Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Les Afghans oubliés

Écrit par Olivier Chartrand, La Grande Époque - Montréal
20.04.2007
| A-/A+

 

 

 

Huit morts de plus se sont ajoutés à la liste des Canadiens tués en Afghanistan depuis le déploiement des troupes en 2002. La population, des personnalités publiques ainsi que plusieurs élus sont ainsi poussés à se questionner sur la pertinence de la participation des forces canadiennes dans ce conflit. D’autant plus qu’au mois d’août prochain, ce sont nos «p’tits gars» de Valcartier qui prendront le relais à Kandahar dans le sud du pays, où il y a affrontement quotidien entre les forces de l’OTAN et les talibans. 

  • Un soldat canadien prend une pause de repos(Staff: JOHN D MCHUGH / 2006 AFP)

 

Objectifs de la mission

D’un point de vue strictement militaire et de politique étrangère, l’Afghanistan est une bonne façon pour le Canada de redorer son blason sur la scène internationale, car depuis plusieurs années, sa réputation de «Casque bleu» s’essouffle. En outre, c’est également un moyen d’assumer ses responsabilités face aux alliés de l’OTAN. Ce qui n’a pas toujours été le cas pour le Canada qui ne rencontre pas les exigences minimales de contingent disponible pour une éventuelle mission impliquant l’organisation. En d’autres mots, nous voulons être protégés par nos alliés sans que nous soyons obligés d’offrir le même service en retour.

Mis à part le crédit politique, un des principaux objectifs d’Ottawa dans son intervention militaire est de stabiliser la situation en Afghanistan pour enrayer les facteurs entraînant le terrorisme international. Cependant, il semblerait qu’Ottawa et ses alliés de l’OTAN aient oublié que la stabilité de l’Afghanistan ne passe pas seulement par Kaboul mais, d’abord et avant tout, par les Afghans.

Les Afghans oubliés

Le Canada a contribué avec succès au bon déroulement de la tenue d’élections démocratiques à Kaboul en 2003. Pourtant, l’effet de ces élections est contesté par certains observateurs. «L’OTAN se félicite de la tenue d’élections nationales, mais dans les faits, celles-ci n’ont aucune signification pour les Afghans dans des endroits comme Kandahar», peut-on lire dans le rapport du Comité sénatorial permanent de la défense et de la sécurité publié en février 2007. Les Afghans «ne se reconnaissent pas dans leurs propres dirigeants politiques», écrit Marc-André Boivin, expert en matière d’opérations de paix, dans un article publié dans Le Devoir du 6 septembre 2006.

Le cynisme est encore plus grand lorsque l’on constate que les seigneurs de la guerre, les moudjahidines, se sont assurés un rôle central dans le gouvernement de Kaboul, ayant fortement contribué à l’éviction des talibans en 2001. Or, ce sont justement ces moudjahidines qui sont à l’origine du climat d’instabilité qui a permis l’ascension des talibans au pouvoir.

De plus, les conditions de vie des Afghans sont très difficiles (13 % de la population a accès à de l’eau potable, l’espérance de vie est de 44 ans, problème d’analphabétisme, de toxicomanie, etc.). Or, sans l’appui de la population afghane, aucune amélioration durable et profonde ne peut être espérée. Si les forces de l’OTAN sont perçues comme une armée d’occupation qui n’améliore en rien les conditions de vie des Afghans, mais qui au contraire génère des conflits armés, la population risque de se rebeller contre celles-ci et contre l’Occident en général.

Le chef des forces de l’OTAN, le général David Richards, estimait en octobre 2006 que si les conditions de vie des Afghans ne s’amélioraient pas dans les six mois, 70 % d’entre eux basculeront dans la partie adverse pour soutenir les talibans. «On est en train de fabriquer des terroristes à grande échelle en agissant comme une armée d’occupation», croit Samir Saul, professeur à l’Université de Montréal et spécialiste du monde arabe cité dans un article du Devoir du 5 septembre 2006.

