Agir pour les droits de l’Homme : faire émerger une démocratie mondiale

Écrit par La Grande Époque
29.12.2007

En cette fin d’année, de nombreuses associations se préparent à commémorer l’anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) qui aura lieu en 2008.

Marie-Françoise Lamperti, présidente de l’association Agir pour les droits de l’Homme*, évoque à ce sujet la nécessité d’une réforme de l’ONU, en appelle à moins de diplomatie et à plus de démocratie dans le monde.

LGE : Lors de vos interventions vous déplorez le déficit démocratique des relations internationales. Que pouvez-vous ajouter à ce propos ?

MFL : Concernant les échanges des chefs d’État, en général, il ressort, un double déficit démocratique. Le premier, c’est que du point de vue politique il n’y a pas de lien commun entre le président d’un État démocratique et le représentant d’un État totalitaire. Quand l’un pense en concept d’État de droit, c’est-à-dire séparation des pouvoirs, l’autre pense en terme de confiscation du pouvoir, fut-il au prix du sang versé. Il ne peut y avoir de lien véritablement constructif dans cet échange d’indifférence réciproque. Si relation il y a, elle est asymétrique, incohérente. Le lien commun n’existant pas, l’échange se place dans «un lieu commun» qui est de discuter ce qui a un coût, et on fait l’impasse sur ce qui «n’a pas de prix», c’est-à-dire l’existence humaine et les valeurs que porte la démocratie.

Le deuxième point manifeste de ce déficit démocratique provient de la manière dont fonctionne l’ONU et de ses moyens. Composée d’États-membres, ce sont les représentants des États, donc les élites politiques qui façonnent les décisions prises à l’échelle mondiale. Même si ces élites se regroupent en corporations censées restituer un panorama démocratique, en fait elles ne représentent qu’elles-mêmes. Un peu comme une hydre, qui, produisant son propre discours reproduirait en même temps ses propres élites. C’est de ce moule que sort une vision du monde perçue par les populations comme inadaptée à leurs réalités, inefficace à force d’abstraction et d’expertises dont les conclusions se résument le plus souvent à montrer la complexité des dossiers. Tout ceci révèle l’absence de débat et de concertation démocratique. C’est très éloigné de la volonté conforme au préambule de la Charte des Nations unies qui énonce : «Nous peuple des Nations unies résolus à préserver les générations futures de la guerre, etc.».

En synthèse on pourrait dire que l’ONU regroupe des États qui conservent trois principaux pouvoirs: la force (= les armées, les polices, les outils de contrôle des gouvernements respectifs), l’argent (= les intérêts économiques, la plus-value, les bénéfices), le droit international (= la juxtaposition des droits respectifs des États-nations). À partir du droit international, le discours de l’ONU dit parler au nom du peuple du monde ce qui est faux car, en réalité, l’ONU ne parle qu’au nom des États.

 

LGE : Comment revenir au préambule de la Charte ?

MFL : Il faut que la société civile reprenne toute sa place au sein des Nations unies. L’opinion publique doit être entendue et prise en compte. Il y a des questions comme celle des droits de l’Homme, pour lesquelles il convient de créer des instances autonomes d’arbitrage qui aient un réel pouvoir d’arbitrage. Ne plus se limiter aux organes de conseil que l’on consulte... mais mettre en place des instances dotées de lois supranationales opposables à un État. Que celles-ci soient composées d’une véritable communauté mondiale. Lors de la création de la Charte de l’ONU, Eleonor Roosevelt était elle-même très favorable à ce principe de démocratisation mondiale. Elle a beaucoup défendu cette cause. Puis les ambassadeurs s’en sont mêlés… et il a fallu revenir sur la première version de la Charte et apporter des modifications.

