La Chine a-t-elle décidé de mettre ses menaces à exécution?

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque – Montréal
28.11.2007
  • Le Dalaï-lama,(Stringer: Jeff Vinnick / 2006 Getty Images)

Rencontre du Dalaï-lama avec des chefs d’État occidentaux

Le passage du Dalaï-lama, cet automne, dans quelques pays occidentaux avait provoqué une tempête diplomatique. Trois chefs d’État de pays du G7 l’avaient rencontré, en adoptant tous des protocoles différents, mais recevant tous la même dose de furie provenant du régime communiste chinois. En Allemagne, la chancelière Angela Merkel a rencontré le chef spirituel en privé. Aux États-Unis, ce dernier a reçu une haute distinction du Congrès américain, et le président George W. Bush s’est montré en public en sa présence. Au Canada, le premier ministre Stephen Harper a accueilli le Dalaï-lama dans son bureau du parlement. Ottawa remporte la palme de la rencontre la plus officielle parmi les trois.

Partout, analystes économiques et gens d’affaires ont sonné l’alarme, craignant que les relations diplomatiques s’enveniment et que les opportunités commerciales subissent les contrecoups. De l’autre côté, se liguaient les défenseurs des droits de l’Homme. On exprimait la nécessité de ne pas céder aux menaces d’un pays étranger, en l’occurrence une dictature, et on démontrait que, par le passé, les menaces du géant chinois n’étaient que des coquilles vides.

Alors qu’au Canada, rien jusqu’à maintenant n’a laissé entrevoir des mesures de rétorsion de la part de la Chine (du moins rien n’en fait mention dans les nouvelles), l’Allemagne subit des ondes de choc qui viennent ébranler sa politique intérieure. Les États-Unis aussi se sont butés, la semaine dernière, à un coup d’éclat diplomatique lorsque les autorités chinoises ont refusé à une flotte de la US Navy d’accoster à Hong Kong à l’occasion de l’Action de grâce américaine.

Le USS Kitty Hawk rebrousse chemin

Le 21 novembre, le porte-avions Kitty Hawk de la marine américaine, ayant à son bord 8000 personnes, devait accoster à Hong Kong, une procédure routinière, pour une pause de cinq jours à l’occasion de Thanksgiving. Les familles des marins étaient arrivées par avion dans l’ancienne colonie britannique avec espoir de passer du bon temps en compagnie de leur proche militaire. Tout cela était prévu bien à l’avance et tout était en règle jusqu’à ce que le ministère des Affaires étrangères chinois retire l’autorisation d’accoster.

Immédiatement, journaux et analystes ont commencé à soulever différentes hypothèses pour ce refus soudain, car Pékin s’est fait complètement avare de commentaires : aucune déclaration publique, aucune explication auprès des Américains.

Le Los Angeles Times a soulevé ces interprétations : la colère de Pékin au sujet de la rencontre du président Bush avec le Dalaï-lama; la colère au sujet de l’annonce d’une amélioration de la batterie antimissile Patriot II de Taiwan, une valeur de 940 millions de dollars; le désir d’envoyer un message avant les élections imminentes à Hong Kong et une vengeance par rapport à un récent rapport aux États-Unis qui décrit les activités d’espionnage de la Chine en sol américain comme l’une des plus importantes menaces.

Le lendemain, Liu Jianchao, porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, a déclaré aux journalistes que Pékin avait changé d’avis, justifiant la décision comme étant seulement le fruit de «considérations humanitaires», rapporte le LA Times.

Mais le mal était déjà fait, car la flotte américaine avait déjà décidé de rebrousser chemin, regagnant sa base navale à Yokosuna, Japon.

Merkel sous pression

La chancelière allemande, Angela Merkel, fait face aux pressions dernièrement, en raison de sa «position de principes» sur la Chine. En plus du milieu des affaires qui s’est alarmé de l’annulation de la visite en Chine du ministre des Finances, Peer Steinbrück – sous le prétexte que son homologue était trop occupé pour le recevoir – l’ex-chancelier Gerhard Schröder a qualifié «d’erreur» la rencontre entre Merkel et le Dalaï-lama. M. Schröder avait privilégié, durant son mandat, une politique étrangère axée sur les contrats et les profits, adoptant, entre autres, un ton très amical envers la Russie. Ceci lui avait valu l’amitié du président Vladimir Poutine et un poste à la direction de la compagnie d’État russe, Gazprom, immédiatement après avoir quitté la politique allemande.

En plus de l’annulation de la visite de M. Steinbrück, Pékin a annulé une série de rencontres bilatérales avec Berlin, notamment sur le nucléaire iranien. Merkel fait donc face aux frondes de membres de son propre gouvernement, eux qui croient qu’il vaut mieux cultiver de bonnes relations avec la Chine pour que cette dernière agisse positivement dans le dossier iranien.

Mais Merkel a défendu vigoureusement, la semaine dernière, sa rencontre avec le chef spirituel tibétain rappelant l’importance de mener une politique étrangère qui soit digne. «Comme chancelière, c'est à moi seule de décider qui je reçois, qui je ne reçois pas et où», a-t-elle affirmé au quotidien allemand Bild, selon l’AFP. «Le mieux serait que les dirigeants chinois cherchent eux-mêmes le dialogue avec le Dalaï-lama qui demande l'autonomie culturelle pour le Tibet et la garantie des droits de l’Homme», a-t-elle ajouté.

La crainte la plus viscérale pour les dirigeants chinois, mise à part une révolte massive de leur propre population, est que les pays étrangers adoptent de plus en plus ce genre de discours et ce genre d’actions. Habitués aux rencontres à huis clos où il est plus difficile de «perdre la face», un discours renforcé pour la défense des droits de l’Homme – particulièrement avec l’approche des Jeux olympiques de 2008 – est terriblement négatif pour eux qui souhaitent que cet événement célèbre l’aboutissement de la «montée de la Chine».

Les récents événements en matière de représailles démontrent que la Chine peut mettre ses menaces à exécution, mais il est peu probable que l’intimidation puisse adoucir les relations. Il y a de moins en moins de tabous sur l’espionnage de la Chine, qui rafle les palmarès de plusieurs pays, il y a une méfiance plus grande par rapport au Made in China, et l’indignation stimulée par les promesses non tenues en matière de droits de l’Homme et de liberté de presse avant les Jeux olympiques sont un cocktail explosif qui promet une drôle de fête en août prochain.