La bonne heure

Écrit par Mélanie Thibault, La Grande Époque - Montréal
04.11.2007

 

Une heure avant la mort de mon frère

Une occasion rare à Montréal de découvrir l’auteur australien Daniel Keene. Le Théâtre L’Instant oeuvrant au Québec et en Belgique a eu l’idée fort remarquable de monter ce joyau littéraire dans la salle intime du Prospero, redoublant d’intensité par la proximité des acteurs. Une heure de tension, tout en nuance, dans cette sobre mise en espace d’André-Marie Coudou.

Il est encore possible de choisir une pièce de théâtre pour le style de son auteur. Il existe toujours des metteurs en scène qui savent honorer d’abord la plume des textes qu’ils choisissent. Daniel Keene mérite toute l’attention qu’il reçoit des intellectuels et des passionnés de théâtre partout dans le monde. Il est étonnant de le voir aussi peu à l’affiche au Québec. Ses textes sont particulièrement difficiles à interpréter, certes, et quel défi pour la direction puisque le plaisir d’écouter les mots de Keene l’emporte de toute façon.

Daniel Keene écrit pour le théâtre, le cinéma et la radio depuis 1979. Il a remporté depuis, plusieurs prix. Il a reçu à deux reprises le Louis Esson prize for Drama (Victoria Premier’s literary Awards) pour Silent Partner et Every minute, every hour, every day. Il a solidifié ensuite son succès avec le Play Award (New South Wales Premier’s literary Awards) pour Scissors, paper, rock et Half and half. Daniel Keene a par ailleurs travaillé au théâtre comme acteur et metteur en scène. Il est également cofondateur et rédacteur en chef de la revue Masthead. Son écriture est particulièrement dense, provocante même, tout en préservant une intimité dans le rapport au personnage d’une grande fragilité. Pour cette seule raison, il est de toute instance d’assister à ses pièces.

Une heure avant la mort de mon frère imagine le parloir d’une prison où, après des années de séparation, Sally rend une ultime visite à son frère condamné à la pendaison pour meurtre. Un lien étrange unit les deux protagonistes ayant en commun une enfance brisée. Plusieurs mises en abîme viennent à la fois alléger le propos, à la fois le condenser dans une violence contrastante. Les souvenirs sont chargés de rancœur et d’angoisse tout en préservant une tendresse se déversant dans l’érotisme. Un texte passionnant et complexe donnant à voir la profondeur créée par cette condensation du temps vers la mort.

La disposition scénique dès l’arrivée place le spectateur en gardien de prison. Tel que souligné par le texte, le regard extérieur participe à l’action. La délimitation cerne ces deux êtres dans la fragilité relationnelle qu’impose la mort du frère. Soulignons le concept fin du décor d’Yves-René Morin. Tout en détail, la mise en scène guide le public dans ce tumulte d’émotions où la digression et les sautes d’humeur surprennent, tant leur ponctuation arrive à point nommé. La simplicité des déplacements donne une importance majeure à chaque serrement de dents, chaque rapprochement. Rien ne semble laissé au hasard, dans une fidélité intacte par rapport aux enjeux du texte. Il n’y a aucun effet superflu, ce qui rend l’interprétation d’autant plus convaincante. Les acteurs, Isabelle Tincler et Martin Tremblay, font preuve d’une audace justifiant la qualité de leur propos. La conception des éclairages (Alexandre Tougas) se présente comme un écho intérieur des personnages dans un dosage parfait avec le déroulement temporel.

Ce spectacle donne envie de connaître davantage le théâtre L’Instant. Ce qui sera possible, puisqu’une autre pièce de leur production sera jouée à Montréal: Le couloir / Chambres de Philippe Minyana. Le metteur en scène André-Marie Coudou semble décidemment avoir bon goût. La pièce se jouera du 21 avril au 10 mai 2008 à l’Espace Geordie (514 523-3788). D’ici là, il est fortement suggéré de profiter des textes de Keene. On ne sait pas quand cela se représentera…

Une heure avant la mort de mon frère

Texte : Daniel Keene

Mise en scène : André-Marie Coudou

Production : Théâtre l’Instant

Du 23 octobre au 10 novembre à 20 h 15

Dans la salle intime du Théâtre Prospero

Réservations : 514 526-6582