La deuxième rédaction de la Charte est devenue ce qu’elle est aujourd’hui. Concernant la souveraineté des États, on parle de l’égalité souveraine des États, autrement dit de l’exclusivité du principe de souveraineté, avec toutes les conséquences que nous connaissons : le blocage des négociations, l’échec des stratégies diplomatiques, le droit de veto que les États utilisent selon leurs propres intérêts. Le comble ! les voix des régimes totalitaires se retrouvent au conseil de droits de l’Homme à l’ONU, lequel des pays démocratiques ne respecte pas les droits de l’Homme. Comme parodie de justice on a rarement fait mieux !

 

LGE : Voulez-vous dire qu’il faut supprimer la souveraineté de l’État ?

MFL : Il ne s’agit pas de supprimer la souveraineté de l’État mais que les États transfèrent une part de leur souveraineté pour certaines questions qui concerne l’ensemble des populations, au lieu de s’enorgueillir des bienfaits que le pouvoir exerce sur elles. Mais cette fonction transversale existe déjà. Sur le plan international par exemple, l’Organisation de l’aviation civile internationale qui régule la libre circulation de l’espace aérien montre que le fonctionnement est possible, à ceci près, c’est que cet organisme répond à des accords internationaux. Ils ne relèvent pas d’un débat démocratique. Un autre exemple dans le sport, lorsqu’on a changé les règles du rugby, le comité international s’est entendu. Cela prouve bien que tout le travail des associations pour faire émerger une démocratie mondiale n’est pas un espoir irréalisable.

 {mospagebreak}

LGE : Êtes-vous solidaire des contestations concernant la visite du président libyen et des accusations de son implication dans le terrorisme ?

MFL : Sur ce point il est clair que toutes les associations des droits de l’Homme sont d’accord pour dénoncer ce dont la presse se fait l’écho depuis tant d’années à propos des prises de position du président lybien, que Monsieur Kadhafi est lui-même loin de dissimuler…

Toutefois cela soulève un autre problème. Lorsqu’on pense aux attentats du World Trade Center le 11 septembre, personne ne souhaite revivre ce drame ou d’autres agressions terroristes. Néanmoins, il reste pour la communauté internationale à ouvrir un débat pour définir ce qu’est un terroriste. Doit-on le définir uniquement par l’acte d’agression ? comment le situer ? comment l’identifier ? comment le contrer ? Quelques analyses peignent ces mouvements comme des mouvements de résistance… il faudrait donc cerner ce qu’est un acte de résistance par rapport à l’acte terroriste… sinon on verra proliférer à l’échelle planétaire jugements arbitraires et exécutions sommaires parce que les résistants des uns deviendront les terroristes des autres. En réponse au discours de George Bush déclarant la guerre au terrorisme, Jürgen Habermas** explique bien que le terrorisme se structure en clans et en réseaux. Il peut se déplacer sur divers points du globe à l’image des nouvelles technologies d’ailleurs. On ne peut plus appréhender la guerre ou visualiser l’ennemi de façon dualiste.

Si l’on remonte quelques années en arrière, il est intéressant de réfléchir sur l’interprétation que Pierre Schoendoerffer fait de la guerre dans le film Diên Biên Phu. Sa réalisation cinématographique montre la guerre de l’intérieur, c’est-à-dire qu’on ne voit pas où est l’ennemi. Le territoire de Diên Biên Phu surnommé « la cuvette » renvoie cette image circulaire : la cuvette, le cercle, « l’encerclement »... Du point de vue historique, on raconte que lorsque de hauts responsables militaires se sont rendus sur les lieux, certains d’entre-eux se sont exclamés : « cette place est imprenable ! ». C’est qu’ils ont raisonné selon la stratégie des victoires passées, ils ont raisonné en termes de logistique, et en quantité de matériel acheminé, c’est-à-dire selon le calcul de 2+2=4. Ce qui est exact... mais pas toujours parce que si j’ajoute deux éléments qui ne sont pas de même nature, 2+2 ne feront jamais 4, mais quelque chose d’autre...