Cela dit, de 2001 à mars 2006, l’effort militaire canadien a été d’environ 900 fois plus élevé que l’aide à la reconstruction et au développement en Afghanistan.

Pas assez de ressources déployées

Mis à part cette disproportion, plusieurs observateurs estiment qu’il

n’y a tout simplement pas assez de ressources utilisées pour atteindre

les objectifs de la mission en Afghanistan. «Le contingent actuel de

l’OTAN ne compte pas suffisamment d’effectifs pour lutter pied à pied

avec les talibans, défendre les projets de développement et en même

temps entraîner les soldats et les chefs afghans», peut-on lire dans le

rapport du Comité sénatorial. Dans un article publié dans La Presse du

5 février dernier, Marc-André Boivin rappelle que 60 000 soldats

étaient déployés en Bosnie en 2007 alors qu’il y en a seulement 40 000

en Afghanistan, les effectifs américains et de l’OTAN confondus. «Pour

un pays plusieurs fois plus grand que la Bosnie, ça donne bien peu de

soldats au kilomètre carré», relève l’expert.

{mospagebreak}

 

C’est encore plus vrai du côté de l’aide humanitaire. «Entre 2002 et

2006, les Afghans ont bénéficié de l’équivalent de 60 $ d’aide par

personne alors qu’entre 1996 et 1999, les Bosniaques ont reçu près de

350 $ par personne», précise M. Boivin.

Le rapport du Comité sénatorial propose à ce sujet que le Canada

«reconsidère son engagement si l’OTAN ne met pas en place d’ici douze

mois une force de stabilisation sensiblement plus nombreuse et

pleinement engagée».

Pas seulement un problème de terrorisme

La problématique de l’Afghanistan semble beaucoup plus complexe que ne

l’avait imaginé la coalition internationale. Il apparaît de plus en

plus évident que l’on ne peut résoudre celle-ci seulement en évacuant

les talibans du pouvoir. D’ailleurs, comme le montre l’histoire,

l’Afghanistan était confronté à de sérieux problèmes avant même

l’instauration d’un État intégriste.

«L’Afghanistan affiche à peu près tous les symptômes de ce qu’on

appelle un État en faillite; il s’est retrouvé en phase de

dysfonctionnement à bien des points de vue, ce qui a eu des

conséquences dramatiques», explique M. Boivin au Devoir en novembre 2006.

Dès lors, les solutions nécessitent un investissement durable et

profond. «Lorsqu’il était ambassadeur du Canada en Afghanistan, Chris

Alexander a indiqué aux membres du Comité accueillis dans son salon à

Kaboul qu’il faudrait cinq générations d’efforts pour que les choses

changent en Afghanistan», mentionne le rapport du Comité sénatorial.

«Les premières réformes ne seront pas le genre de succès qui pourrait

facilement justifier notre présence en Afghanistan», font valoir les

auteurs du document.

Bien que mettant en avant les résultats positifs qu’a obtenu Ottawa sur

le terrain, même le gouvernement conservateur avoue dans un rapport la

grande fragilité de ceux-ci. «Est-ce que notre départ mettrait en péril

les progrès accomplis aux chapitres du développement social et

économique, des droits de la personne et de l’éducation? Il est évident

que les efforts canadiens que nous présentons ici constituent une seule

réponse sans équivoque : oui», note le document.

Si l’intention d’aider un autre peuple est louable, ce n’est pas

seulement une perspective d’acquérir du crédit politique qui peut

motiver la participation du Canada dans le conflit en Afghanistan.

Sinon, les moyens utilisés seront trop imparfaits et risquent fort

d’être mal perçus par la population locale qui pourrait devenir un

obstacle à «l’aide» que nous voulons leur apporter pour «améliorer»

leurs conditions de vie. On gaspille ainsi des ressources matérielles

et des vies humaines sans pouvoir atteindre l’objectif. D’ailleurs,

avant d’allonger la mission canadienne en Afghanistan, il serait

pertinent que l’on se questionne pour savoir quels sont nos objectifs

dans cette intervention et si nous avons les moyens nécessaires pour y

parvenir.

