Bush en Amérique latine : Chavez crie au loup

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque - Montréal
02.03.2007

 

Washington peut-il contrer l’influence de l’homme fort du Venezuela ?

Alors que le président des États-Unis, George W. Bush, s’apprête à effectuer une tournée de plusieurs pays d’Amérique latine au début du mois de mars, son homologue vénézuélien, l’expressif Hugo Chavez, annonce que ce voyage de Bush est voué à l’échec. «Que meurt l’empire nord-américain!», s’est exclamé Chavez en commentant dans son émission télévisée la venue du numéro 1 américain.

«Je dois dire que je respecte grandement la liberté diplomatique et la liberté des pays d’Amérique latine de recevoir ce petit monsieur; chacun a son [droit]. Nous, par exemple, nous ne l’accueillerons jamais, jamais […] parce que nous savons ce qu’il est», a déclaré Chavez dans une conférence de presse. Son tour «constitue une offensive sans destin, sans futur» et «a déjà échoué avant de l’avoir commencé».

  • George W. Bush, président des États-Unis,(Staff: KAREN BLEIER / 2007 AFP)

 

Chavez perçoit cette visite de son pire ennemi comme une tentative d’isoler son Venezuela dans la région, de diviser le continent et d’enfreindre le processus d’intégration continentale. En raison de ses revenus de pétrole substantiels et de ses politiques populistes critiquant les abus de l’économie de marché, l’homme fort vénézuélien a réussi à exercer une influence politique et économique ascendante sur ses voisins aux prises avec des difficultés chroniques et hémisphériques.

La négligence des États-Unis, ces dernières années, envers ses voisins du Sud a amplifié l’aversion que ressentent les populations latino-américaines à son égard et cela s’est traduit par l’élection de multiples gouvernements de gauche dans les deux dernières années. Si certaines de ses nouvelles administrations croient bon de maintenir de bonnes, sinon tièdes relations avec Washington, d’autres ont adopté des positions beaucoup plus hostiles et ont même embrassé l’idée de «révolution bolivarienne» prêchée par Chavez. Dans cette catégorie, on retrouve Raffel Correa à la présidence de l’Équateur et Evo Morales aux commandes de la Bolivie. Daniel Ortega, ancien chef sandiniste et ennemi américain durant la guerre froide, a récemment été élu à la présidence du Nicaragua. Bien qu’ayant conservé ses idées de gauche, il s’est modéré suffisamment pour ne pas vouloir tourner le dos complètement aux États-Unis.

Dans les derniers jours, Hugo Chavez y est allé de déclarations incendiaires et d’attaques virulentes à l’égard du président Bush. Le ton utilisé ne variait pas vraiment des habituelles diatribes, mais le contexte, lui, est sensiblement différent.

Lorsque George W. Bush s’approche de Hugo Chavez, ce dernier prétend sentir une «odeur de souffre». Lors du discours de Chavez à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre dernier, il avait dit : «Ça sent le souffre. Le diable est passé ici hier», se référant à Bush qui était sur le même podium la veille.

De manière à poursuivre la blague, ou l’insulte, Chavez a lancé qu’il enverrait une fiole de souffre à son homologue brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, car le Brésil est un des pays sud-américains dans l’itinéraire de Bush. Cette déclaration est survenue alors que Chavez visitait des installations pétrolières avec le président argentin, Nestor Kirchner, au Venezuela pour solidifier les liens économiques entre les deux pays.

Si les États-Unis souhaitaient compter sur l’appui argentin pour calmer les ardeurs de leur principal critique dans les Amériques et dans le monde, ce ne sera pas pour maintenant. M. Kirchner, socialiste modéré, répond bien aux prospects économiques qu’offre le pétrole du Venezuela. «Contenir [Chavez] est une erreur absolue, nous sommes en train de construire avec notre frère, le président Chavez, un espace d'intégration en Amérique du Sud pour la dignité de nos peuples», a déclaré M. Kirchner, dans des propos rapportés par l’AFP.

La semaine dernière, Chavez a accusé l’administration américaine de vouloir saboter l’économie vénézuélienne. Selon lui, le coup d’État raté contre lui en 2002 était une tentative des États-Unis de s’emparer des ressources pétrolières du pays avant d’aller en guerre en Irak. Par la suite, il affirme avoir été victime de multiples tentatives d’assassinat, toutes planifiées selon lui par l’administration Bush. Comme toutes ces tentatives de l’éliminer ont échoué, il croit que l’économique serait maintenant le nouveau front qu’utilisent ses ennemis américains.

L’économie américaine est liée de près au Venezuela, car elle y soutire une énorme quantité de pétrole pour fonctionner. Le Venezuela est le quatrième plus gros fournisseur de brut aux États-Unis. Les déclarations de Bush annonçant que son pays doit se détourner des sources de pétrole conflictuelles et miser sur d’autres types d’énergies, pourraient, à moyen terme, avoir une incidence sur le Venezuela.

Mais Chavez n’a peut-être pas trop à s’inquiéter de la visite de Bush, car elle se fera majoritairement dans des pays déjà alliés de Washington : Colombie, Guatemala et Mexique. Les autres pays visités seront le Brésil et l’Uruguay.

