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Jusqu’où ira la rhétorique anti-Iran? - ANALYSE

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque – Montréal
23.10.2007
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  • Le président américain, George W. Bush(Staff: NICHOLAS KAMM / 2007 AFP)

Les élites dirigeantes nous préparent-elles à la guerre?

De la guerre des mots à la guerre des bombes, il n’y a qu’un petit pas. Les États-Unis nous ont habitués ces dernières années à ce que les conflits qui se dessinent fassent l’objet d’intenses campagnes de relations publiques. Le coup des «armes de destruction massive» sous l’Irak de Saddam Hussein est encore très frais dans la mémoire. Il n’est pas impossible que ces armes aient été bien cachées ou même déplacées dans un pays limitrophe pour déjouer les inspecteurs de l’ONU. C’est une thèse que certains analystes défendent. Mais les expériences passées racontent que les gouvernements trouvent toujours profitable de diaboliser leurs ennemis et d’amplifier la menace avant de mener une action contre eux.

Le monde est-il victime d’un tel scénario en ce qui concerne la «menace nucléaire» iranienne? À travers la tempête d’informations, les opérations médiatiques et le brandissement des armes, une certaine tendance est facilement identifiable, mais les prochains développements restent pour l’instant toujours flous. Une guerre se prépare-t-elle vraiment, ou s’agit-il seulement d’une stratégie de chantage pour faire plier Téhéran? La thèse du bluff est plutôt faible, compte tenu que l’Iran s’est toujours montré plus ferme et renforcé par les menaces de sanctions, peu importe leur nature.

La «Troisième Guerre mondiale» de Bush

Au niveau de la rhétorique, le président américain George W. Bush a atteint de nouveaux sommets la semaine dernière. «Si vous voulez éviter la Troisième Guerre mondiale», il faut empêcher l’Iran d’obtenir l’arme nucléaire, a-t-il déclaré. Cette affirmation est venue enflammer la scène, surtout qu’elle coïncidait avec la visite du président russe, Vladimir Poutine, en Iran. Nous y reviendrons.

Faire allusion à un autre grand conflit mondial a dû projeter les relationnistes de la Maison Blanche en mode damage control. «Le président n’était pas en train de faire de plans militaires et il ne faisait pas de déclarations», a suggéré après coup la porte-parole de M. Bush, Dana Perino. «Il utilisait cela comme un point rhétorique.» Est-ce que le président américain en a échappé une? Ou est-ce que c’était calculé de manière à tester l’opinion publique ou à envoyer un message à l’Iran?

Dans la guerre des mots, l’Iran a répondu que ces déclarations de M. Bush démontraient la faillite de la politique américaine et essayaient d’en détourner l’attention. Abdol Reza Rahmani Fazli, un des dirigeants du Conseil suprême de sécurité nationale de l’Iran, a dit que «les déclarations du président américain, qui prétend que l’Iran cherche à se doter de l’arme nucléaire, font partie d’une guerre psychologique».

Téhéran dit aussi officiellement que les États-Unis n’ont pas la capacité de les attaquer, en raison du bourbier irakien et de l’Afghanistan. «Les Américains n’ont jamais été dans une situation aussi grave, et cela en raison de leurs propres actions», a déclaré le ministre des Affaires étrangères iranien, Manouchehr Mottaki, a rapporté Reuters. Ses propos étaient en réaction à une affirmation du plus haut placé de l’appareil militaire américain, l’amiral Michael Mullen. Ce dernier avait laissé entendre, le 18 octobre dernier, que les États-Unis avaient «plus qu’assez» de ressources pour mener une guerre contre l’Iran, si tel était le choix de l’administration.

Le combat de coqs ne s’est pas arrêté là. L’agence russe Ria Novosti rapportait, le 20 octobre, les paroles du commandant des Gardiens de la révolution iraniens, le général Mahmoud Chaharbaghi : «Durant la première minute d’une attaque de nos ennemis contre notre pays, les unités de missiles et d’artillerie de nos troupes terrestres sont capables de tirer 11 000 missiles et obus sur des cibles que nous connaissons.» Le commandant a commenté : «Une guerre éventuelle ne durera pas longtemps car, dans l’espace de quelques jours, nous allons réduire nos ennemis en cendres. L’ennemi doit se demander quelles pertes il est prêt à subir pour sa stupidité.»

L’échec en Irak

Face à l’incapacité des forces américaines de ramener le calme en Irak, le voisin iranien a, au fil des mois, été présenté de plus en plus comme le bouc émissaire des déboires. Opérateurs iraniens capturés en sol irakien, bombes et missiles provenant d’Iran aux mains d’insurgés, entraînement fourni du côté iranien, bref la liste d’accusations est longue. Dans le langage de certains hauts dirigeants, militaires ou civils, l’Irak est devenu le terrain d’une guerre par pays interposés (proxy war) entre les États-Unis et l’Iran. Les plus critiques des efforts américains n’y voient qu’une machination de Washington pour justifier une intervention militaire en Iran, tandis que les partisans de la lutte contre le terrorisme rappellent que le Hezbollah libanais est un bras du régime des mollahs.

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Le rôle d’Israël

Le rôle d’Israël dans cette histoire est déterminant. On retrouve au sein de son administration et du lobby pro-israélien les partisans les plus déterminés d’une approche forte contre l’Iran. Et pour cause, car dans leur compréhension il en va de la survie de l’État hébreu. Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a répété à plusieurs reprises son désir d’en finir avec Israël.

