La Chine et ses ambitions africaines

Écrit par Vincent Duclos, La Grande Époque - Montréal
15.02.2007

Le chef d’État chinois, Hu Jintao, terminait le 3 février une visite de douze jours en Afrique, la troisième de ce genre depuis son arrivée au pouvoir en 2003. Cette tournée de huit pays confirmait les intentions de Pékin de s’engager de plus en plus intensément dans une relation commerciale controversée avec plusieurs pays africains. Alors que certains organismes internationaux s’inquiètent de voir la Chine ainsi renforcer ses liens avec certains régimes reconnus pour leurs violations des droits de l’homme, Hu Jintao se défend de faire de la politique et voit plutôt dans ces partenariats commerciaux une aide essentielle au développement du continent africain. Chose certaine, les visées de l’empire du Milieu sont loin de faire l’unanimité.  

 

  • Un Chinois accueille Hu Jintao à l’aéroport de Khartoum(Stringer: AFP / 2007 AFP)

 

Des ressources naturelles fortement convoitées

En novembre dernier, un important sommet économique réunissait à Pékin les autorités chinoises de même que les dirigeants de 48 pays africains. Le chef d’État chinois y faisait fièrement l’annonce que la Chine doublerait son aide à l’Afrique d’ici 2009, promettant 5 milliards de dollars américains en prêts et en crédits.

«La Chine sera pour toujours un ami, un partenaire et un frère de l’Afrique!» s’exclamait Hu Jintao, créant ainsi l’événement diplomatique le plus important du pays depuis la révolution de 1949, selon les médias officiels chinois.

C’est dans cette logique d’expansion commerciale que le chef d’État de la République populaire entamait sa tournée africaine. Alors que les échanges commerciaux de la Chine avec l’Afrique ont atteint 55,5 milliards de dollars en 2006 – une hausse de 40 % par rapport à 2005 – on y annonçait que ces échanges devraient atteindre les 100 milliards de dollars en 2010.

De cette manière, en dix ans, soit de 2000 à 2010, le commerce sino-africain devrait avoir passé d’une dizaine de milliards de dollars par année à une centaine. Une telle éclosion des échanges, qualifiée de «montée pacifique» par Pékin, constitue dorénavant une nécessité pour la puissance orientale qui a fortement besoin des ressources naturelles africaines pour maintenir son niveau de croissance actuel. C’est en effet le tiers – soit 383,3 millions de tonnes de pétrole – des ressources pétrolières utilisées par la Chine qui proviennent du fabuleux réservoir de matières premières que constitue le continent africain.

Le pétrole soudanais avant les droits de l’homme

Déjà, la présence à Pékin durant le sommet historique de novembre dernier du président soudanais, Omar Hassan Al-Bachir, de même que celle du dictateur zimbabwéen, Robert Mugabe, faisait grincer des dents bien des membres de la communauté internationale.

Le premier est ouvertement accusé d’encourager un génocide à l’égard des populations de la région du Darfour alors que le second est reconnu pour ses politiques brutales à l’égard de sa propre population et son non-respect flagrant des droits de l’homme.

L’une des étapes les plus attendues de la visite de Hu Jintao en Afrique constituait son passage au Soudan. Considérée comme un joueur clé dans la stratégie onusienne devant mener au déploiement d’une force de maintien de la paix au Darfour, la Chine a maintes fois affirmé son souci de devenir un «facteur de paix» au Soudan.

Néanmoins, encore une fois, le gouvernement chinois ne convainc pas. Considérant l’importance que le pétrole soudanais représente pour lui, son soutien à de nombreux autres régimes connus pour leur brutale gouvernance (Iran, Birmanie, Zimbabwe, etc.), de même que ses propres politiques très peu soucieuses des droits de l’homme, il n’est pas surprenant de voir des organisations internationales douter de la bonne volonté chinoise. Human Rights Watch écrivait en ce sens à Hu pour demander à la Chine de «démontrer qu’elle se préoccupe aussi du bien-être du peuple soudanais».

Le fait que Pékin ne se serve pas de son statut de principal partenaire commercial – elle achète plus de 60 % du pétrole soudanais – pour faire des pressions économiques sur Khartoum, n’aide en rien à diminuer les soupçons de néocolonialisme envers le régime de Hu Jintao. Ce récent passage au Soudan sans la moindre allusion à la situation au Darfour n’aide certainement pas Pékin à démontrer qu’en plus des ressources naturelles qui l’attirent, sa présence en Afrique est aussi causée par une volonté d’aider les habitants du continent noir.

Séparer l’économie du politique

«Notre principal défi actuellement n’est pas de combattre le colonialisme, mais de combattre la pauvreté, le sous-développement et d’atteindre l’indépendance économique», affirmait le premier ministre éthiopien, Meles Zanawi, dans le cadre du sommet sino-africain, en novembre dernier.

Alors que de nombreux observateurs et organisations internationales occidentales voient d’un œil sceptique les récents investissements chinois en Afrique, les dirigeants chinois aiment quant à eux rappeler que, contrairement aux pays occidentaux, Pékin n’impose pas de «conditions politiques» en contrepartie de son aide humanitaire. De nombreux observateurs considèrent d’ailleurs que la question des droits de l’homme devrait outrepasser une telle politique de non-intervention. Le gouvernement chinois se plaît, selon eux, à utiliser une telle rhétorique et se targue de ne pas s’immiscer dans la politique nationale des dictatures qu’il soutient pour mieux éviter de parler des droits de l’homme.

À un Paul Wolfowitz, américain néo-conservateur maintenant président de la Banque Mondiale, le régime chinois se justifie en déclarant que les investissements vers l’Afrique venant des pays développés sont tout aussi centrés sur les ressources naturelles. L’Afrique subsaharienne ne recevait d’ailleurs que 31 milliards sur un total de flux d’investissements directs étrangers (IDE) de 916 milliards de dollars en 2005, selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Répondant bien plus à des intérêts économiques de multinationales occidentales qu’à la défense des droits de l’homme, autant ces investissements que l’aide au développement se sont montrés économiquement inefficaces pour sortir l’Afrique de la misère. Au contraire, le discours occidental des droits de l’homme est plutôt accompagné d’une pauvreté croissante dans le continent africain.

Se défendant de n’être en Afrique qu’à des fins d’extractions des ressources naturelles, Pékin affirme que la critique occidentale est le résultat d’un mécontentement face à la montée d’une puissance rivale.

Le premier investisseur mondial dans le secteur primaire demeure le Royaume-Uni (132 milliards de dollars en 2004), suivi des États-Unis (88 milliards). La Chine, avec une consommation de pétrole n’atteignant encore que 8 % de la consommation mondiale, est loin derrière avec un stock de 6 milliards de dollars en 2004.

Tout indique cependant que l’économie chinoise aura de plus en plus besoin de ressources naturelles et que pour Pékin, tous les moyens sont bons pour parvenir à de telles fins. Étant abondamment pointé du doigt pour ses violations des droits de l’homme et son contrôle de l’information, le régime autoritaire de Pékin montre encore une fois qu’il fait la sourde oreille. Il ignore les critiques lui rappelant de telles violations pour à tout prix continuer dans son élan de croissance économique.