Afrique du Sud : la conférence de l’ANC, présidentielles en ligne de mire

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
22.12.2007

  • Un dessin du satiriste sud-africain Zapiro(Stringer: PIETER BAUERMEISTER / 2007 AFP)

 

Le 21 décembre se termine à Polokwane, dans la province de Limpopo (Nord du pays), la 52e conférence du Congrès National Africain (ANC). Un événement politique majeur en Afrique du Sud puisque c’est la dernière des conférences quinquennales avant les élections présidentielles de 2009, le moment de parler de succession… mais pour la première fois depuis 58 ans, parce qu’une lutte interne féroce s’est déchaînée pour la direction du parti, aucun consensus ne s’est dégagé avant le début de la conférence.

«Les soeurs s’attaquent entre elles et les camarades se sautent à la gorge», a récemment déploré l’ex-femme du Nobel de la Paix, Winnie Madikizela-Mandela. Créé en 1912 contre le pouvoir afrikaander et anglais, l’ANC a longtemps fait bloc pour mettre un terme au règne de la minorité blanche. Quand Mandela est arrivé au pouvoir en 1994, le parti est resté uni pour faciliter la transition et corriger les inégalités héritées du régime raciste. Mais l’exercice du pouvoir a créé la désunion. «Aujourd’hui, nous sommes au gouvernement et les gens baignent dans l’argent et le pouvoir. Ils ne veulent pas tout lâcher»  déplore Kebby Maphatsoe, un militant historique de l’ANC durant les années de lutte contre l’apartheid.

Le président de la République, qui assume à la fois les fonctions de chef du Gouvernement et de chef de l’État, est élu par l’Assemblée nationale et le Conseil national des Provinces (NCoP), dans lesquels l’ANC est largement majoritaire. Le leader de l’ANC choisi lors du Congrès est donc virtuellement certain de devenir le nouveau président d’Afrique du Sud à la place de Thabo Mbeki, lorsque celui-ci quittera son poste en 2009. Mbeki, même s’il ne peut briguer une nouvelle fois la présidence du pays est cependant candidat pour un troisième mandat à la tête de l’ANC, afin de contrer son ancien protégé, le controversé mais ultra-populaire député Jacob Zuma.

Jacob Zuma, 65 ans, actuel vice-président de l’ANC, est déjà sorti favori du processus de nomination des candidats avec le soutien de cinq provinces sur neuf ainsi que des Ligues des femmes et de la jeunesse. Les analystes prédisent donc une fin de mandat difficile pour Mbeki.

Pourtant, Zuma peine à se laver des soupçons de corruption qui pèsent sur lui depuis la condamnation en 2005 de son conseiller Schabir Shaïk dans une affaire de vente d’armes impliquant le fabriquant français Thalès. Le député, qui aurait par l’intermédiaire de son conseiller obtenu des pots-de-vin réguliers, a été limogé de la vice-présidence du pays en 2005, tout en restant vice-président de l’ANC. 

Il est aujourd’hui soutenu par le puissant Congrès des syndicats sud-africain (Cosatu), représentant officieux de l’aile gauche de l’ANC, et par les communistes ; ce large soutien de gauche lui permet – à court terme – d’encaisser la réouverture, le 8 novembre, des poursuites pour corruption le visant. La Cour suprême, basée à Bloemfontein (centre), a en effet renversé en appel le jugement d’un tribunal qui avait déclaré illégales certaines perquisitions menées par l’unité d’élite de la police judiciaire, les Scorpions, dans le cadre de cette enquête. En septembre, un tribunal de Pretoria avait déjà donné tort à Zuma, en autorisant la justice à inclure des documents saisis en Grande-Bretagne dans la procédure. Cette décision, qui rouvre la voie à des accusations de corruption contre Zuma, était largement attendue avant le congrès du parti  «Sa base de soutien (au sein du parti) ne va pas changer mais la décision de justice pourra se traduire par une mise en accusation et, dans ce cas, ce sera fini pour lui», a expliqué Dirk Kotze, de l’université par correspondance Unisa à Pretoria, à l’AFP.

CANDIDATS FACE À UN PROGRAMME DIFFICILE

L’Afrique du Sud est la première économie du continent africain, ce qui ne la protège pas d’un ensemble de problèmes récurrents, pour beaucoup liés à la transition post-apartheid.