Ces déclarations incendiaires ont suscité la colère, mais n’ont pas déclenché d’actions spécifiques. Mais pour les plus grands détracteurs du régime iranien, les mots d’Ahmadinejad ne représentent rien de moins qu’une incitation au génocide.

Lors de la Conférence mondiale pour la prévention du génocide qui s’est tenue à Montréal du 11 au 13 octobre, un des thèmes abordés était Les racines du génocide : propagande de la haine et banalisation du mal. Le député libéral et ancien ministre de la Justice, Irwin Cotler, a particulièrement parlé du cas iranien. Selon lui, le fait d’écrire «Effacer Israël de la carte» sur un missile Shabbaz et le parader dans les rues de Téhéran représente un signe annonciateur d’un génocide. M. Cotler s’insurge que l’Iran puisse s’en tirer avec de tels gestes. «L’Holocauste n’a pas commencé avec les chambres à gaz, il a commencé avec des mots», a-t-il rappelé.

Des hypothèses suggèrent qu’Israël serait au beau milieu d’un plan d’intervention militaire contre le régime iranien. L’affaire du bombardement israélien en Syrie au début du mois de septembre a fait couler beaucoup d’encre et nous sommes demeurés dans le mystère quant à la motivation exacte.

Selon quelques fuites de l’administration américaine, on en venait à suggérer une certaine implication de la Corée du Nord. Une des théories est la suivante : l’administration Bush cherche la détente avec Pyongyang, à condition qu’elle se départisse de son programme nucléaire. Kim Jong-Il, le «cher» dirigeant communiste, a plus d’un tour dans son sac. Il dit «oui, oui», se retourne et vend le matériel nucléaire à la Syrie. Le bombardement israélien en Syrie aurait visé des installations nucléaires rendues possible grâce à une coopération de Pyongyang. Cette thèse ne fait pas l’unanimité, étant balayée par certains comme un pur non-sens. Elle serait, selon eux, la fabrication d’une clique de gens voulant nuire aux efforts de détente de Bush avec la Corée du Nord.

Tony Blair s’en mêle

L’ancien premier ministre britannique, Tony Blair, s’est joint au canon de voix critiquant l’Iran. Dans son premier discours majeur depuis qu’il a quitté son poste, rapporte BBC News, s’adressant à des gens influents de New York, il a déclaré que l’Iran jouait un rôle déstabilisateur et soutenait le terrorisme. L’homme, fidèle allié de Washington, aurait comparé le discours du régime iranien avec la montée du fascisme dans les années 1920.

Changer de cible

Le célèbre journaliste américain du New Yorker, Seymour Hersh, révélait récemment que l’administration Bush avait décidé de changer de cible dans une éventuelle attaque contre l’Iran. Le souhait de désigner les Gardiens de la révolution iraniens (ou Pasdarans) comme «organisation terroriste» en serait un signe. Plutôt que de cibler des installations nucléaires, Bush-Cheney et compagnie auraient décidé d’attaquer le corps d’élite de l’armée iranienne.

Selon Hersh, ce changement s’expliquerait par plusieurs facteurs. Premièrement, «le président et ses conseillers principaux auraient conclu que la campagne pour convaincre le public américain que l’Iran pose une menace nucléaire imminente aurait échoué (contrairement à une campagne similaire menant à la guerre en Irak), donc qu’il n’y aurait pas assez de soutien populaire pour une campagne de bombardement massive». Deuxièmement, la Maison Blanche aurait reconnu que l’Iran aurait encore besoin de cinq ans avant d’avoir la bombe. Troisièmement, on croirait de plus en plus, à Washington, que l’Iran émerge au Moyen-Orient comme «le champion géopolitique de la guerre en Irak».

Guerre mondiale?

Avec Vladimir Poutine en visite en Iran, la déclaration «rhétorique» du président Bush était-elle si farfelue? Les pays sont à couteaux tirés, et chaque rencontre entre les deux géants visant à «régler des différents» finit plus souvent qu’autrement par une rebuffade de Moscou. Nouvelle course à l’armement et nouvelle guerre froide sont des termes de plus en plus récurrents. Eux aussi ne sont pas farfelus, avec l’ambition non cachée de la Russie de s’imposer concrètement sur la scène internationale.

La plus grande pomme de discorde demeure bien entendu l’Iran, pays avec lequel Poutine souhaite avoir une coopération accrue. Comment réagirait Moscou à des frappes américaines chez son copain voisin?

Le rôle de la Grande-Bretagne serait assez clair et celui de la France, sous le nouveau président Sarkozy, l’est aussi. Les récentes déclarations du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, laissent entendre que Paris se rallierait à Washington plutôt que de faire un pied de nez à Bush semblable à celui sur la guerre en Irak. En ce qui a trait à la Chine, elle rejoindrait naturellement la position russe.

Si la France rejetait l’invasion de l’Irak en raison d’une violation du droit international et de l’absence de l’aval des Nations Unies, il serait intéressant de voir comment elle justifierait une prise de position différente cette fois-ci.

Y a-t-il une solution pour renverser la vapeur? La machine semble bien engagée. Ce qui incombe à présent pour la population occidentale, c’est de demeurer bien vigilante. Ni exagération ou négation de la menace ne prennent en compte tous les aspects de la question.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.