Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Montréal : exit la culture «noble» pour celle du «divertissement»?

Écrit par Patrice-Hans Perrier, La Grande Époque - Montréal
11.12.2007
| A-/A+
  • Les participants à la table ronde u00abDévelopper la métropole ou la culture?».(攝影: / 大紀元)

Une table ronde fait le point sur le rôle des artistes dans le redéploiement du centre-ville

Le Rendez-vous Montréal, métropole culturelle, en novembre dernier, n’aurait été qu’un sommet de façade s’il faut en croire certains intervenants du secteur culturel. C’est un peu ce qui est ressorti d’une table ronde qui avait été organisée par la Galerie FMR et qui se tenait à la Maison de la culture Frontenac, le 23 novembre dernier. S’ils ne s’opposent pas au redéploiement du centre-ville, plusieurs intervenants du monde de la culture craignent un exode des créatifs dans un contexte où la spéculation risque fort de tuer l’écosystème urbain du cœur de Montréal.

Gilles Bissonnet, le président de Galerie FMR, agissait comme médiateur de cette table ronde qui avait été intitulée Développer la métropole ou la culture? Cet espace de réflexion critique et lieu de débat avec le public tentait d’articuler une riposte dans le sillage d’un sommet de la culture qui ne semble pas faire consensus parmi les travailleurs du milieu. Il faut dire que, plus souvent qu’autrement, ces derniers deviennent les dindons de la farce dans un contexte où les pouvoirs publics semblent intéressés à utiliser la culture comme «un moteur de développement», pour reprendre une formule lancée pendant ce fameux sommet.

La marchandisation de la culture

Stanley Péan, écrivain et président de l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ), faisait partie de cette table ronde qui réunissait des observateurs et des praticiens du milieu culturel. Il estime qu’«il semble y avoir confusion de la part des grands médias entre la culture au sens noble et la culture du divertissement populaire. C’est certain que le démarrage du projet d’un quartier des spectacles représente une bonne nouvelle en soi pour le monde du divertissement, poursuivait-il du même souffle, […] mais il semblerait que les formes de cultures qui ne sont pas à grand déploiement ont été pratiquement oubliées le temps de cette grande messe culturelle montréalaise».

Sans pour autant prôner une culture d’élite, Stanley Péan tient mordicus à faire des distinctions entre les arts et lettres et cette culture du divertissement qui semble faire l’objet de toute stratégie de mise en marché actuellement. Faisant allusion à la maigre présence des artistes, des écrivains et des autres créateurs à ce rendez-vous controversé, le président de l’UNEQ n’hésite pas à parler d’un déficit démocratique en termes de tribunes d’expression libre pour les travailleurs de la culture.

Un autre intervenant, le sociologue de l’art Guy Sioui Durand, n’a pas mâché ses mots en comparant ce rendez-vous sur la culture à «un véritable cirque médiatique autour d’une rencontre en vase clos, où des intervenants affairistes sont venus démontrer que la pensée néolibérale rayonne à tous les échelons de la société». Cet intervenant parle même d’un «écart entre des solitudes», alors que le clientélisme affiché par nos édiles ferait en sorte d’effacer, ni plus ni moins, la notion de citoyenneté. Nous aurions «perdu de vue les grandes utopies des années 1960-1970, une époque où les artistes étaient perçus comme des intervenants capables d’inoculer de l’extraordinaire dans la banalité du quotidien», a-t-il poursuivi.

Une image de marque artificielle

Philippe Côté, un artiste et un militant qui connaît à fond les questions de développement urbain, estime que ce rendez-vous sur la culture aura servi de prétexte à faire l’annonce des 120 millions de dollars consacrés au Quartier des spectacles de Montréal. Il s’agirait, toujours selon lui, d’une simple opération de mise à niveau du tissu urbain, consistant à «piétonniser les abords de la Place des Arts, alors que la même somme a été consentie par le gouvernement du Québec pour le redéploiement de l’autoroute de Blainville, dans la banlieue nord». Cet observateur aguerri se désole de constater que Québec consacre des milliards pour la réfection des infrastructures routières en périphérie de Montréal, alors que le budget du Quartier des spectacles nous est présenté comme un investissement majeur. C’est «la culture de l’automobile qui s’impose en définitive», a-t-il martelé devant l’assistance.

Au-delà de ce hiatus entre le développement du centre-ville de Montréal et la mise à niveau des artères de communication en périphérie, Philippe Côté n’hésite pas à affirmer que la création du Quartier des spectacles et d’un futur Quartier historique, dans le Vieux-Montréal, répond au besoin de lieux de convergence pour les touristes, une approche qui ferait en sorte que «c’est le regard des autres qui, désormais, donnera forme à la ville». Il s’agirait donc de créer une expérience touristique world class, en «déclinant Montréal avec une image de marque qui pourrait se vivre comme une expérience urbaine incomparable dans les quartiers de l’ancienne cité», a-t-il tenu à préciser. Une approche marketing qui ferait fi de la réalité du milieu, somme toute.

Les artistes sont-ils laissés pour compte?

Stanley Péan admet que la création anticipée du Quartier des spectacles «fera, certes, travailler les artisans du monde des spectacles, ce qui n’est pas un mal en soi». Mais, hormis l’annonce de l’enveloppe récurrente de 6 millions de dollars au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), il ne voit rien de bien concret annoncé par ce rendez-vous en termes d’aide à la création et à la pérennisation des lieux de production artistique. Il se désole, d’ailleurs, que le budget du Conseil des Arts de Montréal (CAM) ne jouisse pas vraiment d’une réelle bonification. Toutefois, le président de l’UNEQ se réjouit de la volonté de nos édiles d’opérer une mise à niveau du réseau des bibliothèques de Montréal, des «lieux qui permettent aux citoyens de se rapprocher des créateurs locaux, en occurrence les écrivains d’ici».

Le modérateur de cette table ronde fort agitée, Gilles Bissonnet, se questionne à propos de la réelle volonté des autorités municipales de consolider des lieux culturels de diffusion et de production au sein des arrondissements limitrophes au centre-ville. Il a dénoncé le départ de la station de radio CIBL de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve pour venir s’installer en plein cœur du futur Quartier des spectacles. L’instigateur de cette table ronde estime que la structure de gestion de Montréal a fait en sorte de déléguer trop de pouvoir aux arrondissements, sans leur donner les moyens de leur développement. Il en a pour preuve le déménagement de CIBL vers le centre-ville, mais aussi le déplacement de la célèbre sculpture de Riopelle, La Joute, vers le Quartier international de Montréal, en plein centre des affaires.

{mospagebreak}

Stanley Péan est justement revenu sur cette question de la survie de la culture au sein d’un développement urbain qui se comporte de plus en plus comme un rouleau compresseur. Il a tenu à rappeler à l’assistance que l’UNEQ a mis sur pied des programmes qui permettent à la population des quartiers limitrophes de venir rencontrer certains écrivains locaux, une approche qui ferait en sorte que la culture soit vivante et rejoigne le commun des mortels.

Finalement, c’est un Philippe Côté très mordant qui a ajouté ce qui constitue la touche finale de cet article. «Actuellement, la Ville de Montréal ne s’est pas engagée à soutenir des espaces de diffusion et de rassemblement pour les artistes, à l’instar de nos maisons de la culture et d’autres lieux occupés par une cohorte de créatifs. On se retrouve avec un effet tiers-mondiste, avec un Quartier des spectacles pour les touristes et un grand vide culturel tout autour…».

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.