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Russie : un pas de plus vers l’autoritarisme

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque - Montréal
18.04.2007
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Dissidence, répression et une nouvelle guerre froide qui s’annonce

Pour certains, l’écroulement du bloc soviétique représentait le triomphe du modèle occidental de démocratie libérale. Le monde allait être plus sécuritaire. D’autres se lamentaient de la disparition de l’URSS, craignant une hégémonie totale des États-Unis d’Amérique sur le monde entier. Avec une quinzaine d’années de recul, nous pouvons constater que les espérances des uns et les craintes des autres ne se sont pas totalement matérialisées.

  • La police pousse dans un fourgon un militant de l’opposition au régime(Staff: ALEXANDER NEMENOV / 2007 AFP)

 

La transition du totalitarisme à la démocratie en Russie s’est effectuée péniblement et, si l’idéologie communiste a été délaissée, ses réflexes de frapper fort et tuer dans l’œuf n’ont pas été abandonnés, comme le démontrent divers événements récents. Après tout, ce serait environ quatre cinquièmes de l’establishment russe qui proviendrait des services secrets KGB et ses organisations héritières. Ces dernières années ont été particulièrement marquantes pour la reconstruction de l’identité politique russe et le chemin sur lequel se sont engagées les élites dirigeantes est celui du rétablissement de la Russie en tant que puissance hégémonique régionale et mondiale.

Cette montée du géant, alimentée économiquement par ses immenses réserves de gaz naturel, laisse également transpirer une idéologie fortement patriotique dont les excès ont eu des conséquences xénophobes et souvent violentes. Ceux qui «osent» critiquer le pouvoir sont accusés de «traîtrise» par certains modeleurs de l’opinion publique.

Dans un tour de force étonnant, le régime de Poutine a banni tous les étrangers des 5200 marchés en Russie. Ceux-ci n’ont plus la permission d’y faire des affaires. Mêmes les immigrants légaux n’ont pas le droit d’y tenir boutique. Il en résulte qu’environ le tiers des espaces de commerce dans les marchés sont inoccupés. Mentalité des «immigrants voleurs de jobs»? Perversion xénophobe, car les emplois dans les marchés sont dénigrés par les «vrais» Russes, ce qui explique pourquoi les étrangers y étaient si nombreux.

Suivant la logique de ce décret gouvernemental, les groupes d’extrême-droite prolifèrent et sont responsables d’une quantité de crimes à nature raciale, allant de l’agression au meurtre. Tandis que les opposants à Poutine se font interdire leurs activités publiques, les groupes fascistes déambulent librement dans les rues.

L’Autre Russie

Par les assassinats de journalistes critiques du pouvoir et ceux d’opposants à l’aide de moyens occultes, la société civile tente de survivre et de se faire entendre, avançant qu’une «autre Russie» est possible, sans Poutine.

L’ancien champion du monde d’échecs, Garry Kasparov, est un des dirigeants de la coalition l’Autre Russie qui regroupe des groupes politiques de diverses allégeances et des organisations sociales ou de défense des droits de l’homme. L’ex-premier ministre, Mikhaïl Kassianov, est aussi un membre important du mouvement. L’Autre Russie constate la dérive autoritaire du régime et souhaite le retour à la bonne gouvernance civile, à la liberté des médias, à la séparation effective des pouvoirs, etc.

«Notre but est de combattre cette tendance [autoritaire] destructive et c’est pour cela qu’ils nous méprisent et ont peur de nous», peut-on lire sur le site officiel de l’Autre Russie. «Leur peur est justifiée, car les tâches que nous donnons à notre pays et à nous-mêmes sont incompatibles avec l’existence du présent régime.»

À quel point le régime de Poutine est effrayé par ce mouvement populaire revendicateur? Au point de bloquer ses manifestations populaires et de les réprimer. Samedi 14 avril, une troisième «marche du désaccord» devait avoir lieu, cette fois dans la capitale Moscou, et 9000 policiers anti-émeute et autres agents étaient déployés pour la contrer. Les marches précédentes s’étaient tenues à Saint-Pétersbourg le 3 mars et à Ninji-Novgorod le 24 mars. Toutes trois ont été interdites par les autorités et se sont soldées par de multiples arrestations.

Cette fin de semaine, plus de 250 personnes auraient été interpellées, selon une source policière citée par l’agence Ria Novosti. Garry Kasparov était l’une d’elles et il aurait été mis à l’amende pour avoir «troublé l’ordre public», soit avoir «crié des slogans anti-gouvernementaux», selon l’avocate de M. Kasparov.

Au même moment, des néonazis tenaient un rassemblement dans Moscou sans être dérangés, pouvant librement déployer leurs slogans racistes et faire leurs signes hitlériens sieg heil.

Blâmer les Américains

Le 13 avril dernier, le Parlement russe a accusé les États-Unis d’être derrière l’agitation politique dissidente, dans un effort qui semble vouloir discréditer particulièrement le mouvement d’opposition l’Autre Russie.

Les parlementaires n’ont pas digéré la section sur la Russie du rapport sur les droits de l’homme du Département d’État américain, accusant Washington de critiquer seulement les pays qui ne suivent pas sa ligne. Il s’agit pour eux d’une «ingérence dans les affaires intérieures du pays».

