Franz Liszt (1811-1886), virtuose adulé, compositeur fécond, grand séducteur (2e partie)

Écrit par Raymond Laberge, Collaboration spéciale
19.04.2007

 

 

En 1855, une vocation nouvelle s’affirme chez Liszt qui écrit: «Le

compositeur de musique d’église est aussi un prédicateur et un prêtre.

Là où la parole n’est plus assez expressive, la musique vient lui

apporter une foi, un élan nouveau.» Il a désormais trouvé une nouvelle

source d’inspiration à laquelle il va se consacrer presque

intégralement pendant 30 ans. En quatre mois, il compose sa Messe de

Gran (du nom de la ville siège de l’archevêque-primat de Hongrie), une

commande de l’archevêque de Pest. Masse orchestrale, instrumentale et

vocale s’y déploie avec majesté, dans une volonté de transfigurer la

liturgie. Elle déconcerte. Presque aussitôt, écrit pour chœur,

orchestre et ténor, c’est le Psaume XIII: une plainte pathétique

(«Seigneur, jusqu’à quand m’oublieras-tu?») qui se termine cependant

dans une espérance qui efface le doute.

  • Franz Liszt (1811-1886)(攝影: / 大紀元)

 

Espérance et apaisement dont Liszt va bientôt avoir grand besoin. Les critiques ne lui manquent pas. L’annulation du premier mariage de la princesse Carolyne Sayn-Wittgenstein se révèle plus compliquée que prévue: et tandis que les difficultés s’amoncèlent, la princesse se fait jalouse et moralisatrice. Elle décide, en mai 1860, d’aller défendre sa cause, elle-même, à Rome. Dans la vie de Liszt, c’est soudain une grande solitude: ses filles viennent de se marier, son fils meurt, à l’âge de vingt ans. Devenu membre du Tiers-Ordre franciscain, probablement en 1858, il lui semble, malgré l’obstination de sa femme dans ses projets matrimoniaux, que rien de ce qui n’est pas religieux ne doive plus, désormais, compter pour lui. Alors, il compose, en abondance, de la musique sacrée: psaumes, messe à quatre voix et orgue.

Soudain, de Rome, la princesse l’appelle: toutes les difficultés sont aplanies, leur mariage pourra être célébré le 22 octobre 1861, jour de ses cinquante ans. Et Liszt la rejoint. Tous deux organisent une veillée de prière, la veille du jour tant attendu… pour apprendre, dans la nuit, que la déclaration de nullité du premier mariage de Carolyne est définitivement refusée par Rome. Dans ce rebondissement de dernière minute, comment le couple n’aurait-il pas lu une désapprobation du ciel? Au point que, lorsque la mort du prince de Wittgenstein, en l864, rendra Carolyne libre, ni l’un ni l’autre n’auront plus envie de régulariser leur situation.

Heureux de retrouver Rome et de pouvoir y travailler loin de toute intrigue, Liszt achève, en 1862, une composition à laquelle il travaillait depuis quatre ans: son oratorio la Légende de sainte Élisabeth, un authentique chef-d’œuvre musical. Le personnage principal de cet oratorio lui ressemble par plus d’un trait: princesse hongroise du 13e siècle, tertiaire de saint François, d’une charité sans limite. Thèmes liturgiques et populaires s’y mêlent de façon harmonieuse, sans nuire au mouvement dramatique.

De plus en plus solitaire, Liszt se retire sur le Monte Mario, d’où il domine le paysage romain et s’abandonne à la méditation des écrits franciscains. Réflexion transcrite en musique; et ce sont, en 1862 et 1863, les légendes Saint François d’Assise parlant aux oiseaux et Saint François de Paule marchant sur les flots, œuvres qu’il interprétera au piano, lorsque le pape Pie IX viendra s’entretenir avec lui, dans sa retraite, des réformes, alors en gestation, de la musique religieuse.

L’évolution spirituelle du musicien le conduit peu à peu à un aboutissement auquel il avait si souvent aspiré: le 25 avril 1865, il reçoit les ordres mineures. Ordination qu’accueillent avec sarcasme maîtresses délaissées et nombre d’amis de l’ancien dandy. Dès lors, plus qu’une inspiration à suivre, la musique sacrée est, pour Liszt, un sacerdoce à remplir. Pourtant, le succès est loin de récompenser les efforts du compositeur qui cherche, dans sa Missa choralis, à restaurer une authentique musique religieuse par une synthèse du grégorien et de la polyphonie de la Renaissance. Œuvre pour chœur à quatre voix mixtes et orgue, cette messe servira de modèle aux rénovateurs allemands de la musique d’église.

La Messe du couronnement (1867, composée pour l’empereur François-Joseph) et le Requiem (1871) conduisent au Christus, une œuvre majeure et dépouillée, qui superpose un oratorio de Noël, un poème symbolique sur les Béatitudes et un autre sur la Passion et la Résurrection. Presque chaque année, l’abbé Liszt compose quelques nouvelles pièces d’inspiration religieuse. Mais le vieil homme n’a plus toujours l’occasion, ni la volonté, de les faire connaître ni de les imposer. Il peut néanmoins s’estimer comblé d’une double satisfaction: le Christus, qu'il a dirigé en 1873, est bien accueilli, et Liszt vient d’être nommé chanoine honoraire d’Albagno, dignité qui lui confère le droit de porter l’écharpe violette.

Ce concertiste infatigable, malgré tout, a repris ses déplacements. Une activité inlassable qui ne casse pas le rythme de ses compositions. Le Psaume 129 (De Profundis), pour baryton et orgue, datant de 1881, est une méditation angoissée. Dans un train qui l’emmène, en 1886, au festival de Bayreuth en Allemagne, Liszt prend froid. Il y meurt le 31 juillet, laissant pour tout héritage sa soutane, quelques chemises et sept mouchoirs.

Parmi les diverses facettes qui composent la personnalité du musicien hongrois, le compositeur religieux est sans doute le plus méconnu. Un langage musical souvent révolutionnaire, certes, mais aussi une inspiration nouvelle. Liszt ne s’est soucié ni d’accompagner une célébration liturgique, ni d’expliquer un dogme. Il a exposé une foi, sa foi, dont la sincérité, quels que soient les rebondissements de la vie de l’artiste, ne saurait être mise en doute. Terminons par une anecdote révélatrice de l’homme. Un jour, au cours d’une tournée de concerts, le musicien descendit dans un hôtel, à Genève, et l’hôtelier le pria de bien vouloir s’inscrire au registre des visiteurs. Il s’exécuta en souriant, et nota:

«Profession : musicien-philosophe

Lieu de naissance : le Parnasse

Lieu de provenance : Le doute

Lieu de destination : la vérité.»

Cette vérité, Liszt devait la chercher sa vie durant.

L'auteur de l'article est historien.

À lire sur ce sujet :

Émile Haraszti, Franz Liszt, Picart, 1967.

André Gauthier, Liszt, classiques Hachette de la musique, Hachette, 1972.

Claude Rostand, Liszt, collection Solfèges, Seuil, l960.