Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Russie : des législatives pas seulement pour la forme

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
09.12.2007
| A-/A+

Vladimir Poutine construit son futur politique.

  • Arrestation d’opposants au Kremlin, lors d'une manifestation(Staff: ALEXANDER NEMENOV / 2007 AFP)

 

Comme prévu, la Douma – le parlement russe – reste envahie par Russie Unie, le Parti de Vladimir Poutine. Pour la 5e législature russe depuis 1993, personne ne s’attendait à autre chose, tant l’omniprésent Poutine a su créer l’image d’homme providentiel. Il demeure la seule planche de salut d’une Russie vue comme prête, en l’absence d’un leader puissant, à rebasculer dans le chaos de la transition post-communiste. La force politique effective de Poutine n’est cependant pas chose si certaine, tout chahuté qu’il soit au sein du Kremlin par les anciens du KGB préparant la transition du pouvoir, et au dehors par des anciens champions d’échecs et des républiques en pleine émancipation.

Il y aurait deux Poutine : le musculeux judoka du conflit en Tchétchénie, la main sur le robinet des hydrocarbures, prêt à cesser l’approvisionnement de l’Europe à la moindre mésentente, le nouvel arbitre des questions internationales au Conseil de Sécurité des Nations unies. Et l’autre, en fin de dernier mandat, inquiet de voir se répéter le scénario de la révolution orange ukrainienne ; la même Ukraine où le candidat qu’il a soutenu, Viktor Ianoukovitch, a perdu les élections de justesse cette année – alors que Poutine l’avait déjà à deux reprises félicité pour sa « victoire ».

C’est probablement la fin d’une époque pour le camp Poutine. Le divorce des anciennes républiques, Ukraine, Géorgie et bassin caspien dans son ensemble, est consommé, la Russie se voit progressivement entourée de pays ralliés ou se ralliant à l’Occident – et pour certains prêts à accueillir des batteries anti-missiles américaines. Il y a dix jours à peine, le petit Turkménistan a osé décider d’augmenter significativement le prix du pétrole exporté vers la Russie, apparemment sans crainte de fâcher son grand voisin.

LES TALENTS CENTRALISATEURS DE M. POUTINE

Au cours des années, Vladimir Poutine a su créer un environnement le rendant incontournable au domestique comme à l’international. Il a, d’abord, centralisé l’essentiel du pouvoir politique au sein de l’exécutif russe – et donc dans ses mains, réduisant les 450 députés de la Douma au rôle de spectateurs de sa politique. Les oligarques un peu bruyants des années 1990 ont été emprisonnés (comme l’ancien magnat du pétrole Khodorkovsky) ou sont en exil ; ceux qui restent sont ou bien des anciens du KGB en général fidèles à Poutine, ou bien sous contrôle étroit de ces mêmes anciens du KGB ; Ils ne font donc pas de vague.

Poutine s’est ainsi imposé comme symbole de la force, symbole d’une stabilité chèrement acquise, symbole de la renaissance d’une grande Russie. L’avenir sans lui est pour beaucoup de Russes un lendemain flou, incertain, inquiétant…

«Il faut empêcher le retour au pouvoir de ceux qui ont tenté sans succès de diriger le pays et voudraient aujourd’hui remodeler (...) les plans de développement de la Russie, changer la politique soutenue par notre peuple et nous faire revenir à l’époque de l’humiliation, de la dépendance et de la désintégration», déclarait ainsi à propos le 27 novembre le chef du Kremlin.

Le renouvellement de la Douma, malgré le faible rôle de celle-ci, a pourtant une importance stratégique : elle pourrait prendre un rôle plus important après les présidentielles de 2008 où, dominée par Poutine, elle deviendrait un outil pour contrôler le nouveau président – puisque Poutine ne peut se représenter une troisième fois à sa propre succession sans violer la constitution russe.

Il était donc crucial pour lui que Russie Unie conserve un ample contrôle de la Douma, et que cela se fasse avec la manière, à savoir sous la forme d’un « plébiscite ».

Les moyens du succès étaient là : les règles électorales ont changé depuis 2003 et ne permettent plus à des personnalités individuelles ou à des partis de moins de 50 000 adhérents de se présenter, ce qui élimine d’emblée, par exemple, l’Autre Russie de Garry Kasparov.

Un « plébiscite » exige en outre une participation électorale massive. Les observateurs de l’OSCE étant à peine présents du fait des restrictions massives imposées à leur travail par le Kremlin, la possibilité de bourrage des urnes était donc réelle, et l’opposition la dénonce déjà.

MÉTHODES COMMUNISTES « D’ENCOURAGEMENT » AU VOTE

Les témoignages de pressions exercées sur les électeurs pour qu’ils se rendent aux urnes  –  et surtout pour que leur vote aille au parti Russie unie n’ont pas manqué durant les dernières semaines de la campagne.

«Il n’y a pas longtemps, deux représentants de Russie unie sont venus chez nos directeurs », racontait à l’AFP Natalia, âgée de 35 ans, habitante de Vyborg (150 km à l’ouest de Saint-Pétersbourg) qui travaille dans une entreprise d’État. « Je ne sais pas s’ils ont promis quelque chose ou proféré des menaces, mais peu après tous les employés ont été rassemblés et on nous a vivement ‘recommandé’ de voter pour Russie unie.»

Étudiants poussés à voter sous peine d’être exclus, enseignants sommés de voter Russie unie ou de voter sur leur lieu de travail, écoliers collant des affiches du parti : « Cette campagne est sans précédent par les pressions exercées sur les électeurs, les arrestations de candidats, du jamais vu lors d’élections au niveau fédéral », a déclaré le politologue Alexandre Kynev du FIPD, une ONG spécialisée dans le secteur de l’information.

