La Géorgie en route vers des élections présidentielles anticipées

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque
21.11.2007

  • Des soldats georgiens(Staff: VIKTOR DRACHEV / 2007 AFP)

 

Le scénario de la « révolution des roses » géorgienne de 2003, s’est à peu de choses près reproduit début novembre. Le président géorgien Mikheïl Saakachvili, amené au pouvoir en 2004 suite à des manifestations populaires contre le président d’alors, Chevardnaze, a vu à ses propres fenêtres près de 100 000 Géorgiens demandant son départ ; et obtenant des élections présidentielles anticipées qui feront au final peut-être plus l’affaire du président que de l’opposition. Spécialiste de la surprise et du renversement de situation, celui-ci a annoncé le 16 novembre le départ de l’ensemble de son gouvernement en même temps que la levée de l’état d’urgence décrété 9 jours plus tôt.

La Géorgie suit aujourd’hui encore un chemin entre Russie et Occident, proche – crise du pétrole oblige – de celui du tracé des oléoducs ; elle peine à divorcer définitivement des vieilles habitudes soviétiques. Lors des manifestations qui, entre le 2 et le 8 novembre, ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes chaque jour devant le Parlement géorgien, le peuple a exprimé massivement sa lassitude de voir la corruption toujours présente. La répression sévit à la place de l’amélioration de la vie qui leur avait été promise en 2004.

Les manifestants, durement réprimés par la police le 7 novembre, avaient fait le déplacement de toute la Géorgie pour exiger le départ du président Mikheïl Saakachvili.

Fait notable, parmi eux figuraient une proportion considérable d’anciens sympathisants et de soutiens historiques du Président particulièrement amers, passés à l’opposition par déception.

«Pardonnez-moi d’avoir aidé Saakachvili à arriver au pouvoir», déclarait à l’AFP un ancien allié du président, Koba Davitachvili, du Parti du Peuple, se disant prêt à verser «son sang pour effacer ses péchés».

«Saakachvili est un menteur. Il a trahi les attentes du peuple. Nous n’avons pas de libertés», ajoutait une manifestante.

 Pour les leaders de l’opposition, qui ont tenté de structurer le mouvement de contestation, la «bonne réputation internationale» du président dissimule la répression de l’opposition, la manipulation de la justice et une corruption endémique accroissant le fossé entre riches et pauvres dans le pays.

Le mouvement de contestation avait pris forme après l’arrestation le 27 septembre de l’ex-ministre de la Défense Irakli Okrouachvili, qui accusait le président d’avoir planifié le meurtre de personnalités de l’opposition.

Le 7 novembre, la police et les forces spéciales sont intervenues avec violence pour disperser les manifestants, créant des mouvements de panique. Le président Mikheïl Saakachvili a le même jour décrété l’état d’urgence et annoncé l’expulsion de trois diplomates russes, accusés d’avoir conspiré avec l’opposition pour  «tenter un coup d’Etat».

Peu auparavant, la chaîne d’opposition Imedi TV avait cessé d’émettre, bloquée par les forces spéciales géorgiennes, son matériel saisi.

Le lendemain, 8 novembre, l’OTAN – à l’adhésion de laquelle rêve le président Saakachvili – critiquait vertement la répression par les forces anti-émeutes, qui ont frappé les manifestants à coups de matraque, tiré des balles en caoutchouc et utilisé gaz lacrymogènes et canons à eau, plongeant Tbilissi dans le chaos. Le même jour, Saakachvili annonçait des élections présidentielles anticipées et réalisait le coup de maître de calmer immédiatement le pays – qui se dirige donc vers une nouvelle étape politique de sa longue transition post-communiste.

LE PAYS DE STALINE HORS DE L’ÉTAU COMMUNISTE

Libérés l’un après l’autre de l’emprise de l’URSS au début des années 90, les Nouveaux Etats Indépendants de la région du Causase, dont fait partie la Géorgie, ont tous cherché les moyens de garantir leur indépendance et leur développement – plusieurs les ont trouvés dans le pétrole et le gaz.

Le Kazakhstan et l’Azerbaïdjan ont, les premiers, engagé des partenariats avec des pétroliers américains comme Chevron sur leurs méga-gisements respectifs de Tenguir (Kazakhstan Ouest) et de Gounechli-Chirag-Azeri (Azerbaïdjan.) La manne caspienne est rapidement devenue l’enjeu d’une lutte à couteaux tirés entre Russie et Etats-Unis. Dans cette lutte, la Géorgie s’est positionnée du côté américain ; elle rêve d’Occident et, plus que tout, d’adhésion à l’Europe et à l’OTAN.

La Géorgie s’est en particulier positionnée à l’Ouest lors de la construction du BTC (oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan), inauguré en 2006, qui permet aujourd’hui d’accroître le transport d’hydrocarbures de la Caspienne vers l’Europe en évitant la Russie. Celui-ci libère non seulement l’Europe d’une partie du chantage énergétique russe, mais a désamorcé pour Tbilissi les mesures de rétorsion appliquées par Moscou : Le « brut » qui coule dans les 1 700 kilomètres du BTC, de même que le gaz transporté par le Bakou-Tbilissi-Erzurum (BTE), ont par exemple permis à la Géorgie de supporter la multiplication par cinq de prix de gaz russe entre 2004 et 2006 – que Moscou, comme dans le cas de l’Ukraine en 2006, a voulu utiliser comme moyen de pression sur la petite république.