Le destin de la Colombie d’Uribe est intimement lié à celui des États-Unis. Les deux pays collaborent étroitement en matière de lutte contre la drogue, ou du moins, la Colombie a bénéficié d’une aide militaire américaine substantielle.

Cette alliance Bogota-Washington peut réellement agacer Caracas, et les rumeurs selon lesquelles Chavez partagent certains liens avec la guérilla marxiste des FARC, impliquée dans le trafic de la drogue pour financer ses opérations et autres narcotrafiquants, sont une carte de choix pour justifier les stratèges américains qui apprécieraient un monde sans Chavez.

Mais un scandale ébranle présentement le lien de confiance entre Bogota et Washington. Des membres influents de l’administration Uribe sont accusés d’avoir collaboré avec les paramilitaires d’extrême-droite, responsables d’assassinats politiques, d’enlèvements et de trafic de drogue. Mais le Boston Globe rapporte qu’il est peu probable que Bush reconsidère son alliance avec Uribe, étant donné sa loyauté et son importance stratégique vis-à-vis Chavez.

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L’élection de Felipe Calderon au Mexique l’été dernier, une élection

extrêmement mouvementée qui a vu le perdant, le socialiste Lopez

Obrador, mener une campagne active contre une fraude présumée, a

également garanti que Mexico demeurerait dans le giron de Washington.

Calderon, homme de droite, a succédé à l’ami de Bush, Vicente Fox.

L’influence du Mexique en Amérique latine est limitée, en partie en

raison des conflits internes qui perdurent toujours et de cette

proximité avec les États-Unis. On risque d’observer dans ce pays de

sérieuses manifestations d’hostilité lors de la visite du président

américain, et il va presque de soi que la violence sera au rendez-vous.

Le Guatemala est pour l’instant une formalité pour Bush, mais ceci

pourrait changer dans les prochains mois, alors que la récipiendaire du

prix Nobel de la paix en 1992, Rigoberta Menchu, militante indigène

renommée et candidate d’un parti de centre-gauche, se présentera aux

présidentielles.

Les défis de Bush et les inquiétudes de Chavez vont se manifester

surtout autour des visites au Brésil et en Uruguay. Le Brésil prend de

plus en plus de poids sur la scène internationale et représente déjà la

force majeure en Amérique du Sud. Son statut lui permet de jouir d’une

certaine indépendance des acteurs étrangers qui pourraient tenter de

s’ingérer. Le président Lula marche toutefois sur des oeufs en tentant

de ne pas écorcher les investisseurs étrangers et sa propre population

qui compte toujours sur lui pour une amélioration des conditions de

vie.

Pour sa part, le modèle uruguayen se rapproche davantage du système

argentin et chilien et ne revêt pas encore une importance stratégique

sur le continent. Mais un refus de trop réchauffer les liens avec

Washington serait une victoire pour Chavez. En attendant, il est

rapporté que l’Uruguay se polarise à la veille de la visite de Bush,

avec les opposants qui préparent des actions pour manifester leur

désaccord avec, entre autres, les guerres d’Irak et d’Afghanistan

Alors que la verve anti-américaine du président vénézuélien est

comparée à celle du président iranien, Ahmadinejad, leurs régimes

respectifs pourraient projeter une image de force tout en étant minés

par des facteurs internes.

International Crisis Group, un institut oeuvrant pour la résolution des

conflits, a publié le 22 février 2007 un rapport sur les années au

pouvoir de Hugo Chavez. Sans affirmer qu’il est un dictateur, le groupe

confirme que les tendances autoritaires s’accentuent et que de graves

problèmes couvent à l’horizon. Parmi ces problèmes, il note la

frustration grandissante de la population en raison de la criminalité

incontrôlable (le Venezuela est une plaque tournante du trafic de la

drogue), l’inefficacité du gouvernement par ses dépenses excessives et

sa corruption, la polarisation du corps politique qui aurait atteint

des «proportions historiques». Le groupe craint également que Chavez,

ex-officier militaire, soit en train de soumettre la démocratie à sa

main en contrôlant tous les organes régulateurs (l’Assemblée nationale,

les tribunaux, les médias, etc.).

La perspective d’une baisse des prix du pétrole est aussi considérée

comme une poudrière. «Si Chavez continue d’augmenter son pouvoir

personnel aux dépens des autres institutions et qu’il continue de

militariser le gouvernement et la vie politique, il y aura de sérieux

risques de conflits internes, particulièrement si le boum pétrolier qui

soutient l’économie s’essouffle», estime Alain Deletroz, directeur de

programme pour la section Amérique latine du International Crisis Group.

Le groupe croit même qu’une crise pourrait faire balancer le pouvoir

dans l’Assemblée nationale, ce qui pousserait des partisans chavistes à

s’en remettre à la violence pour défendre le régime. Il note qu’une

intense militarisation s’est effectuée depuis la prise du pouvoir par

Chavez, notamment par la création de corps militaires et brigades qui

sont directement sous son commandement.

Les deux hommes, Chavez et Bush, ont fait prendre à leurs pays

respectifs des trajectoires qui sont politiquement opposées, mais ils

se soutiennent économiquement et l’un peut justifier à travers

l’adversaire l’importance accordée au domaine militaire. Que serait

Hugo Chavez sans George W. Bush? Sans les États-Unis et leur forte

dépendance au pétrole?