Le 4 décembre, une gigantesque grève des mineurs l’a rappelé : pour la première fois depuis 20 ans, des centaines de milliers de mineurs ont demandé de meilleures conditions de sécurité dans les mines du pays, où 202 ouvriers sont morts depuis janvier. «Nous sommes ici pour rappeler que nous mourons en sous-sol », lançait un leader ouvrier devant un millier de manifestants dans le centre de Johannesburg. « Nous sommes écœurés et fatigués de voir tant de blessés.»

Les 700 mines d’Afrique du Sud, grand producteur d’or, de platine, de charbon et de diamants, ont généré 55 milliards d’euros en 2006, mais le taux de mortalité y est supérieur de 50% à celui des États-Unis, de l’Australie et du Canada ; pour un salaire moyen de 250 euros par mois.

Autre question, peut-être plus critique encore que celle des salaires, les terres cultivables. «L’Afrique du Sud est affamée de terres», explique Molefi Selibo, qui depuis dix ans cherche un endroit où s’installer. La Banque mondiale a averti que cette question – à l’origine d’une grave crise politico-économique au Zimbabwe voisin – est «une bombe à retardement».

À la chute de l’apartheid, environ 90% des terres agricoles étaient détenues par des Blancs, qui représentent moins de 10% de la population. Treize ans après, seulement 4 % sont passés aux mains des Noirs. Dans son rapport annuel, le ministère s’estime confronté à un «sérieux défi» pour atteindre son objectif de 30 % d’ici à 2014. La réforme foncière se heurte à l’opposition de propriétaires, qui contestent la validité des réclamations et réclament des prix exorbitants. 

Autre difficulté, la structure politique d’un pays dans lequel l’ANC règne maintenant. L’ancienne élue progressiste sud-africaine Helen Suzman, qui dénonça pendant des années le régime d’apartheid depuis la chambre des députés, appelle aujourd’hui au renforcement de l’opposition dans une démocratie encore en construction. La vieille dame, qui a fêté cette année ses 90 ans, est «ravie d’être débarrassée de l’apartheid ». Mais « ce qui l’a remplacé n’est pas très satisfaisant», estime dans un entretien avec l’AFP celle qui fut la première députée à rendre visite à Nelson Mandela dans sa cellule de Robben Island.

«Les hôpitaux sont une honte», «le système éducatif est choquant», «la criminalité trop élevée» avec 50 homicides par jour, le chômage, qui affecte près de 40% de la population, «inacceptable»...

Pour ce qui est du fonctionnement du Parlement, même en plein apartheid, dit-elle, «j’ai toujours eu la possibilité d’exprimer mes opinions». «Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile, le rôle de l’opposition n’est pas reconnu», regrette-t-elle. «Les questions restent sans réponse, elles sont déclarées invalides...»

LE MOT DE LA FIN

Dans cette lutte entre le camp plus libéral de Mbeki, qui reproche à Zuma de favoriser le tribalisme et le populisme, et le camp de Zuma, qui voit en Mbeki un dirigeant froid et autoritaire, les dissensions ne seront pas éteintes par le résultat du congrès de l’ANC.

Les investisseurs étrangers, indispensable au maintien des 5% de croissance annuelle en Afrique du Sud, observent avec une certaine inquiétude la perspective Zuma ; cependant, pour la plupart des analystes les  grandes orientations économiques du pays ne devraient pas changer de façon significative, quel que soit le nouveau dirigeant de l’ANC.

Celui qui fait maintenant office de vieux sage en Afrique du Sud, le prix Nobel de la Paix Desmond Tutu, semble partager le point de vue de Madame Suzman, et renvoie dos à dos les deux camps. «On dirait que nous ne prêtons pas attention aux conséquences, quand on est prêt à choisir un président qui pourrait être inculpé pour corruption», lance-t-il en référence aux ennuis judiciaires de Zuma.  Mais, ajoute-t-il en semblant juger le temps de Mbeki écoulé. «C’est trop facile de rentrer dans un schéma où les gens restent en permanence au pouvoir.» Cela pourrait être un appel à un véritable pluralisme politique, que l’omniprésence de l’ANC ne permet pas à l’heure actuelle et qui conduit à des raisonnements politiques en vase clos.