Un plan de match ou une impasse

Écrit par Patrice-Hans Perrier, La Grande Époque-Montréal
26.11.2007
  • Le premier ministre Charest (gauche)(Staff: FRANCOIS GUILLOT / 2007 AFP)

Le premier ministre du Québec propose un «nouvel espace économique» pour le Québec

Le dollar canadien vient de fracasser de nouveaux records, atteignant les 1,10 $ US, ce qui fait craindre le pire pour les manufacturiers au pays. Et la hausse des prix du pétrole ne serait pas étrangère à cette performance économique qui serait surfaite d’après certains économistes. Conséquemment, les exportations québécoises s’en ressentent et c’est ce qui a amené le gouvernement Charest à mettre de l’avant un plan de match afin de dégager un «nouvel espace économique» pour le Québec.

Le 19 novembre dernier, le premier ministre Charest prononçait une allocution choc à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM).

En effet, le premier ministre y est allé d’un discours vantant les nouvelles avenues de prospérité qui attendraient ses commettants au détour d’un new deal à saveur énergétique. Cette allocution aura servi à nous livrer un plan d’action destiné à mettre en orbite les forces vives économiques du Québec dans l’espace de la nouvelle économie mondiale. Un défi qui fait sourire les sceptiques au moment de mettre cet article sous presse.

Le premier ministre souhaite ouvrir le Québec aux marchés étrangers, notamment en concluant un nouveau pacte de libre-échange avec l’Europe et l’Ontario. Chemin faisant, l’équipe Charest espère désenclaver le Québec d’une économie nord-américaine qui souffrirait de la mauvaise gestion des finances chez nos puissants voisins du sud. Et, il fallait s’y attendre, le mot d’ordre serait de hausser la compétitivité de nos entreprises et de diversifier nos partenariats économiques.

Le secteur manufacturier bat de l’aile

Reconnaissant que notre secteur manufacturier bat de l’aile, le premier ministre presse le gouvernement fédéral de M. Harper de «consacrer une partie de ses surplus pour rendre disponible une aide immédiate aux entreprises les plus menacées par la hausse du dollar, tout spécialement celles des secteurs manufacturier et forestier». Il faut dire que pas moins de 100 000 emplois auraient été perdus dans le seul secteur manufacturier depuis les deux dernières années. Le secteur forestier aura été éprouvé à un point tel que plusieurs économistes craignent pour l’avenir de plusieurs régions du Québec.

Le ministre du Développement économique, Raymond Bachand, et sa collègue aux Finances, Monique Jérôme-Forget – deux ténors de l’équipe Charest – seraient sur le point de présenter un plan d’urgence afin d’aider les entreprises manufacturières à sortir la tête de l’eau. Le premier ministre est venu rassurer les chefs d’entreprises en leur promettant un «plan qui comportera des mesures fiscales et financières à court et à moyen termes», ajoutant que son équipe serait prête à «mettre 1,4 milliard de dollars sur la table pour aider les entreprises forestières, les communautés et les travailleurs touchés à traverser la crise».

Élargir l’espace économique du Québec

À défaut d’une aide musclée des pouvoirs fédéraux, le premier ministre Charest préfère se tourner vers un «élargissement de l’espace économique du Québec», pour reprendre les termes de son allocution à la CCMM. C’est dans cette perspective qu’il propose de «conclure avec le président français, Nicolas Sarkozy, une entente sur la reconnaissance des acquis et des compétences entre la France et le Québec». Cette mesure ferait en sorte que divers corps professionnels français seraient autorisés à pratiquer au Québec. Reste à voir si l’inverse serait tout aussi vrai : la France ouvrira-t-elle ses portes aux travailleurs québécois?

On peut se demander en quoi une telle ouverture permettra de replacer les ouvriers qui ont perdu leur emploi dans le secteur manufacturier… alors qu’une récente étude du Réseau des ingénieurs du Québec révélait que, «en moins de cinq ans, un travailleur sur cinq a perdu son emploi dans le secteur de la fabrication». Rappelons, ici, que le secteur manufacturier emploie autour de 600 000 personnes au Québec, soit 21 % du PIB de la province… ce qui n’est pas peu. En bref, le premier ministre Charest souhaite que ce nouvel espace de libre-échange devienne «la grande porte d’entrée de l’Europe pour l’Amérique du Nord».

Le plus grand chantier de rénovation de l’histoire du Québec

En outre, un des grands projets mis de l’avant pour dégager «un nouvel espace de prospérité» consistera en une mise à niveau sans précédent des infrastructures au Québec, notamment au niveau autoroutier. C’est ainsi qu’un plan de 30 milliards de dollars – étalés sur 5 ans – a été lancé le 9 octobre dernier et ambitionne de mettre en branle le «plus grand chantier de rénovation de l’histoire du Québec», toujours selon M. Charest. C’est sans doute dans le sillage de ce plan qu’ont été annoncés les grands travaux de modernisation de la rue Notre-Dame, dans l’est de la métropole. Ce projet controversé n’est pas aux goûts des écologistes ni des citoyens du Centre-Sud qui auraient souhaité un meilleur accès aux berges du fleuve Saint-Laurent.

À l’heure où le vieillissement de la population s’accentue, l’équipe Charest fait le pari d’investir massivement dans la réfection d’un réseau autoroutier, au lieu d’investir dans un déploiement substantiel des transports en commun. Un autre dossier sur lequel nous reviendrons.

Un new deal énergétique

La pièce de résistance de ce plan d’action consiste en un new deal énergétique qui ferait du Québec «un leader mondial de l’énergie renouvelable», toujours selon le principal intéressé. On parle de 8000 mégawatts d’énergie «propre» qui seraient générés, à parts égales, par les secteurs de l’hydro-électricité et de l’énergie éolienne. Ce projet – que d’aucun serait tenté de qualifier de «Baie James» de l’an 2000 – fait sans doute partie des stratégies de ventes d’énergie à l’État de New York, un marché en «expansion» si l’on se fie à une communication du premier ministre dans le cadre d’une visite officielle à New York, en octobre dernier.

On nous parle donc de créer 70 000 emplois, au gré d’un investissement de 31 milliards de dollars. M. Charest nous ayant rappelé que «la cote de crédit du Québec est à son plus haut niveau depuis plus de 30 ans…», on imagine que c’est ce qui poussera son administration à contracter des prêts sur les marchés internationaux afin de financer ce new deal énergétique. Si l’idée semble prometteuse, certains s’interrogent à savoir si la nouvelle offre énergétique permettra de compenser pour l’hécatombe qui frappe le secteur manufacturier et aidera à améliorer notre balance commerciale. Le pari est lancé.