Lutte sans merci entre un fermier des Prairies et le géant Monsanto

Écrit par Joan Delaney, La Grande Époque - Victoria
22.11.2007

  • Le fermier Percy Schmeiser de Saskatchewan (攝影: / 大紀元)

En 1998, Percy et Louise Schmeiser ont reçu une lettre qui allait changer leur vie.

Envoyée par le géant américain de l’agrochimique, Monsanto, la lettre accusait les Schmeiser d’utiliser sans permis des semences Round-Up Ready pour une récolte de canola de 1997 sur leur ferme de Bruno, en Saskatchewan. Les Schmeiser ont défendu que les graines génétiquement modifiées se retrouvent sur leur terrain à partir de la ferme du voisin ou d’un camion passant par là. En gros, ils ont affirmé ne pas vouloir les semences OGM et ne jamais avoir eu l’intention de les utiliser.

Mais selon la loi canadienne sur les brevets, les graines qui se sont retrouvées sur la ferme des Schmeiser contenaient des gènes dont Monsanto revendique la propriété.

Monsanto a menacé de poursuivre les Schmeiser pour «violation de brevet», demandant 400 000 $ en dommages, incluant environ 250 000 $ en frais d’avocat; 105 000 $ en profits estimés de leur récolte de 1998; 13 500 $ (15 $ l’acre) pour «frais d’utilisation de technologie» et 25 000 $ en dommages et intérêts punitifs, selon la chronologie des événements expliquée sur un site Internet mis en ligne par les Schmeiser.

Toutefois, Percy Schmeiser mentionne que la compagnie a offert de retirer ses poursuites s’il décidait de payer les frais d’utilisation de technologie et signait un contrat pour acheter ses semences de Monsanto à l’avenir. Les Schmeiser ont répondu qu’il s’agissait de corruption.

S’engageant dans la bataille classique de David contre Goliath, les Schmeiser ont contesté le cas jusqu’à la Cour suprême, où il a été déterminé que Monsanto était vraiment propriétaire du gène étant apparu dans les semences de la ferme.

«C’étaient mes semences, cultivées sur mon propre terrain, mais la cour a jugé que si vous êtes contaminés, vous n’êtes plus propriétaires de vos propres semences et plantes, et il importe peu de savoir comment le gène s’est rendu là. Selon la loi sur le brevet, ça devient la propriété de Monsanto», déplore Percy Schmeiser, un homme de 77 ans.

Monsanto allègue que Schmeiser a utilisé volontairement les semences modifiées. Le porte-parole de Monsanto Canada, Trish Jordan, affirme que la compagnie n’exerce pas son droit de brevet si les semences Round-Up Ready se retrouvent accidentellement sur une ferme; la cour a jugé que les plantes sur la ferme des Schmeiser «n’étaient pas un cas de présence accidentelle», mentionne-t-elle.

Néanmoins, les Schmeiser ont eu une petite consolation : la cour a déterminé que le couple n’avait ni profité ni bénéficié de l’utilisation des semences OGM et donc il ne devrait rien débourser à Monsanto.

De manière à éviter ce genre de problème dans le futur, M. Schmeiser a changé de culture. Il est passé du canola, qu’il faisait pousser sur sa ferme de 1400 acres depuis plus de 50 ans, au blé, à la moutarde, à l’avoine et aux pois. Mais en peu de temps, les plantes de Monsanto étaient revenues dans ses champs.

Monsanto a accepté d’enlever les plantes sous condition que les Schmeiser signent un document leur promettant de ne jamais amener la compagnie en cour. Les papiers contenaient également une clause de non-divulgation, enlevant le droit aux Schmeiser de discuter des détails de l’entente.

Les Schmeiser ont refusé.

«Il ne s’agit plus que de simples semences et plantes maintenant», fait remarquer M. Schmeiser. «Maintenant ils veulent enlever le droit à la liberté de parole et d’expression. C’est le contrôle total d’une personne par une corporation, et en aucun cas je ne signerais quelque chose comme ça.»

Le fermier a plutôt envoyé une facture de 600 $ à Monsanto, affirmant qu’il s’agissait du coût pour retirer les plantes OGM. Lorsque Monsanto a refusé de payer, les Schmeiser ont lancé une poursuite contre la compagnie à la cour des petites créances. La date de l’audition a été fixée au 23 janvier 2008.

M. Schmeiser souligne que si Monsanto recevait l’ordre de payer les 600 $, cela représenterait une preuve de responsabilité qui pourrait déboucher sur des milliers de poursuites semblables, partout en Amérique du Nord, par des fermiers dont les semences ont été contaminées.

Bien que le cas des Schmeiser soit l’un des premiers cas impliquant une compagnie qui prétend détenir des brevets sur la vie, ils ne sont pas les premiers fermiers à avoir subi la violence de Monsanto, la plus grande compagnie productrice d’organismes génétiquement modifiés.

