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Vers un nouveau drame dans la région africaine des Grands Lacs ?

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque
18.10.2007
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  • Des congolais déplacés par les combats dans la région du Nord-Kivu en République Démocratique du Congo à proximité de la ville de Mugunga(Stringer: SOFIA BOUDERBALA / 2007 AFP)

A la veille de nouveaux combats, un calme précaire avait remplacé le week-end dernier le bruit des tirs de mortiers sur les collines du Nord Kivu, à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC). Après le pilonnage par les troupes gouvernementales des positions de l’ancien général et chef-rebelle tutsie Laurent Nkunda, des milliers de civils ont fui la région, peu accessible à l’aide internationale. La volonté, affichée depuis le mois d’août, du président Joseph Kabila d’en «finir vite» fait craindre aux Nations unies une catastrophe humanitaire.

En bordure de l’Ouganda et du Rwanda, le conflit du Nord Kivu a déjà provoqué le déplacement de près de 400 000 civils depuis la fin de l’année 2006. En filigrane de cette lutte armée reste le souvenir du génocide rwandais de 1994, la poursuite de la lutte entre Hutus et Tutsies et la recherche par le Rwanda et l’Ouganda d’un contrôle des formidables ressources minières de la République démocratique du Congo, ex-Zaïre mobutiste.

Après la fin du fragile cessez-le-feu imposé par la mission de l’ONU en RDC (Monuc) le 6 septembre, les Forces armées congolaises (FARDC), dont 15 000 hommes sont déployés au Nord-Kivu, ont la semaine dernière progressé sur le terrain et repris le contrôle de plusieurs localités au nord-ouest de la capitale provinciale Goma, tout en restant incapables de déloger le millier d’insurgés présents dans la ville de Mushake. Le désavantage des troupes de Laurent Nkunda sur le terrain est tel que celui-ci a rapidement proclamé un nouveau cessez-le-feu, très mal suivi du côté des troupes légalistes qui entendent maintenir leur avantage.

Laurent Nkunda, «Tutsie Power» au pays des chefs de guerre

Le feu brièvement éteint du conflit armé au Nord-Kivu  s’est rallumé lorsque l’ancien général congolais Laurent Nkunda a rompu, le lundi 8 octobre, le cessez-le-feu arraché en septembre par la Monuc.

À la tête d’environ 6 000 soldats, Laurent Nkunda est depuis des années en opposition directe au pouvoir de Kinshasa, représenté par Joseph Kabila qu’il accuse de discrimination envers la minorité tutsie en République démocratique du Congo (RDC).

Le «général» Nkunda, aujourd’hui âgé de 40 ans, a fait ses premières armes dans les rangs du Front patriotique rwandais, ces rebelles tutsies qui ont en 1994 mis fin au génocide des tutsies rwandais par les extrémistes partisans du « hutu power». Bilan : 800 000 morts.

Nkunda, lui-même tutsie congolais, a ensuite combattu aux côtés de Laurent-Désiré Kabila (père de l’actuel chef de l’État congolais, Joseph Kabila) dont la rébellion, avec le soutien en particulier de l’armée rwandaise, a permis de renverser en 1997 le dictateur Mobutu, qui avait perdu l’appui des États-Unis.

La «deuxième» guerre du Congo a commencé  à peine un an après : arrivé au pouvoir, Laurent-Désiré Kabila a pris ses distances du Rwanda et de l’Ouganda et repris le contrôle de l’énorme filon minier de la RDC, depuis des années «en libre-service» pour les pays frontaliers ; ses deux anciens alliés se sont alors ligués contre lui pour le renverser - mais se sont heurtés à la résistance de la population congolaise et au soutien militaire que Kabila a obtenu de la part du Zimbabwe et de l’Angola.

Cette deuxième guerre du Congo a duré jusque fin 2002, le territoire congolais divisé en quatre territoires autonomes, un sous contrôle de Kinshasa et les trois autres régentés par des groupes rebelles. Les deux plus importants de ces groupes étaient, à l’Est, le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie), soutenu par le Rwanda et, au Nord, le Mouvement de libération du Congo (MLC), soutenu par l’Ouganda. Laurent Nkunda, fidèle au Rwanda, a à cette époque pris un poste de commandement au sein du RCD.

En 2002, après médiation onusienne et signature des accords de Sun City et de Luanda, les groupes rebelles ont signé un accord de cessez-le-feu, qui a permis de commencer la constitution en 2003 d’un fragile gouvernement d’union nationale – fragile car imposée de l’extérieur, traînant à ses pieds les 3,8 millions de victimes des 4 années de guerre passées, fragile car les ambitions rwandaises et ougandaises n’avaient pas changé.

Promu général en 2004 par Joseph Kabila, Laurent Nkunda a rapidement décidé de retourner au Nord-Kivu avec ses hommes, d’où il mène depuis une guerre d’usure contre une armée congolaise nombreuse mais mal coordonnée.

Pour Laurent Nkunda, Kinshasa et l’armée pactisent avec les rebelles hutus rwandais génocidaires de l’Est de la RDC. Il présente donc son action comme une volonté de protéger les Tutsies congolais (Banyamulenge) concentrés dans cette même région.

