Les langues qui meurent
De par le monde, ce sont des centaines de langues indigènes, dont certaines sont vieilles de 10 mille ans qui s'éteignent à un rythme alarmant. Dans beaucoup de régions, une langue meurt tous les 14 jours. La survie de certaines d'entres elles ne tient qu' à un fil, ne comptant plus qu'une ou quelques personnes qui les parlent.
Un projet du National Geographic nommée Enduring Voices a identifié cinq «points chauds» sur le globe où de nombreuses langues sont en train de disparaître: le nord-ouest du Pacifique, le sud-ouest de l'Oklahoma, le nord de l'Australie, la Sibérie centrale et orientale et le centre de l'Amérique du Sud.
Les chercheurs de Enduring Voices ont constaté que plus de 500 des langues parlées dans le monde le sont par moins de 10 personnes. La vitesse d'extinction actuelle est, selon les chercheurs, une première dans notre histoire.
Le niveau de cette menace dans le nord-ouest du Pacifique, comprenant la Colombie britannique et certaines parties de l'état de Washington, de l'Oregon et de l'Alaska, est évalué dans l'étude comme étant grave. Seul le nord de l'Australie et une région de l'Amérique du Sud font face à un déclin linguistique encore plus rapide.
Les linguistes déplorent le fait qu'en s'éteignant, une langue emporte avec elle un immense réservoir de connaissances irremplaçables accumulées au fil de milliers d'années sur le monde naturel, les éco-systèmes et les traditions culturelles.
«C'est un ensemble de structures linguistiques qui se perd également,» dit le linguiste Gregory Anderson. «Ce qui se passe ici est une perte pour l'ensemble de l'humanité.»
Mr Anderson, le directeur de l'Institut des langues vivantes pour les langues menacées dans l'Oregon, explique que la langue Haida des îles de la Reine- Charlotte (Colombie britannique) et de l'Alaska, avec seulement 50 personnes âgées qui la parlent , est dans une «situation absolument désespérée.»
La langue Haida , qui se partage en deux dialectes ,a ceci de «fascinant», selon Anderson, qu'elle semble n'avoir aucun point commun avec une autre langue dans le monde. « Quand elle disparaîtra, c'est un pan entier [de l'humanité] qui disparaîtra avec elle» dit-il.
Plus de 60% des langues indigènes du Canada sont parlées en Colombie britannique. Cependant, d'après Bill Poser, professeur adjoint à l'Université de la Colombie britannique, des 36 autres langues de la province, 13 sont parlées par moins de 50 personnes chacune, toutes âgées d' au moins 15 ans.
«Une fois que les enfants cessent d'apprendre quotidiennement une langue, elle meurt. Même une langue qui a encore des milliers de personnes qui la parlent (locuteurs), s'il n'y a plus de jeunes enfants parmi eux, alors cette langue est sur son lit de mort.» dit Poser, un linguiste qui étudie la langue porteur à Prince George, une langue qui est également en danger.
Tandis que toutes les langues indigènes en Colombie britannique sont sur le déclin et que trois d'entre elles sont dejà éteintes, plusieurs autres langues indigènes continuent à être transmises ailleurs au Canada, comme le Crie, l' Inuktitut, l' Ojibwé, le Slave et le Dogrib.
Bien que les raisons de la disparition des langues indigènes soient multiples et variées, il est généralement admis que le coup fatal a été asséné par le colonialisme. Beaucoup de régions où les langues sont les plus menacées se situent sur des territoires où des gouvernements de l'époque coloniale punissaient les indigènes qui parlaient leur propre langue.
Pour Kevin Annett, auteur de Hidden From History : The Canadian Holocaust, puisque les dialectes définissaient les frontières territoriales des différentes nations et établissaient de fait à qui appartenait les terres, détruire ces dialectes était une part constitutive «de la mainmise coloniale».
D'après les estimations, plus de la moitié des langues du monde se sont éteintes au cours des cinq siècles écoulés. Les chercheurs disent que les langues locales disparaissent actuellement plus rapidement qu'à toutes les périodes du passé, au moins la moitié des 7.000 langues encore vivantes dans le monde vont s'éteindre d'ici la fin du siècle.
