Le didgeridoo- Origines et tabous d'un instrument sacré

Écrit par Kati Turcu, La Grande Époque - Melbourne.
06.10.2007

  • Un aborigène jouant du digeridoo(Stringer: Sergio Dionisio / 2007 Getty Images)

 

Le didgeridoo subjugue tous ceux qui l'ont entendu,  quelles que soient leurs  références culturelles, parce qu'il  ne ressemble à aucun autre instrument. 

Mise à part que c'est en soit  un objet d'art,  il a des sons et des rythmes  qui évoquent quelque chose qui monte des profondeurs de la terre pour conter les récits de temps  mythiques  lointains. 

Bien que  la plupart des  gens prennent le didgeridoo pour  le symbole  de  la culture indigène australienne, avant l'installation des Européens  le didgeridoo n'était connu et pratiqué  que dans les zones tropicales du nord de l'Australie, où les pratiques culturelles traditionnelles  sont restées vivaces en raison de  leur éloignement. Elles ont ainsi résisté pendant longtemps aux tentatives d'établissement d'avant-postes coloniaux, contrairement  aux autres  parties du pays.

Guan Lim, du Centre culturel  australien du didgeridoo, consacre son temps à enseigner au  public le sens des pratiques culturelles indigènes associées  à cet instrument.

Il indique qu'il y a eu une diffusion de la culture le long des routes et  des  campements  présents à travers toute l'Australie. Toutefois, «le didgeridoo  reste un instrument sacré sur la  Terre d'Arnhem, ainsi que dans certaines regions du nord-ouest,  autour  des  Kimberleys et entre le Territoire du Nord et les Kimberleys, des  endroits où les pratiques culturelles ont été maintenues  et sont considérées  comme sacrées.»

Pour le peuple  aborigène  de la Terre d'Arnhem, le didgeridoo fait partie du  Temps du Rêve, période au cours de laquelle les Grands Êtres ont créé la terre, toutes les formes de vie qui s'y déploient  aussi bien que le code moral au sein duquel les êtres humains pouvaient vivre.

Le didgeridoo est considéré comme  une part de  la génèse même de la vie et de la culture et un instrument qui  transmet un savoir sacré.

Selon Djalu Gurruwiwi - un  ancien du clan Galpu - un didgeridoo conçu par un  Aborigène qui soit un possesseur ou un gardien traditionnel de l'instrument  a une âme, tandis qu'un instrument fabriqué par une personne non-indigène est simplement un instrument de musique, comme une trompette ou un trombone. C'est pareil pour les didgeridoos fabriqués par les  Aborigènes qui n'ont pas l'instrument dans leur héritage culturel.

Même dans la tradition des gardiens il y a des  évènements  au cours desquels un  genre différent de didgeridoo est révélé  pour être vu exclusivement  par des hommes initiés et dont les secrets ne sont connus que des anciens les plus haut placés  et qui ont pour mission de maintienir  la loi .  La  transgression de cette loi est passible de châtiments graves,  y compris la mort  par envoûtement.

Le didgeridoo est actuellement à la portée de toute personne qui veut  l'entendre. Étonnamment,  Guan Lim nous indique que si :

 «L'instrument est sacré, il n'est pas secret.  Les anciens d'Arnhem ont  voyagé à l'étranger y compris jusqu'à  Dubaï,  en Allemagne,  en  Malaisie, à Singapour,  en France,  au Japon et  à Taïwan pour des représentations publiques. Quand ils jouent, ils  exécutent exactement ce qu'ils font dans leurs  cérémonies. Il y a  des  formes et des rythmes fixes qui ne peuvent pas être changés, donc les  morceaux joués sont dans  leur forme  originelle – c'est simplement le contexte  qui est différent. Les chansons et les danses n'ont subi aucune modification, il peut juste arriver parfois que les chants  aient  une signification cachée».

Grâce au didgeridoo, les  peuples australiens non indigènes et les autres peuples  peuvent aussi accéder à une meilleure compréhension de  cette culture.

 Beaucoup de personnes sont fascinées par la respiration  «circulaire»  utilisée pour jouer de l'instrument - cette technique qui permet aux joueurs d'exécuter les sons en continue, sans s'arrêter pour reprendre leur souffle,   en prenant de petites respirations regulières par le nez afin de garder les poumons rempli d'air en permanence.

Les joueurs confirmés dans la tradition aborigène  sont capables  de  techniques stupéfiantes et de compositions  complexes  d' une grande subtilité. M. Lim pense que le son mystérieux du didgeridoo peut servir à susciter  de l' intérêt pour les langues et les cultures  aborigènes.

Malgré les tabous associés au didgeridoo, sa  popularité croissante signifie que beaucoup de musiciens  en Australie  et ailleurs se sont mis à étudier le jeu du didgeridoo.  On le fait aussi dans toutes les parties de l'Australie,   même en Tasmanie ou dans les  régions  désertiques, bien qu'il ne soit pas utilisé dans des cérémonies mais qu'on en joue pour se divertir .

Les groupes de danse utilisent le didgeridoo comme  un élément à part entière de leur  formation. Pour Mr. Lim, ce n'est pas forcement une mauvaise chose –  l'objectif  essentiel  étant de ne pas perdre la culture traditionnelle, ni de confondre la  modernité  et la tradition.

«Là où il y a des  gardiens, il y a des  litiges sur  qui  peut chanter  certaines chansons et qui peut danser certaines danses. Si cette culture est   réduite  à cause d'une  mauvaise perception  de l'instrument,  elle se perdra. Si le monde entier ne se préoccupe que de la nouveauté, alors nous avons vraiment perdu quelque chose d'important et quelque chose qui vaut la peine d'être  maintenu.»