Trop d’hommes et pas assez de femmes à l’échelle mondiale
La pénurie cause une augmentation des enlèvements et du trafic d’êtres humains Ce sera un garçon ou une fille? Bleu ou rose? La sélection du sexe de l’enfant a existé dans plusieurs cultures sous différentes formes à travers l’histoire, mais en raison des développements technologiques des dernières années, c’est devenu une pratique acceptée et répandue. L’accessibilité des échographies à prix modique dans les pays asiatiques, ces vingt dernières années, a permis même aux femmes les plus pauvres de pouvoir discerner le sexe de leur enfant avant qu’il soit né. |
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La sélection du sexe dans des pays comme la Chine et l’Inde s’effectue la plupart du temps par échographie, suivi d’un avortement si le fœtus est de sexe féminin. Alors que le ratio naturel est d’environ 105 garçons pour 100 filles, en Inde, il est grimpé à 113 garçons pour 100 filles et même jusqu’à 156 garçons pour 100 filles dans certaines régions. Actuellement, le ratio des sexes en Chine est d’environ 120 garçons pour 100 filles et, dans les provinces plus prospères, il est encore plus élevé. Même si les deux pays ont interdit les avortements à but sélectif, l’Inde en 1994 et la Chine plus récemment, ils sont encore largement pratiqués. Déséquilibre Les raisons pour les taux élevés d’avortements des filles sont multiples et variées. L’Inde et la Chine, de même que d’autres pays ayant recours aux avortements à but sélectif à grande échelle, ont une préférence pour les garçons qui ne date pas d’hier, particulièrement dans les régions rurales. Souvent, c’est le côté «pratique» qui l’emporte : un fils peut travailler à la ferme, porter le nom de famille, prendre soin des parents lorsqu’ils sont âgés, tandis qu’une fille fera partie de la famille de son époux après le mariage. En Inde, où la dot d’une fille peut être exorbitante, la pression financière est souvent une excuse pour recourir à un avortement à but sélectif ou à l’infanticide. Une étude de la revue médicale britannique Lancet, publiée en 2006, estime à 500 000 le nombre de fœtus de sexe féminin avortés chaque année en Inde. Mais la politique de l’enfant unique en Chine, mise en place en 1979 pour diminuer la population, a sérieusement brisé l’équilibre des sexes dans ce pays. Un article de janvier dernier dans le China Daily, organe du gouvernement, estime qu’en Chine, il y aura 30 millions d’hommes de plus que de femmes en âge de se marier d’ici 2020, ce qui pourrait mener à de graves troubles sociaux. Déjà, le déséquilibre a provoqué une hausse des enlèvements et du trafic de femmes, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Les services de ventes d’épouses par correspondance ont proliféré et, pour la somme de 2400 $, ils importent des femmes d’autres pays, en particulier de Birmanie, pour servir d’épouses à des hommes chinois. Joseph D’Agostino, vice-président des communications pour le Population Research Institute (PRI), basé en Virginie, qualifie la politique de l’enfant unique de «violation massive des droits de l’homme» qui affecte les femmes et les hommes. «Quand on en vient aux avortements à but sélectif, il s’agit de quelque chose qui mène à de graves problèmes sociaux : l’extermination de dizaines de millions de filles», souligne D’Agostino. «Et bien entendu, c’est mauvais pour les garçons aussi, car ils vont grandir sans pouvoir se marier. Cela semble aller contre les intérêts de tous, sauf ceux de l’élite et du gouvernement communiste qui dirige la Chine, qui a son propre agenda et ses propres objectifs.» D’Agostino mentionne que Pékin est maintenant au courant des problèmes de la sélection des sexes et a récemment alloué des primes à des familles qui ont des filles, mais l’écart dans le ratio garçon/fille continue de s’accroître. Entre-temps, la politique de l’enfant unique sera fermement maintenue pour encore 50 ans, l’objectif étant de réduire la population de la Chine de moitié, soit de 1,2 milliard à 600 millions. En raison de la politique, les femmes enceintes sont sujettes au harcèlement, aux sanctions pécuniaires, aux avortements et stérilisations forcés, souvent à des stades avancés de leur grossesse. Chen Guangchen, un militant aveugle qui a lutté contre la politique de l’enfant unique et qui est actuellement emprisonné, a dit en octobre dernier que plus de 120 000 femmes de la province de Shandong uniquement ont été victimes d’avortements ou de stérilisations forcés. Au Tibet, des avortements et stérilisations forcés sont aussi pratiqués. The Dying Rooms, un documentaire britannique choquant ayant déclenché un tollé dans le monde, montrait des enfants abandonnés dans certains des orphelinats sous le contrôle du gouvernement chinois, sans soins et laissés à mourir dans la misère noire, victimes de la politique de l’enfant unique. D’Agostino estime que 95 % des orphelins en Chine sont des filles. En 2005, un rapport de l’Organisation des Nations Unies affirmait que le nombre de filles «disparues» en raison des avortements et des infanticides est estimé à 200 millions dans le monde. Pour essayer d’enrayer ce problème, les États-Unis ont proposé dernièrement une résolution à la Commission de la condition de la femme de l’ONU demandant aux États d’éliminer l’infanticide et la sélection des sexes. Mais la résolution a été retirée, en raison de l’opposition de la Chine, de l’Inde, du Mexique et d’autres pays, dont le Canada apparemment. Mary Ellen Douglas, organisatrice nationale avec la Campaign Life Coalition, un organisme contre l’avortement qui avait un représentant présent durant les deux semaines de la conférence, a expliqué que la résolution contenait un langage qui ne convenait pas à la délégation canadienne, alors elle s’y est opposée.