A la mi-juin cette année, les dirigeants géorgiens, ukrainiens, azerbaïdjanais, moldaves, lituaniens, polonais et roumains se sont réunis à Bakou pour s’entendre, sous l’impulsion décisive de Mikhaïl Saakachvili, sur une coopération visant à accroître le transport d’hydrocarbures de la Caspienne vers l’Europe – en évitant la Russie.

ACCROCHAGES AVEC LA RUSSIE

C’est la dernière d’une série d’actions géorgiennes que Moscou vit comme autant de déclarations de guerre. Les relations entre la Géorgie et la Russie n’ont cessé de se tendre au cours des dix dernières années. Tbilissi accuse Moscou de soutenir les séparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, et a exigé le retrait des trois bases militaires russes encore présentes sur le territoire géorgien.

Les relations entre les deux pays se sont envenimées au point qu’en 2001, Moscou a imposé un régime de visas aux citoyens géorgiens.

En septembre 2006, une crise diplomatique ouverte a commencé avec l’interpellation en Géorgie de quatre officiers russes accusés d’espionnage. Le 6 août 2007, la Géorgie a affirmé qu’un avion de l’armée russe avait envoyé un missile sur le territoire géorgien, tombé sans avoir explosé à une soixantaine de kilomètres de Tbilissi. Puis, le 24 août 2007, elle affirmait avoir tiré sur un avion militaire qui avait violé son espace aérien depuis la région séparatiste pro-russe d’Abkhazie.

Enfin, le 7 novembre, Tbilissi a expulsé trois diplomates russes accusés d’avoir voulu organiser avec les leaders de l’opposition géorgienne un « coup d’Etat ». Moscou a répliqué en expulsant 3 diplomates géorgiens.

DÉCEPTION DES GÉORGIENS, ÉLECTIONS ANTICIPÉES

Les Géorgiens sont donc depuis des années les otages de ces conflits externes, qui trouvent nationalement leur traduction : le chantage politique et énergétique russe affecte en premier les populations rurales ; le soutien supposé de Moscou aux indépendantistes ossètes et abkhazes a conduit le pouvoir géorgien à tenter d’unifier le pays par la force, à centraliser le pouvoir par l’armée. Mais, les fonctionnaires régionaux, nourris par près d’un siècle de méthodes communistes russes, ont pris cette lutte comme un blanc-seing, et abondamment utilisé la torture et l’extorsion sur des civils sans liens avec les mouvements indépendantistes ; renforçant ainsi l’idée d’un pouvoir corrompu ne tenant pas ses promesses.

La perte de confiance envers le gouvernement a été renforcée par le passage à l’opposition de soutiens majeurs du président Saakashvili, comme son ancien Ministre de la Défense Irakli Okruashvili et sa ministre des Affaires étrangères Salomé Zourabichvilin, icône anti-corruption et caution morale du gouvernement.

Et même si les statistiques disent que la corruption baisse de façon notable et persistante depuis 2005, dans la Géorgie de 2007, seul un petit nombre de Géorgiens tirent profit des changements du pays.

Malgré cela, pour la plupart des analystes, la décision audacieuse du président géorgien Mikheïl Saakashvili d’avancer l’élection présidentielle va retourner la situation en sa faveur et le placer en position de force pour le scrutin de janvier 2008.

«C’est un coup très intelligent. Il a complètement retourné la situation», a déclaré Alexandre Rondeli, un analyste de la Fondation géorgienne d’études stratégiques et internationales.

«Il a complètement dégonflé la crise, crevé l’abcès», a ajouté M. Rondeli. «Il a montré à tout le monde qu’il n’avait pas peur de ses adversaires et qu’il était sûr d’être réélu».

Selon les analystes, l’opposition n’est pas en mesure de réellement faire obstacle à M. Saakachvili. La coalition est composée d’une douzaine de partis de toutes tendances et manque d’une vision commune et d’une forte personnalité pour la mener aux élections, note le politologue indépendant Guia Nodia. «Ils n’ont pas de dirigeant charismatique comme Saakachvili», a ajouté M. Nodia, «je ne l’imagine pas perdre l’élection».

Le candidat de l’opposition à la présidentielle anticipée du 5 janvier, le député Levan Gatchétchiladzé, essaiera de faire mentir ces analyses. Il a appelé les autorités à rouvrir la télévision d’opposition Imedi TV, condition sine qua non d’un scrutin «démocratique».

En attendant, la télévision publique géorgienne multiplie les clips vantant la puissance de l’armée géorgienne et les reportages sur ses forces armées, dans un climat va-t-en-guerre autour de la question de l’Abkhazie, ce territoire séparatiste géorgien soutenu par Moscou. Un nouveau Premier ministre – et homme d’affaires – Lado Gourguénidzé, est en poste depuis le week-end dernier. Pour appliquer le dicton géorgien qui dit qu’ «un balai neuf balaie toujours bien» ?