L'efficacité des ONG en question

Écrit par Zora Ait El Machkouri, La Grande Époque – Montréal
25.01.2007

L’omniprésence des organisations non gouvernementales (ONG) sur la scène internationale n’est un secret pour personne. Elles se multiplient et sont présentes sur l’ensemble des continents. Leur dernière grande actualité remonte à la polémique qui a suivi la mobilisation financière «trop» importante après le tsunami de décembre 2004, qui avait fait 240 000 morts. Une des plus hautes juridictions en France s’est penchée sur ce «trop plein» des dons reçus par les ONG.

Le 3 janvier 2007, la Cour des comptes a en effet rendu public son rapport sur les fonds collectés par les ONG françaises. Le rapport émis fait état d’une lenteur dans l'utilisation de l'argent reçu, d’un manque d'informations aux donateurs et de l'affectation des fonds à d'autres causes.

  • victime du tsunami de décembre 2004, donne un bain à sa fille(Staff: JEWEL SAMAD / 2006 AFP)

 

Chargée de juger la régularité des organismes privés bénéficiant d’une aide de l’État, la Cour des comptes a fait déplacer 24 de ses magistrats en Indonésie, au Sri Lanka et en Thaïlande. Ils sont revenus avec des réserves sur l'utilisation des dons. Dix-sept des 32 associations étudiées sont rappelées à l'ordre. Sans être jugées «non conformes», elles font l'objet de «réserves» sur trois points.

 

La Cour des comptes a tout d’abord pointé du doigt la lenteur de l'affectation des dons par exemple pour la Croix-Rouge française qui a reçu 115 millions d'euros et qui n’en a utilisé que 15 %. Même son de cloche pour le Secours catholique qui n’a pas utilisé 80 % des dons qu’il a reçus.

En moyenne, un an après le drame, seule la moitié de l'argent avait été utilisée. Les magistrats déplorent aussi le manque d'informations fournies aux donateurs, épinglant notamment Médecins du Monde. Enfin, le rapport regrette également que les fonds aient parfois servi à financer des actions sans lien avec le tsunami. Par exemple, l’ONG Pompiers sans frontières aurait «procédé à une réaffectation contestable de 24 % des dons reçus».

Au final, la Cour des comptes observe que sur les 330 millions d'euros reçus, les ONG se sont «senties contraintes d'employer les fonds collectés» et ont parfois cédé à des «dérives par rapport aux objectifs présentés». Une conclusion à laquelle l’ONU était déjà arrivée : malgré leur importance incontestable, les ONG ont clairement des difficultés de gestion.

Mais sommes-nous capables d’identifier clairement ce que font les ONG? Leur domaine demeure nébuleux pour beaucoup d’entre nous. Nous avons donc décidé de nous pencher sur ces acteurs pour essayer de comprendre leur monde particulier.

Enseignant, responsable des relations avec les ONG au sein de l'Agence française de Développement et ancien chargé de mission à l'Ambassade de France aux États-Unis pour les relations avec les ONG et le secteur philanthropique américain, Joseph Zimet nous aide à comprendre les ONG grâce à son livre Les ONG, de nouveaux acteurs pour changer le monde[1], sorti en décembre dernier au Québec.

La Grande Époque (LGÉ) : À qui souhaitez-vous faire comprendre, en priorité,  l'importance que les ONG gagnent chaque jour sur la scène internationale?

Joseph Zimet (J.Z.) : Il suffit d’ouvrir un journal, d’allumer sa télévision ou parfois même de se promener dans la rue où les ONG collectent des fonds pour noter leur omniprésence et comprendre que les ONG sont des acteurs qui campent désormais dans notre quotidien. Ma priorité consiste à inviter des lecteurs non avertis à y voir plus clair dans cette galaxie des ONG que le grand public et les médias assimilent trop souvent et de façon réductrice à «l’humanitaire».

Si les ONG «humanitaires» jouent un rôle fondamental sur la scène internationale, toutes les ONG n’agissent pas pour autant dans le champ de l’humanitaire. Elles interviennent également dans le domaine de la défense des droits de l’homme, de la protection de l’environnement et de l’aide au développement, qui relèvent de la solidarité internationale, sans rapport toutefois avec «l’urgence humanitaire» qui est l’univers spécifique des crises politiques (guerres civiles, conflits, etc.) et des catastrophes naturelles. Il est important, selon moi, que le grand public saisisse la diversité et la pluralité des registres d’action des ONG.

LGÉ : Vous êtes vous-même un enseignant. Pensez-vous qu'il devient nécessaire d'enseigner aux jeunes ce qu'englobe la solidarité internationale pour une meilleure compréhension du monde actuel?