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«Les Canadiens essaient constamment d’introduire le vocabulaire des
droits des femmes dans tout, et ils prétendent qu’ils le font pour une
question de justice. Mais il semble que leur but est d’obtenir le droit
universel à l’avortement, c’est tout ce qui compte pour eux», déplore
Mme Douglas.
Même si le ministère des Affaires étrangères affirme que «le Canada n’a
pas bloqué la résolution», Samantha Singson de l’ONG catholique C-FAM,
soutient que malgré son absence à la session se déroulant à huis clos,
elle a «appris de sources dans la salle des négociations que le Canada
a travaillé très dur pour obtenir le retrait de la résolution.»
Mme Douglas fait remarquer qu’elle était surprise de voir la Corée du
Sud appuyer la résolution, compte tenu qu’il s’agit d’un pays ayant une
grande préférence pour les fils. Mais ce n’est peut-être pas si
surprenant, car le gouvernement sud-coréen reconnaît qu’il y a un
sérieux déséquilibre entre les sexes en raison des avortements à but
sélectif et il mène une campagne d’opinion publique avec le slogan
«Aimez votre fille». Pendant ce temps, les hommes sud-coréens voyagent
dans d’autres pays, en premier lieu au Vietnam, pour se trouver une
épouse.
L’Inde a essayé de renverser la tendance avec la mise en place de
nouvelles lois en 2002 qui interdisent la révélation du sexe d’un fœtus
ou la publicité de services qui déterminent le sexe d’un fœtus. Mais
jusqu’à maintenant, seulement un médecin a été accusé. L’année
dernière, la Chine a laissé tomber une proposition d’imposer des
amendes et des peines de prison pour les avortements à but sélectif.
Comme dans plusieurs pays asiatiques, les avortements à but sélectif
sont communs à Cuba, au Venezuela et au Pakistan, de même qu’au sein
des communautés des immigrants du Canada et des États-Unis. Selon un
récent article du magazine Western Standard,
certains immigrants asiatiques pratiquent l’avortement à but sélectif
au Canada et des cliniques de Colombie-Britannique et d’Ontario
répondent à leur besoin. Une clinicienne de Colombie-Britannique
interviewée pour ce reportage estime qu’elle rencontre environ une
femme par semaine souhaitant se faire avorter parce que son fœtus est
de sexe féminin.
Mais les avortements à but sélectif ne sont pas favorisés par la
plupart des Canadiens. La Commission royale sur les nouvelles
techniques de reproduction de 1993 a découvert que 90 % des Canadiens
étaient mal à l’aise à propos des avortements à but sélectif.
Et même si plusieurs partisans de l’avortement s’opposent à
l’avortement d’un fœtus pour une question de sexe, la Coalition pour le
droit à l’avortement au Canada a publié un document sur sa position au
sujet du choix des sexes mentionnant qu’«il est important de se
rappeler que nous ne pouvons pas restreindre le droit des femmes à
l’avortement tout simplement parce que certaines femmes pourraient
prendre des décisions avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord.»
Croyant que le déséquilibre entre les sexes «devient un gros problème
mondial qui s’aggrave chaque année», Joseph D’Agostino dit que son
organisation aimerait voir l’interdiction des avortements à but
sélectif aux États-Unis. À ses dires, cela devrait occuper une place
plus importante dans l’agenda de l’ONU, et les pays doivent travailler
pour «changer la culture entourant cela, avec espoir de changer les
lois.»
«Il doit y avoir une sorte d’approche à l’échelle mondiale à cela, car
cela se transforme rapidement en un problème social», laisse entendre
D’Agostino. «Ce n’est pas seulement immoral, ce n’est pas pratique et
les gens doivent avoir une mentalité différente.»