Selon Greenpeace, des centaines de fermiers autour du globe, sinon des milliers, sont poursuivis en justice après que Monsanto découvre ses cultures brevetées sur les terres de fermiers qui n’ont pas payé les frais d’utilisation de leur technologie.

Une étude, effectuée en 2005 par la filiale californienne du Center for Food Safety (CFS), a rapporté que les «enquêtes intimidatrices et les poursuites sans pitié» de Monsanto ont eu pour effet d’intimider les fermiers et de changer les pratiques d’agriculture qui existaient en Amérique depuis des siècles, incluant le droit d’engranger et de replanter les semences d’une récolte. Le CFS est un groupe de militants écologistes qui s’opposent à ce qu’ils considèrent comme des technologies néfastes de production de la nourriture.

Ceux qui signent l’entente de Monsanto n’ont pas l’autorisation de conserver les semences pour une réutilisation; ils doivent en acheter de nouvelles chaque année.

L’enquête de CFS a remarqué que Monsanto commence le processus de prise de contrôle des fermiers en leur faisant signer l’entente d’utilisation de la technologie de la compagnie lorsqu’ils achètent les semences. Ce contrat «permet à Monsanto d’effectuer des enquêtes sur les propriétés, expose les fermiers à d’immenses dettes financières et les contraint à la surveillance de Monsanto pendant plusieurs années». En plus, le contrat définit les droits du fermier en matière de plantation, de récolte et de vente des semences modifiées génétiquement.

 

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«C’est la première fois dans l’histoire de l’agriculture que les fermiers ne sont pas propriétaires des semences qu’ils plantent», indique le porte-parole du CFS, Charles Margolis.

M. Margolis affirme aussi que Monsanto enquête agressivement sur les fermiers qu’elle soupçonne de transgressions. L’étude de CFS révèle que des milliers de ces enquêtes conduisent fréquemment à la deuxième étape : Monsanto fait pression sur les fermiers pour régler la question à l’amiable pour une somme d’argent non révélée.

Comme Schmeiser, certains se retrouvent en cour. Monsanto a enregistré 90 poursuites, impliquant 147 fermiers et 39 petites compagnies, selon l’étude du CFS. Ce dernier affirme que les fermiers ont dû payer en moyenne 412 259,54 $, et que le jugement le plus favorable pour Monsanto représentait une somme de 3 052 800 $.

«C’est seulement lorsqu’il y a eu une mauvaise appropriation de la technologie que nous exerçons nos droits de brevet, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit d’un vol, et c’est quelque chose qui nous tient vraiment à cœur», explique Mme Jordan. Elle affirme que Schmeiser est le seul fermier qui a eu un problème à signer le document contenant la clause de non-divulgation.

Monsanto possède des bureaux dans 80 pays. L’industrie internationale des semences est estimée à 40 milliards de dollars par année.

Des reportages de 2005 indiquent que Monsanto a dû payer 1,5 million de dollars en pénalités pour régler des accusations civiles et criminelles aux États-Unis pour avoir soudoyer un responsable du ministère de l’Environnement en Indonésie et avoir cacher le paiement de frais de consultation.

Au Canada et aux États-Unis, il n’y a pas de nouvelle loi spécifique aux questions soulevées par la manipulation génétique et les brevets. Le cas Schmeiser a été jugé selon des lois qui ont été introduites au Canada en 1869, bien avant l’existence des OGM. Dans sa décision dans le cas Schmeiser, la Cour suprême a appelé le Parlement canadien à mettre en place une loi spécifique.

Essentiellement, estime M. Schmeiser, Monsanto possède un brevet sur des formes de vie. «La cour a jugé que si le gène entre dans des formes de vie supérieures, Monsanto est propriétaire de cette forme de vie. Les implications sont énormes.»

Il dit qu’il est impossible de faire pousser des cultures de canola ou de soya libres d’OGM, car maintenant toutes les semences existantes ont été contaminées.

Schmeiser, qui a été maire de Bruno, en Saskatchewan, pendant dix-sept ans et conseiller municipal pendant douze ans, est devenu un défenseur des droits des fermiers de toute la planète en raison de son combat contre Monsanto. Il a reçu plusieurs prix, dont celui du Mahatma Gandhi en Inde.

Les Schmeiser ont été invités en Suède en décembre prochain où ils recevront le Right Livelihood Award, aussi connu comme le prix Nobel alternatif, dans un événement qui aura lieu au parlement suédois.

Schmeiser a l’intention de poursuivre son combat contre Monsanto, mais il s’inquiète s’il aura assez d’argent pour mener à terme la cause si son déroulement traîne en longueur. Il a hypothéqué sa ferme et accepté des dons pour amasser les 400 000 $ nécessaires pour couvrir ses frais légaux du premier procès.

«Monsanto va se battre comme jamais dans ce procès, car si je gagne vous vous imaginez à quoi ils devront faire face», croit M. Schmeiser. «Si je gagne, je suis certain qu’ils iront en appel et ça pourrait se retrouver encore en Cour suprême dans huit ou neuf ans d’ici.»