J. Z. : Je crois que cet effort de sensibilisation est en effet nécessaire, car il me paraît difficile de comprendre les grands enjeux du monde contemporain si on fait fi des questions de développement et de solidarité internationale qui se posent aujourd’hui dans le monde. Des questions telles que le réchauffement climatique, les risques pandémiques, la désertification ou les dynamiques du commerce mondial qui ont des incidences très fortes sur les individus, au Nord comme au Sud, sont aujourd’hui au cœur même des relations entre États.

L’enjeu de la réduction de la pauvreté et des inégalités est un défi qui se pose désormais à l’échelle de l’humanité toute entière. Les jeunes enfants, au même titre que les adultes, doivent être sensibilisés aux enjeux qui seront demain les leurs.

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LGÉ : Le 11 décembre dernier, l'ONG Tranparency International

a classé dans son rapport la République démocratique du Congo 6e pays

parmi les plus corrompus de la planète. En quoi les rapports émis par

les ONG sont-ils utiles?

J. Z : À titre personnel, je pense que l’exemple que vous citez est

l’illustration même du rôle positif des ONG : décrire des situations et

des phénomènes complexes dans les pays du Sud, que les États ou les

organisations internationales ne peuvent pas toujours évoquer compte

tenu des contraintes diplomatiques qui s’imposent à eux.

Je pense qu’une ONG est effectivement dans son rôle lorsqu’elle

dénonce, par des rapports ou des témoignages, le genre de situations

que vous mentionnez. Ce sur quoi je n’ai pu insister suffisamment dans

l’ouvrage, faute de temps, c’est que ces ONG interviennent également

pour dénoncer des situations au Nord, car le Sud n’a évidemment pas le

monopole des carences démocratiques ou de «bonne gouvernance», pour

reprendre un terme à la mode. Je crois que oui, nous avons

incontestablement besoin de ces rapports d’ONG qui «mettent les pieds

dans les plats» si vous m’autorisez cette expression un peu familière.

LGÉ : Vous parlez de l'importance de l'aide des États aux ONG. Par exemple, la France appuie modestement ses ONG. A contrario les

ONG américaines bénéficient de milliards de dollars de la part de leur

gouvernement. Comment comprendre que les ONG restent non

gouvernementales dans cette optique?

J. Z : Si la France appuie encore modestement ses ONG, c’est qu’elle

est l’héritière d’une coopération d’État, elle-même héritière d’un

passé et d’une présence coloniale, dans le domaine médical notamment.

Les États-Unis ont un autre modèle de présence dans les pays en

développement, qui relève davantage du modèle

«confessionnel-missionnaire», dont je parle dans le livre. Je crois que

les ONG américaines «captent» des États-Unis environ 30 % de l’aide

publique au développement. Mais la force des ONG américaines, ce sont

surtout les 250 milliards de dollars que les contribuables américains

donnent chaque année pour toutes sortes de causes charitables.

Les dernières enquêtes sur le financement des ONG françaises tendent à

démontrer que la part de financement privé s’accroît chaque année un

peu plus. Mais il faut insister sur l’effort de marketing réalisé par

les ONG ces dernières années pour augmenter leurs ressources propres et

s’affranchir en partie des financements publics.

Je crois que ce serait une erreur de considérer qu’une ONG perd son

identité si elle accepte des financements publics. Certaines ONG ont à

cœur de ne pas accepter de financements publics pour préserver leur

indépendance. Je crois que financement public et indépendance sont tout

à fait conciliables. Mais tout dépend, bien sûr, de la nature et du

degré de maturité de la relation entre un État et l’ONG en question.

LGÉ : Pourquoi n'existe-il pas aujourd'hui de centralisation

de toutes les ONG, une «Assemblée internationale des toutes les ONG»

comme vous l'évoquez. Est-ce un manque de volonté ou une impossibilité

logistique?

J. Z : Je ne sais pas s’il faut souhaiter une «centralisation» des ONG.

Ce terme a des accents bureaucratiques que je n’aime pas. Les ONG

offrent précisément l’avantage de contourner certains phénomènes

bureaucratiques. Lorsque j’évoque la perspective d’une «assemblée

mondiale des ONG» c’est pour décrire leur structuration politique, dans

leur travail de plaidoyer international, ainsi que leur insertion dans

le système multilatéral. Je vois dans cette hypothétique «assemblée»

davantage une reconnaissance dans et par le système international qu’un

mécanisme de centralisation et de coordination logistique. Mais tout

cela reste un scénario-fiction bien sûr…

[1]  Joseph Zimet, Les ONG, de nouveaux acteurs pour changer le monde, Éditions Autrement, collection monde d’aujourd’hui, disponible au Québec.