Si les différents reportages n’indiquent pas précisément comment les États-Unis auraient apporté leur soutien aux dissidents russes, sur le site Internet de l’Autre Russie, nous pouvons retrouver les traces de la présence de hauts responsables américains lors d’une grande conférence de l’organisation avant le déroulement du sommet du G-8, en juillet 2006, à Saint-Pétersbourg. Mais cela n’est que très peu révélateur, car des dignitaires de plusieurs autres pays y auraient assisté également en tant qu’invités, notamment l’ambassadeur du Canada en Russie, Christopher Westdal.

Les parlementaires russes décrient également qu’au sein du mouvement contestataire se trouvent des éléments extrémistes, comme le parti National-bolchevique, regroupant des nostalgiques de l’ère stalinienne, qui fait partie de l’Autre Russie. C’est donc une coalition qui ne regroupe pas que des organisations homogènes toutes démocratiques en principe. C’est une des raisons également pour laquelle l’influence de l’Autre Russie n’est pas très répandue, ne pouvant rallier l’ensemble des forces de l’opposition.

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Déstabiliser de l’extérieur

De sérieux coups médiatisés ont été portés au régime de Poutine dernièrement, mais ils ne venaient pas d’un gouvernement étranger, mais plutôt de ressortissants russes en sol britannique.

Le milliardaire russe Boris Berezovsky a déclaré vouloir fomenter une révolution pour renverser Poutine. «Nous devons employer la force pour renverser ce régime […] Ce n'est pas possible de le faire par des moyens démocratiques», a-t-il affirmé dans une entrevue au quotidien The Guardian le 13 avril dernier. Ses motifs sont les mêmes que les autres dissidents du régime de Poutine, soit l’opposition à la centralisation du pouvoir et la dérive autoritaire. Il a dit que son implication était surtout financière.

Ses propos ont causé une onde de choc et suscité une vive réaction du côté russe qui a qualifié de «criminels» les dires de M. Berezovsky, a demandé son extradition et a chargé les services de sécurité de l’enquêter.

Le 14 avril, l’homme d’affaires s’est rétracté, voyant qu’il venait de se mettre sérieusement les pieds dans les plats. «Je soutiens l'action directe. Je ne défends pas, ni ne soutiens la violence», a-t-il déclaré dans un communiqué.

Mais l’ex-KGB était vraisemblablement déjà sur son cas, Berezovsky étant un ami de l’ex-espion russe Alexandre Litvinenko, assassiné en 2006 par une substance hautement radioactive. Litvinenko était un critique sévère du Kremlin, lui qui dit avoir découvert, lorsqu’il était dans les services secrets russes, que les attentats visant des immeubles d’appartements n’avaient pas été préparés par des terroristes tchétchènes comme le laissaient croire les autorités, mais bien par le gouvernement lui-même afin de justifier la campagne militaire en Tchétchénie et fortifier l’emprise sécuritaire sur la société.

Plus tôt en avril, la veuve de Litvinenko, Marina Litvinenko, a annoncé le lancement d’une campagne pour obtenir justice, craignant que l’enquête sur la mort de son mari ne soit étouffée. Menée par Scotland Yard, avec une collaboration russe qualifiée par certains de risible, l’investigation pourrait être reléguée aux oubliettes, car elle serait potentiellement très dangereuse pour certaines personnalités du Kremlin.

Cette campagne est financée par Boris Berezovsky, qui dit s’être fait sauver la vie plusieurs fois par Litvinenko.

Les démons du passé

À travers toutes ces luttes et intrigues, la tension a monté d’un cran entre Moscou et Washington. Les États-Unis prévoient déployer des éléments du bouclier anti-missile en Pologne et en République tchèque, soit deux anciens satellites de l’orbite communiste soviétique. À cela, la chambre basse du Parlement russe a déclaré, dans une motion votée à l’unanimité : «De telles décisions […] contribuent dès aujourd'hui à une nouvelle scission de l'Europe et à la relance d'une nouvelle vague de course aux armements.»

C’est donc un autre climat de guerre froide qui s’installe entre les deux géants, qui n’ont cessé de se harceler dernièrement, particulièrement par le biais de pays interposés.

La politique étrangère russe est semblable à celle de la Chine, visant essentiellement à s’opposer à tout ce que Washington supporte et supporter tout ce à quoi Washington s’oppose. L’Occident boude le Hamas, la Russie l’accueille chez elle. Les États-Unis confrontent l’Iran, Moscou fournit quantité de matériel militaire à Téhéran et l’aide à construire le complexe nucléaire de Bushehr. La communauté internationale condamne les massacres de civils en Ouzbékistan, Poutine récompense et félicite son homologue ouzbek. Des pressions sont faites sur le régime soudanais pour qu’il cesse son génocide téléguidé au Darfour, Moscou et Pékin bloquent le processus à l’ONU.

Si le scénario pré-1991 ne peut se répéter d’une manière identique, en raison de l’intégration économique grandissante et de l’absence de clivage idéologique profond, la montée de puissances émergentes cherchant à établir une domination, couplée du fléchissement américain causé par son embourbement dans deux foyers conflictuels, laissent présager certaines trajectoires qui pourraient se heurter.

Le désir du Kremlin de monopoliser les ressources du pays n’a certes pas un objectif communiste. Les détracteurs du régime vous diront plutôt que le pays est de plus en plus «fascisant».

Avec AFP.

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.