Aveux de coréanophilie… Maurice Courant exposé comme premier coréanologue français

Écrit par Raymond Alexandre. D, La Grande Époque
13.03.2007

 

 

 

 

 

Nous avons eu le privilège d’être invités à visiter l’exposition

Souvenirs de Séoul accueillie par le Conseil général des Hauts-de-Seine

au Musée départemental Albert-Kahn, dans le cadre de la Corée au cœur

célébrant le 120e anniversaire des relations diplomatiques

franco-coréennes.

  • République de Corée en 2006(攝影: / 大紀元)

 

 

La prestigieuse École française d’Extrême-Orient apporte sa caution scientifique1 à cette exposition proposée et accueillie en 2007 par la médiathèque de la Communauté de l’agglomération troyenne.

La scénographie consiste essentiellement dans la présentation au Palmarium de facsimilés extraits du livre Souvenirs de Séoul. Corée1 publié en 1900 par Maurice Courant – premier coréanologue français – et numérisé par la bibliothèque de Troyes : introduction « Le Pavillon coréen au Champ-de-Mars » de l’Exposition universelle à Paris et photographies prises au pays du Matin clair2.

La visite guidée se révèle historique, puisque le Palmarium héberge avec Séoul sa dernière exposition : celui-ci ferme pour travaux et réouvrira en reprenant ses fonctions de salon de thé. Lorsque l’on connaît l’œuvre généreuse d’Albert Kahn3 – qui accueillit le prince et la princesse de Corée en 1927 – on s’aperçoit de la logique conduisant à installer l’exposition séoulite dans la serre du grand humaniste juif. Au demeurant, un « effet de serre » rend la mise en scène originale, voire olfactive…

 

 

Une somptueuse iconographie...

M. Courant (1865-1935)4 arriva à Séoul en 1890 en vue de rédiger une bibliographie coréenne de référence, avec le soutien de Victor Collin de Plancy – premier représentant du gouvernement français – et n’y séjourna que deux années. Les remarquables clichés exposés – probablement dus à Charles Alévèque5 – revêtent volontiers un aspect documentaire, voire sociologique : ainsi, le tir à l’arc constituait l’activité physique à laquelle se livrait sans honte un aristocrate.

L’appétence actuelle pour le coréanologue peut notamment s’expliquer par le « coréanisme », qui conduit à démarquer la Corée de la Chine, sans doute trop fortement comme un éminent sinologue de l’EFEO nous l’a confirmé. Certes, le Français reconnaît que l’Empire du Milieu fournit les sources… « Ce style architectural est chinois d’origine et, comme les Coréens, les Japonais l’ont imité ». Au demeurant, nous pouvons approfondir l’observation de M. Courant : « il a conservé les arts et la civilisation reçus jadis de la Chine ». Effectivement, la modernité trop souvent tragique affectant les différentes Chine contemporaines permet à la République de Corée de servir en quelque sorte de conservatoire de traditions chinoises.

Rappeler certaines origines ne s’avère guère inutile : des voix s’élèvent –  après notre coréanologue  –pour défendre l’hypothèse que la culture coréenne se montrerait plutôt ouralienne, sibérienne, hongroise, turque ou encore finnoise que chinoise… Les caractères qui embellissent Le chant de la fidèle Chunhyang – en fait Chun Xiang, « Parfum de Printemps » : ¥∫œ„ - chef-d’œuvre réalisé par Im Kwon-taek6, démontrent pourtant à l’envi le contraire.

 

…réhaussée par des qualités littéraires

On recherche ordinairement les prophéties : comme à l’accoutumée, il suffit de chercher pour trouver, s’agissant d’une anticipation de la Corée contemporaine - classée désormais dans la dizaine des premiers pays économiquement - par M. Courant… « L’avenir économique s’ouvre […] assez riant pour la Corée […] pourvu […] qu’elle prenne plutôt modèle, si faire se peut, sur la Belgique ou sur la Suisse que sur les grandes puissances. » Capacités prophétiques assez limitées, assorties probablement d’une certaine condescendance : le coréanisme se déploie volontiers à l’encontre de l’influence chinoise mais devient timide lorsqu’il s’agirait de le comparer aux anciennes puissances européennes.

La focalisation sur l’œuvre coréanologique de M. Courant se révèle assurément pertinente : néanmoins, elle ne doit pas occulter le sinologue qui sommeille ou veille en lui. Celui-ci publia De l’utilité des études chinoises en 1899 et soutint la thèse à Lyon Essai historique sur la musique classique des Chinois : avec un appendice [sic] relatif à la musique coréenne.

De même, nous devons évoquer un contemporain du Séoulite éphémère : Paul Claudel et sa Connaissance de l’Est, dont le contenu proprement sinologique reste toujours à (re)découvrir. Au demeurant, certaines notations de M. Courant semblent claudéliennes : ainsi du paradoxal « toit un peu massif, lui donnant une légèreté ».

En relisant l’introduction aux Souvenirs de Séoul – ce texte liminaire constitue la partie rédigée essentielle – nous apprécions le style du coréanologue, qui écrivait en un temps où, plutôt que d’ânonner de l’anglais, on savait encore écrire en (bon) français. Espérons que notre événement rende désormais visible ce pionnier des études coréennes7, encore trop méconnu. Avouons notre coréanophilie et rendez-vous pour nos lecteurs à Troyes, qui offre cette exposition tout à fait réussie…

Adoptons en conclusion l’enseignement d’humilité que dispense l’art asiatique – tant par sa philosophie que par sa grandeur – et pertinemment rappelé sous forme de question par M. Courant… « S’il est une leçon à tirer de l’exposition coréenne, n’est-ce pas une leçon de modestie ? »

 

 

Notes :

1) Mettons en avant le commissariat de l’exposition : Élisabeth Chabanol, maître de conférences responsable du centre EFEO à Séoul.

2) Le « pays du Matin calme » constitue une erreur de traduction certes adoptée par l’usage…

3) 1860-1940. Tout en travaillant péniblement il obtient une licence en droit et devient banquier, ce qui lui permet de financer ses œuvres en faveur de la paix universelle. Depuis 1964 la résidence d’A. Kahn – transformée en musée – appartient au département des Hauts-de-Seine (14 rue du Port, Boulogne-Billancourt).

4) Moins bien représenté sur Internet – qui contribue à transformer la Terre en « boule à cancans » selon l’expression d’Anatole France – que le poète portant les mêmes nom et prénom. Alors qu’on nous rebat les oreilles du « Web 2.0 », la « Wikipedia » – érigée par les thuriféraires de celui-ci en parangon – prétend que le coréanologue naquit en 1885…

5) Professeur de français à Séoul et contemporain de M. Courant.

6) Qui commença à gagner sa vie en réparant des bottes pour l’armée à Pusan...

7) La numérisation de son œuvre devrait participer à sa diffusion. Sachant que le « Pavillon coréen au Champ-de-Mars » vaut davantage cours de langue française que de coréen (ce qui constitue une qualité).