Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

La Bolivie de Morales : après un an, la crise

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque
16.01.2007
| A-/A+

 

 

 

 

 

 

Pas de répit ni de paix pour le pays des Andes. L’arrivée au pouvoir l’année dernière du socialiste Evo Morales en Bolivie, le premier président indigène de l’histoire de la nation, annonçait des changements majeurs et radicaux. Après un an de luttes internes incessantes et de plus en plus virulentes, Morales maintient le cap et fait face à une résistance de plus en plus sévère. 

  • Un jeune homme lance des pierres aux fermiers de coca(Staff: AIZAR RALDES / 2007 AFP)

 

Le pays s’est polarisé en deux camps distincts, possédant tous deux des éléments extrémistes prompts à la violence. Les habituelles confrontations de citoyens contre les forces policières, qui sont vues depuis longtemps à un rythme soutenu en Bolivie, se sont transformées en conflit civil, opposant partisans politiques rivaux, transportant bâtons, pierres, pétards, machettes et armes de poing. Résultat : deux personnes sont mortes et une centaine ont été blessées le 11 janvier 2007 dans la ville de Cochabamba dans des heurts opposant les partisans de Morales et ceux du gouverneur de la province portant le même nom, Manfred Reyes Villa, réputé conservateur qui souhaite plus d’autonomie pour sa province et qui se montre hostile au pouvoir du président. Quelques jours auparavant, le 8 janvier, des supporters de Morales avaient mis le feu à l’édifice abritant le gouvernement provincial.

Lors de cette journée de violence, même des journalistes ont été pris à partie, selon le Comité pour la protection des journalistes. L’organisation de défense de la liberté de presse a déploré onze attaques contre des reporters, caméramans et photographes, par les manifestants favorables au gouvernement et la police.

Société fracturée

La lutte violente peut s’expliquer par le fossé existant dans la société bolivienne entre les pauvres et les nantis, et entre les régions dont les richesses sont disproportionnées. Dans les montagnes, lieu à forte dominance indigène, la pauvreté et la précarité règnent, tandis que dans les plaines de l’Est se trouve le moteur de l’économie du pays, avec les ressources énergétiques et l’agro-industrie.

Dès l’entrée en fonction de Morales en janvier 2006, un plan de nationalisation des hydrocarbures était sur la table et a été mené à terme quelques mois plus tard. Si ce geste visait principalement à cesser le «pillage» des ressources naturelles du pays par les intérêts étrangers, ce n’était rien pour rassurer l’élite nationale à dominance blanche qui voyait un président leur étant sérieusement hostile et capable de remplir ses promesses.

C’était aussi une bonne motivation pour ces riches propriétaires et leur entourage de relancer leurs revendications visant à obtenir une plus grande autonomie provinciale. C’est ainsi que celui qui s’est fait connaître à travers les mouvements sociaux et les manifestations massives faisant tomber les gouvernements les uns après les autres, Evo Morales, goûte à sa propre médecine : la rue. Depuis des semaines, l’opposition manifeste dans les rues des provinces orientales.

Si beaucoup de ses opposants craignent pour leurs propres intérêts économiques, d’autres ne voient pas d’un bon œil le virage à gauche qui se concrétise de plus en plus. «L’année dernière nous avons nationalisé les hydrocarbures, cette année, ce sera les mines», a déclaré Morales alors qu’il était au Nicaragua la semaine dernière pour l’investiture présidentielle de Daniel Ortega, dans des propos rapportés par Associated Press. Un projet de loi de réforme terrienne a été voté en novembre dernier, visant à permettre aux paysans des montagnes de prendre possession de nouveaux territoires non productifs qui seraient redistribués.

Cette approche économique inquiète l’élite du pays, mais des changements politiques considérables sont aussi à la source du présent conflit. Le Mouvement au socialisme (MAS) du président souhaite refondre la constitution, pour permettre à la majorité indigène d’obtenir une place plus équitable sur la scène politique nationale. L’opposition voudrait que tous changements constitutionnels nécessitent les deux tiers de la Chambre pour être acceptés, tandis que le MAS ne souhaite qu’une majorité absolue, car il contrôle seulement 52 % de la chambre.

L’escalade de la tension en raison de ces différends a amené International Crisis Group, une organisation d’analyse des conflits visant à les prévenir par des recommandations politiques, à publier un rapport sur la situation bolivienne. Le rapport, publié le 8 janvier 2007, est intitulé Bolivia’s Reforms: The Danger of New Conflicts (Les réformes en Bolivie : le danger de nouveaux conflits). Les conclusions principales du rapport sont que les deux clans devraient condamner la violence; que le gouvernement devrait cesser ses attaques contre l’élite de Santa Cruz (riche ville de l’est du pays) pour satisfaire le mouvement indigène; que les provinces rebelles devraient cesser les menaces séparatistes; et qu’un médiateur «international si possible, soit désigné pour débloquer» la confrontation au sujet de la majorité nécessaire en Chambre pour retoucher la constitution.

L’ombre de Chavez

Avec sa foi dans le socialisme, Morales est sans aucun doute l’allié le plus fidèle du président vénézuélien, Hugo Chavez, sur le continent. La coopération militaire entre les deux pays a récemment fait l’objet d’un scandale en Bolivie, alors qu’une trentaine d’officiers de l’armée du Venezuela sont entrés au pays sans l’approbation préalable du congrès. Selon le New York Times, le ministre de la Défense bolivien aurait dit que les militaires venaient pour enseigner le pilotage et l’entretien d’hélicoptères Super Puma, mis à la disposition de Morales par Caracas pour ses «déplacements personnels».

Mais les critiques voient là une sorte d’ingérence, craignant que les hommes de Chavez viennent aider La Paz à contrer les présents mouvements de contestation. Toujours rapportés par le New York Times sont les propos de l’ambassadeur du Venezuela en Bolivie, qui aurait déclaré que son pays était prêt à intervenir en faveur de Morales dans le cas d’une crise. Il a par la suite rectifié ses propos, «parlant d’assistance en termes généraux et non de déploiement de troupes», écrit le New York Times.

Cette relation intime irrite certains Boliviens, et le facteur Chavez, plutôt que de favoriser la gauche lors des dernières élections en Amérique latine, a nui aux candidats lui étant plus près idéologiquement, notamment Ollanta Humala au Pérou, Andres Manuel Lopez Obrador au Mexique.

L’homme fort de Caracas vient d’être investi pour un autre mandat où il prévoit changer la constitution pour se présenter indéfiniment à la présidence, et ses plans de nationalisation vont probablement se réaliser. «Le socialisme ou la mort», a-t-il déclaré, soulignant son admiration pour Castro et pour Jésus-Christ qu’il considère comme «le plus grand socialiste de tous les temps». L’un prêche la révolution violente et la dictature du prolétariat, et l’autre, comme nous le savons tous, la paix et l’amour de son prochain. Comment Chavez peut-il réconcilier ces deux opposés? Pour un homme dont l’amour-propre se manifeste sur des affiches géantes à son effigie, rien ne semble impossible. «Viens te battre ici, George W. Bush, je t’attends de pied ferme», aime-t-il lancer lors de ses émissions de télévision hebdomadaires, Alo Presidente.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.