Cette considération «humaniste» ne l’empêche pas de recruter de force des enfants et de cautionner les viols et les meurtres de civils par ses troupes. Un mandat d’arrêt international a été émis contre lui en 2005 pour crimes de guerre, que la Monuc n’a pas cru de son ressort d’appliquer. Le 13 septembre, les troupes de la Monuc ont mis à jour des fosses communes dans une ancienne position de soldats de Nkunda.

La marque du Rwanda et de Paul Kagame

Les cicatrices du génocide des Tutsie au Rwanda en 1994 restent donc profondément imprimées dans toute la vie politique de la région des grands lacs. Les Tutsies, historiquement de tradition pastorale et mis aux postes de responsabilité lors de la période coloniale, se sentent en permanence sous menace hutu et les Hutus se sentent eux sous menace tutsie.

Mais au-delà de cela est le fait que le Rwanda, un des pays les plus densément peuplés du monde, étouffe de manque d’espace et de non-accès aux ressources minières dont, frontières ou pas, il bénéficiait librement avant la seconde guerre du Congo. Le pouvoir rwandais revendique depuis des années toute une partie de l’Est de la RDC comme étant «historiquement rwandais». La question ethnique est donc loin d’être la seule donnée du problème.

Les hommes de Nkunda portent l’uniforme rwandais et bénéficient d’équipement dernier cri qui ne peuvent leur venir que «d’amis». Nkunda lui-même, lorsque la question lui est posée, ne s’en sort que par une pirouette : «Mais nous sommes tous des soldats de l’armée rwandaise, (Joseph) Kabila aussi», répond-il, rappelant que l’actuel président a été «formé dans le maquis» par James Kabarebe, chef de l’armée rwandaise.

«Je me battrai tant que les Interahamwe (extrémistes hutus rwandais) seront ici», répète-t-il aussi, se défendant d’œuvrer à une partition du Congo, qui semble pourtant un débouché naturel pour ce Rwanda surpeuplé et pauvre en minerais.

Que visent les combats menés par les hommes de Nkunda ? les extrémistes hutus impliqués dans les massacres de 1994 ou l’accès pour le Rwanda aux réserves d’or, de cobalt et de cuivre de la région ?

Ce qui est certain pour Erwin van der Borght, directeur du programme Afrique d’Amnesty, c’est qu’«en dépit des accords de paix, d’élections nationales qui ont fait date, et du déploiement continu de plus de 17 000 casques bleus, les habitants des Kivu (Nord et Sud) n’ont jamais vu la fin d’un conflit qui a ravagé leur existence pendant plus d’une décennie».

De sources diplomatiques, Nkunda serait en négociations pour un exil doré dans une villa du Cap, en Afrique du Sud, avec garantie d’impunité pour les crimes commis, en particulier lors de la prise de contrôle de la ville de Bukavu en 2004. Les Tutsies, eux, craignent déjà de faire le frais des représailles de l’armée congolaise.

 

 

Les dates de la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre)

Juin 1960. Indépendance de la colonie belge.

17 janvier 1961. Le Premier ministre Patrice Lumumba est assassiné.

1965. Prise de pouvoir de Joseph Mobutu.

1971. La «République du Congo» devient  le «Zaïre».

Mai 1997. L’Alliance des forces démocratiques pour la libération (AFDL), menée par Laurent-Désiré Kabila, renverse le président Mobutu. Fin de la «première guerre» du Congo.

2 août 1998. Des militaires congolais tutsies sous influence rwandaise lancent un mouvement de rébellion dans le Kivu. Début de la «Seconde guerre» du Congo.

24 février 2000. L’ONU expédie cinq mille cinq cents casques bleus pour garantir le cessez-le-feu. C’est le premier contingent de la Monuc.

16 janvier 2001. Laurent-Désiré Kabila, assassiné, est remplacé par son fils Joseph.

Février 2002 - avril 2003. Dialogue intercongolais en Afrique du Sud pour arriver à une réconciliation nationale.

Juillet-septembre 2002. Accords de paix entre RDC, Rwanda et Angola.

30 juin 2003. Premier Gouvernement de transition.

Décembre 2005. La Constitution est adoptée par référendum.

30 juillet 2006. Élections présidentielles, législatives et provinciales.

27 novembre 2006.  Joseph Kabila réélu président face à Jean-Pierre Bemba.

22 mars 2006. heurts sérieux entre les troupes de Kabila et celles de Bemba.

11 avril 2007. Jean-Pierre Bemba quitte le pays.

6 septembre. la Monuc se positionne au Nord-Kivu et obtient un cessez-le-feu entre les troupes gouvernementales et celles de Laurent Nkunda.

8 octobre.  Nkunda rompt unilatéralement le cessez-le-feu. Après trois jours de combat, il a perdu une centaine d’hommes et demande un cessez-le-feu pour «éviter des victimes civiles».

Actuellement la Monuc est la plus importante force de maintien de la paix dans le monde avec plus de 17 500 casques bleus. La Monuc a déployé 90 % de ses troupes dans l’Est congolais, dont 4 300 au Nord-Kivu.

 

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.