énergétique

Ce n’est pas seulement en termes de politique intérieure que le futur du Turkménistan est incertain. Le pays possède la cinquième plus grande réserve connue de gaz naturel au monde et de 1 à 4 milliards de barils de pétrole, selon les estimations. Mais sous Niyazov, plusieurs firmes étrangères craignaient d’investir en raison du comportement insolite du dirigeant et les peurs constantes de nationalisation. Avec sa mort, de telles inquiétudes se dissipent et le Turkménistan devient un nouveau joueur au niveau énergétique.

En matière d’affaires étrangères, Niyazov avait adopté une politique qu’il qualifiait de «neutralité positive», ce qui signifiait peu de relations extérieures et le refus des accords multilatéraux. Concrètement, le tyran limitait presque entièrement la vente de gaz naturel à la firme russe Gazprom qui, par la suite s’occupait de la mise en marché.

En tant que tel, Moscou est bien placé pour s’assurer qu’un régime prorusse émerge d’Achgabat. Ceci en grande partie parce que l’influence de Gazprom sur la politique russe est immense. Le géant de l’énergie contrôle 98 % de toute la production de gaz de la Russie, paie environ le quart des revenus fédéraux d’impôts et est responsable d’environ 8 % du PIB.

L’habileté de Moscou d’influencer le futur du Turkménistan est aussi due aux nombreux leaders de l’opposition qui ont fui en Russie après la tentative d’assassinat contre Niyazov et la répression qui a suivi. Des rapports indiquent qu’ils sont maintenant prêts à retourner au Turkménistan.

À part la Russie, d’autres puissances comme les États-Unis, la Chine, l’Iran, la Turquie et l’Union européenne (UE) lorgnent les ressources abondantes du Turkménistan. Les États-Unis espèrent depuis longtemps des points d’approvisionnement alternatifs et le président, George W. Bush, a déjà souligné la nécessité de solidifier les liens avec le pays d’Asie centrale.

La Chine est en recherche constante d’énergie pour combler ses besoins grandissants et tente ces derniers temps de renforcer son influence dans la région. L’Iran, de son côté, entretient un pipeline vers le Turkménistan et avait, ces dernières années, développé des relations plus sérieuses avec le pays lorsque Niyazov cherchait des alternatives au marché russe.

La relation dans le domaine de l’énergie parfois conflictuelle entre l’Union européenne et la Russie est depuis longtemps problématique et les pays d’Asie centrale font partie de cette dynamique. Le 1er janvier, la présidence de l’UE a été prise en charge par l’Allemagne, qui a déjà fait allusion à l’importance de l’Asie centrale pour les futurs plans énergétiques européens. Finalement, les Turcs ont des liens ethniques avec les Turkmènes et des discussions ont déjà eu lieu au sujet de pipelines traversant la Turquie.

Rudyard Kipling avait inventé le terme «Grand jeu» pour qualifier la rivalité géopolitique entre la Grande-Bretagne et la Russie tsariste dans la course pour l’hégémonie en Asie centrale au 19e siècle. Après la chute de l’Union soviétique, de nombreux analystes de la région ont réutilisé le terme pour illustrer la lutte pour la mainmise sur les ressources énergétiques en Asie centrale. Les États-Unis, la Turquie, l’Iran, l’UE et la Chine semblent se préparer à un épisode moderne du «Grand jeu» dans le Turkménistan post-Niyazov.

 

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.