Remise en question du succès de l’Ouganda dans sa lutte contre le VIH

Écrit par Meera Manek, Collaboration spéciale
28.02.2007

 

 

 

 

L’Ouganda est souvent applaudi comme étant un modèle africain dans la lutte contre le sida, mais le pays semble perdre du terrain

Le gouvernement ougandais est souvent loué pour le progrès effectué dans la réduction du taux de prévalence du VIH à seulement 6 % en 2002 et pour avoir baissé les taux d’infection très élevés dans une région ravagée par le sida.

  • Une affiche publicitaire fait la promotion de l’abstinence(Stringer: Marco Di Lauro / 2005 Getty Images)

 

Toutefois, les taux ont augmenté ces dernières années, et Tonny

Takenzire du National Guidance and Empowerment Network (NGEN) en

Ouganda suggère qu’ils sont maintenant plus près de 10 %. «Nous offrons

des services médicaux à la campagne et ce que nous remarquons est

différent de ce qu’avance le gouvernement», explique-t-il

 

Les données sur la prévalence et les cas d’infection au VIH démontrent des tendances vers la hausse depuis 2000, attribuable à l’augmentation de comportements sexuels à risque, à une pénurie de condoms et à la politique controversée de l’«ABC» qui a focalisé plutôt sur l’abstinence et la fidélité au lieu de la promotion de l’utilisation de préservatifs.

Tonny Takenzire vit avec le VIH: «Je prends des médicaments depuis huit ans et en travaillant avec le NGEN, j’essaie d’écarter l’idée de l’abstinence.»

Même si ABC signifie abstinence, être fidèle et l’utilisation du préservatif, Beatrice Were, d’ActionAid Ouganda, affirme que la politique «ABC» est maintenant une politique focalisant sur l’abstinence et la fidélité plutôt que sur l’usage de préservatifs. «La partie “C” est maintenant en grande partie silencieuse», commente-t-elle. Cette politique a heurté l’approche auparavant équilibrée de l’Ouganda, qui avait démontré son efficacité.

Le programme ABC, aussi connu sous le nom de programme «abstinence seulement», a été conçu par les États-Unis et enseigne que l’abstinence de relations sexuelles est la seule méthode efficace pour prévenir l’infection au VIH. Human Rights Watch, organisation des droits de l’homme basée à New York, affirme que le financement pour la promotion de l’abstinence découle des opinions chrétiennes conservatrices du président Bush, qui sont similaires à celle de la première dame de l’Ouganda.

Dans le plan d’urgence 2003 du président Bush pour prévenir les infections du sida et traiter les patients (PEPFAR), pour lequel M. Bush a promis 15 milliards de dollars US pour combattre l’épidémie du sida dans les pays du monde les plus affligés, l’Ouganda devait recevoir 201 millions de dollars US sur deux ans. Cependant, les fonds sont versés sous des conditions: au moins un tiers de l’argent pour la prévention doit être alloué à des projets concernant l’abstinence uniquement.

Selon des enquêtes démographiques et de la santé, les Ougandais ont leurs premières relations sexuelles tôt et plus de 50 % des Ougandaises ont eu un rapport sexuel avant l’âge de dix-sept ans, souvent avec une personne plus âgée. Les programmes centrés sur l’abstinence seulement ne parviennent pas à éduquer les jeunes femmes au sujet de l’utilisation de condoms et de la sexualité à risques réduits, car cela interfère avec l’objectif de l’abstinence.

Selon les estimations, même si pratiquement un tiers de la population ougandaise adulte était infectée du VIH dans les années 80, ce taux a chuté à environ 15 % au début des années 90 et à 6 % en 2002. Le financement provenant de dons était favorable à la promotion de l’utilisation du préservatif, et cela, en plus de dépistages du VIH efficaces et un leadership politique actif ont aidé à combattre le sida en Ouganda.

Toutefois, Eric Hawthorn, un responsable au sein du Département américain pour le développement international (DFID), fait remarquer que l’abstinence est une approche appropriée pour prévenir l’infection chez certains groupes à risque. Selon lui, il est «simpliste et erroné d’expliquer le fait que la prévalence du VIH/sida ne chute plus en se référant aux politiques favorisant l’abstinence». Il y a de nombreuses raisons qui expliquent pourquoi le nombre d’infections est encore élevé, incluant des facteurs  biologiques, comportementaux, socioéconomiques et culturels. D’après M. Takenzire, les gens sont devenus plus négligents, car ils croient qu’ils peuvent être guéris du VIH.

Stephen Lewis, l’envoyé spécial des Nations Unies pour le VIH et le sida en Afrique, est préoccupé par la pénurie de condoms dans le pays et que leur prix ait triplé. Dans une conférence de presse à la fin d’août, il a dit que le gouvernement ougandais agissait «sous l’influence de la droite religieuse américaine en menant une campagne de plusieurs milliards de dollars focalisant sur l’abstinence».

Des règlementations récemment adoptées interdisent à des ONG locales et internationales de distribuer des condoms dans les écoles secondaires durant les cours sur la prévention du sida, là où plusieurs jeunes sexuellement actifs peuvent être rejoints. Des affiches publicitaires dans tout le pays font la promotion de messages concernant exclusivement l’abstinence, alors l’aspect préservatif est absent. Des appels pour qu’il y ait un recensement des personnes vierges dans le pays sont aussi fréquents.

Un nouveau programme connu sous le nom d’initiative présidentielle et la stratégie de communication à la jeunesse sur le sida (PIASCY) a été lancé par le gouvernement de l’Ouganda en 2001 pour étendre les cours sur la prévention du VIH à toutes les écoles primaires et secondaires. Financé et conçu par les États-Unis, le PIASCY fournit des messages d’abstinence avant le mariage, et les professeurs interrogés par Human Rights Watch (HRW) ont dit que les personnes offrant la formation PIASCY les encourageaient à omettre l’information au sujet des préservatifs.

Une enquête de HRW indique aussi que les femmes ougandaises, pratiquant l’abstinence jusqu’au mariage et demeurant fidèles à leurs époux, ont encore un risque très élevé de contracter le VIH en raison de l’infidélité de leurs maris ou d’une infection préalable.

Néanmoins, M. Takenzire remarque que les condoms reviennent maintenant en grand nombre et les gens recommencent à les utiliser. Le gouvernement ougandais souhaite aussi mettre sur pied une stratégie de prévention du VIH/sida de cinq ans pour aborder toutes ces questions. Elle inclut l’abstinence de même qu’une panoplie d’autres interventions.