La victoire étant assurée, il s’agissait d’obtenir le taux de participation et le score le plus élevé possible pour Russie unie.

 «Des gens font du porte à porte chez nous avec des feuilles à remplir portant les mentions ‘pour Russie unie, si tu es contre ne va pas voter’», racontait par téléphone à l’AFP Vladimir Korotaev, 55 ans, de Maikop en république d’Adygea à plus de 1 600 km au sud de Moscou.

«Mon fils est rentré un soir en me disant que la maîtresse avait dit que le lendemain, le 17 novembre, il n’y aurait pas classe et que les garçons iraient coller des affiches de Russie unie dans un village à 30 km du nôtre», indiquait de son côté un entrepreneur de 43 ans, Alexandre Petine, du village Toulski dans la même région. «Je suis membre de Russie unie mais j’ai dit à mon fils de 15 ans que c’était illégal et lui ai interdit d’y aller».

L’une des méthodes de pression très souvent évoquée a consisté à forcer des électeurs à obtenir un certificat qui leur permet de voter non pas dans leur circonscription mais dans le bureau de vote du quartier où ils travaillent, en présence de collègues et supérieurs.

 «On force les étudiants à se faire faire des certificats pour voter sous le contrôle des enseignants», a témoigné à l’AFP un défenseur des droits de l’Homme de la région d’Orel (382 km au sud-est de Moscou), Dmitri Kraioukhine.

DE L’ANCIEN POUVOIR DES NOUVEAUX CAPITALISTES AU NOUVEAU POUVOIR DES ANCIENS COMMUNISTES

Dans les brumes du Kremlin, Poutine est-il fort ou faible ? Aucun observateur extérieur n’a de réelle visibilité là-dessus, tous en sont donc réduits à des conjectures sur la base de ce qui est, parfois, donné à voir au grand jour.

Par exemple, un vice-ministre des Finances, chargé du fonds de stabilité, Sergueï Storchak, a il y a quelques semaines été arrêté pour détournement supposé de 43 millions de dollars sans que le chef du Kremlin semblait l’avoir souhaité. Storchak pris comme cible est d’après plusieurs analystes «kremlinologues» un message d’avertissement envoyé à Vladimir Poutine, qui venait de donner à son ministre des Finances des pouvoirs étendus, au détriment des nouveaux oligarques issus des rangs de l’ex-KGB.

Un peu auparavant, début octobre, le général Tcherkessov, du FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie, ex-KGB) avait appelé à la «fin des coups bas» entre Siloviki, les chefs des services de sécurité. Le 31 octobre, cinq membres lui faisaient écho dans la presse : «Nous nous adressons aux parties en conflit : faites chacun un pas vers l’autre. Sinon, et croyez-en notre expérience, un grand malheur peut arriver, et il ne faut pas en arriver là», écrivaient dans le journal Zavtra cinq anciens hauts responsables du KGB, dont un député du Parlement actuel, Nikolaï Leonov, et le dernier directeur du KGB, Vladimir Krioutchkov. Là encore, les analystes considèrent que le fait que des hommes de l’ombre de cette stature parlent publiquement sous la forme d’une demande de cessez-le-feu est un révélateur majeur de crises intestines de grande ampleur. Vladimir Poutine ne serait donc pas entièrement maître des événements. Certains se hasardent à supposer qu’il pourrait même en être l’otage.

LES « CHACALS » DE L’OPPOSITION

Dans ce cadre, les cinq jours en garde à vue la semaine dernière de Garry Kasparov, ancien champion du monde d’échecs et nouveau visage de l’opposition, sont un révélateur puissant de la nervosité générale du pouvoir russe.

A l’approche de l’échéance présidentielle, Vladimir Poutine rivalise d’innovations verbales quand il s’agit de fustiger l’Occident et ses opposants ; cette remarquable créativité sert autant en politique étrangère, pour l’affirmation d’une renaissance d’un bloc russe fort et interlocuteur inévitable, qu’en politique intérieure, avec l’exaltation d’un nationalisme russe anti-occidental. Au cours du pétrole actuel, l’opinion de l’Europe et des États-Unis n’est plus importante.

«Il y a malheureusement dans notre pays», dit Poutine, «des gens qui sont comme des chacals devant les ambassades étrangères (...) Ils vont encore sortir dans la rue. Ils l’ont appris auprès de spécialistes occidentaux».

Les pièces du grand jeu d’échec de l’après président Poutine se positionnent donc une à une. Pour ce qui est des législatives elles-mêmes, une opposition dispersée, dont l’Occident ne voit plus que l’emblématique figure de Kasparov, avait bien peu de chances de faire le poids face à Russie unie. La campagne présidentielle démarre en ordre dispersé : le libéral Mikhaïl Kassianov, ex-Premier ministre, s’est unilatéralement déclaré «candidat de l’opposition»… tout comme Grigori Iavlinski, autre libéral, Boris Nemtsov du SPS, parti dont le terreau est fait des anciens partisans de Boris Eltsine ; sans compter Garry Kasparov lui-même. A tel point que si la tendance se confirmait, les communistes pourraient avoir plus de poids au final que tous les opposants libéraux réunis.

En pleine hégémonie et dérive autocratique de Russie Unie, il reste que beaucoup de coups sont encore à jouer, et que le maître Kasparov semble avoir d’autres plans pour 2008 que de seulement se faire arrêter lors de manifestations anti-Poutine.

 

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.