Cependant, des efforts sont entrepris dans de nombreuses communautés à travers le monde pour enregistrer et préserver leur langue avant que les derniers locuteurs ne meurent. Pour soutenir de tels efforts, l'Institut des langues vivantes apporte son aide à la base pour des communautés de tailles variées.
En Colombie britannique, First Voices, qui fournit un choix d'outils informatiques et de services conçus pour aider les peuples autochtones engagés dans l'archivage et l'enseignement de leur langue et la revitalisation culturelle, regroupe actuellement 26 communautés.
Ecrire une langue qui n'a jamais existé que sous forme orale, est un véritable casse-tête qui prend du temps comme c'est le cas de beaucoup de langues indigènes.
«Récemment on a reconnu que pour pouvoir garder la trace enregistrée de ces langues, il fallait les écrire, d'où la conception de multiples systèmes d'écriture,» dit Peter Brand, coordinateur de First Voices.
«Nous les prenons tous en charge, et ils sont tous absolument uniques – et chaque langue actuellement documentée à First Voices utilise un système d'écriture ou un autre.»
Le Haida de l'île de la Reine- Charlotte est utilisé dans le programme Immersion Haida Skidegate au cours duquel les aînés apprennent la langue et partagent les légendes et l'histoire orale avec les jeunes générations. En Alaska, plusieurs niveaux de cours de Haida ont été proposés à differentes communautés, et l'Université du sud-est de l'Alaska dispense des cours de Haida. L'Université de la Colombie britannique dans son programme actuel propose des cours de langue des Musqueams, le Crie et le Porteur.
Au cours des 10 années qu'il a passé à l' École résidentielle pour Indiens de l'Île Kuper, Johnny Delmar était attaché et on lui lavait la bouche au savon chaque fois qu'il parlait sa langue hul'q'umi'num des Salishs de la Côte . Maintenant pourtant, avec ses enfants, Johnny qui a 61 ans réapprend son dialecte, qui dit-il «donne vraiment du sens» que l'on ne peut pas exprimer en anglais.
«Jusqu'à une époque récente, j'étais resté à l'écart de ce qui se rapportait à ma langue» dit-il. «Puis j'ai commencé à comprendre que j'avais besoin de ma langue. Je suis un Indien, j'ai besoin de l' être»
L'un des neveux de Johnny qui parle couranment le hul'q'umi'num, a été enseigné directement par un ancien. Il a maintenant l'honneur de prendre la parole lors des réunions à la longère.
Toutefois, alors même que les efforts d'apprentissage, les documents relatifs à une langue et les archives lui assurent la survie en tant que «vecteurs écrits de la culture, il n' y a aucun espoir de remettre en usage une langue sur le point de s'éteindre» dit Poser.
L' hébreu et le gallois ont été menacés dans le passé, mais ces langues doivent leur survie à de grandes populations et à l'appui de l'État. L'appui de l'État a permis tout autant de faire revivre les dialectes hawaïen et maoris de la Nouvelle-Zélande. Cependant, aucun de ces dialectes n'en avaient été au point de n'être plus parlés par les enfants.
Pour raviver une langue qui a été réduite à quelques locuteurs très âgés, Poser dit qu'un programme d'immersion totale est indispensable après le niveau pré-scolaire et le seul endroit où cela arrive actuellement en Colombie britannique est à Chief Atahm School, dans la communauté des Shuswaps à Adams Lake.
Le programme a été «un succès mémorable» dans ces cinq cours qui ont même permis à des étudiants d'obtenir un diplôme et de parler couramment le shuswap. S'ils continuent à utiliser la langue à l'extérieur de l'école, ils la retiendront, affirme Poser.
Il faut cependant bien plus que cela pour maintenir en vie une langue.
« Le problème est que ces enfants sont en minorité dans leur communauté. La question se pose de savoir s'ils vont rester là et se marier et éléver leurs enfants dans la langue locale. Malheureusement, les chances que ce soit le cas sont très faibles. »