 

LGE : Mais l’ONU n’est-il pas aussi le moyen pour les États d’établir la paix en signant des traités pour mettre un terme aux guerres et à la violence ?

MFL : Oui, il faut reconnaître tous les efforts accomplis dans ce but. Ils ont marqué une grande amélioration si l’on compare avec la fragile Société des nations. L’ONU est un moyen à condition d’y apporter les réformes nécessaires qui permettront de mener ces objectifs de paix à terme. La paix est une aspiration humaine mais on voit bien que cette aspiration n’empêche pas la guerre. Il a été entrepris un énorme travail de réforme des Nations unies mais beaucoup trop peu de propositions ont été retenues, et elles ne concernent que le Conseil de sécurité. Nous ne savons pas quelles seront les orientations de Monsieur Ban Ki-moon. Car concernant le maintien de la paix, un traité international peut se dénoncer à tout moment par l’un des pays belligérant.

Ce ne sont pas les exemples qui manquent à travers l’Histoire. Quant à la violence, elle n’est pas seulement la manifestation conflictuelle des peuples. Elle peut être aussi institutionnelle. Par ce «contrat social***» qui nous lie, nous citoyens, à ceux qui nous représentent, à savoir nos élus, elle va trouver sa justification au titre de l’expression majoritaire. Alors il s’ensuit une situation où l’institution peut opposer à la société civile la légitimité d’une action violente. C’est pourquoi, il existe différents courants de pensée entre ceux qui disent que lutter pour la démocratie c’est aussi lutter en faveur des droits de l’Homme et ceux qui nuancent en démontrant que la procédure référendaire n’exclut pas qu’une démocratie pose un acte politique qui fasse violence. La difficulté à faire valoir le droit des minorités le prouve.

 

LGE : Lors de son voyage en Chine le président de la République française a déclaré que Taïwan et le Tibet faisaient partie de la Chine. Que pensez-vous de cette déclaration ?

MFL : Effectivement, c’est ce que le président de la République a déclaré. C’est une déclaration produite au cours d’un voyage officiel face aux autorités chinoises que le problème de Taïwan et de la Chine, toujours en discussion, plonge dans des états convulsifs.

Par ces propos, le président de la République a réaffirmé la position de la politique extérieure du gouvernement français envers la Chine. C’est l’expression d’une diplomatie et c’est pourquoi nous revendiquons, dans le même sillage qu’Albert Camus, moins de diplomatie et plus de démocratie dans le monde. Du point de vue des droits de l’Homme, nous en appelons à l’article 2 de la Charte des Nations unies qui est le droit à l’autodétermination des peuples à disposer d’eux-mêmes****.

 

LGE : Dans sa conférence de presse, Nicolas Sarkozy a également exprimé le souhait que le gouvernement chinoisratifie les pactes civils et politiques, voyez-vous une avancée pour les droits de l’Homme en Chine ?

MFL : On peut l’entendre ainsi. Mais les pactes civils et politiques sont les droits de la première génération, en comptant les droits économiques et sociaux, et ceux de l’environnement, nous en sommes à la troisième. Et, nous fêterons en 2008 le 60e anniversaire de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme*****. Il est bon d’ajouter à ce sujet qu’aux côtés de René Cassin et d’Eléonor Roosevelt se tenait le Chinois Peng-Chun Chang qui a apporté sa contribution à la rédaction de la Charte. M. Hu Jintao, en réaction très épidermique sur la question des droits de l’Homme ferait bien de s’en souvenir.

 

* Agir pour les droits de l’Homme (ADH), 43 rue Charles Silvestri, 94300 Vincennes.

** Sociologue allemand qui a développé la théorie du patriotisme déconnecté de l’État-nation. Il est l’auteur, notamment de La pensée post-métaphysique et Droits et démocratie.

*** Jean-Jacques Rousseau : Le contrat social

****Article 2 de la Charte des Nations unies : « Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ».

***** Déclaration des droits de l’Homme