Contexte sociopolitique

Dans les années 70, en Afghanistan, des tensions entre des factions

«modernistes/socialistes» et les groupes «ruraux/traditionalistes»

entraînent un coup d’État provoquant la chute du roi en place. Un

général socialiste, considéré comme modéré, prend la tête du pays. Ne

pouvant instaurer la stabilité, il est évacué du pouvoir par des

groupes de gauche qui se succèdent et deviennent de plus en plus

radicaux au gré des putschs.

Dans cette situation, sans oublier que c’est la période de la guerre

froide, les Soviétiques entrent dans le pays, cherchant à élargir la

zone d’influence du bloc de l’Est. Puisque leur dessein est de

centraliser le pouvoir et de moderniser agressivement le pays, s’ensuit

une violente révolte rurale. Les dirigeants régionaux afghans, les moudjahidines ou

«combattants de la guerre sainte» (en fait, des seigneurs de la

guerre), s’opposent violemment à la présence des Soviétiques qui

doivent en bout de ligne quitter le pays.

{mospagebreak}

 

Après le départ des Soviétiques, les seigneurs de la guerre se lancent

dans des affrontements sanglants les uns contre les autres pour

parvenir à la tête de l’État par la force. Dans ce contexte

d’instabilité, de corruption, d’effritement social, économique,

politique et militaire, émergent les talibans. Bien qu’ils soient

extrémistes, les talibans sont perçus par la population comme une

solution à la corruption des seigneurs de la guerre ainsi qu’au chaos

que créent les luttes pour le pouvoir. Proposant eux-mêmes un État

radicalement dogmatique, ces intégristes représentent l’espoir du

retour à la stabilité pour un pays au bord du gouffre.

Surviennent les événements tragiques du 11 septembre 2001.

L’Afghanistan est alors identifié comme faisant partie de «l’Axe du

mal» avec l’Irak de Saddam Hussein, l’Iran et la Corée du Nord. Une

coalition internationale de lutte contre le terrorisme, constituée

d’une quarantaine de pays, se forme, déclare la guerre à l’Afghanistan

et chasse les talibans du pouvoir.

Trois missions sont mises sur pied par les pays de la coalition dans le

but de stabiliser la région. La première, intitulée Liberté immuable,

vise à éradiquer le terrorisme sur le territoire. La deuxième, la Force

internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), est créée pour

stabiliser Kaboul afin d’offrir une zone de protection des nouvelles

instances politiques. La troisième, la Mission d’assistance des Nations

unies en Afghanistan (MANUA), complète la FIAS pour coordonner l’aide

humanitaire et l’appui au processus politique afin de rétablir l’État.

Implication canadienne

C’est au tout début, en 2002, que le gouvernement Chrétien répond à

l’appel des pays de l’Organisation du Traité d’Atlantique Nord (OTAN)

qui évoquent l’article 5[1] de la charte pour la première fois de

l’histoire de l’organisation. Pendant six mois, quelque 800 soldats

canadiens se joignent à la coalition internationale sous l’égide de

l’ONU pour vaincre les talibans.

En février 2003, le premier ministre, Jean Chrétien, envoie 2000

soldats canadiens pour être à la tête de la FIAS afin de faciliter le

processus électoral à Kaboul. Hamid Karzaï est démocratiquement élu

président par 55,4 % des quelque 10 millions de voix exprimées (une

population de 31,1 millions en Afghanistan en 2006). En 2004, la

Turquie prend la tête de la FIAS et le contingent canadien en

Afghanistan est réduit à environ 1000 soldats. Ceux-ci assurent

davantage le bon déroulement des projets de reconstruction et le

développement.

Ensuite, le gouvernement Martin envoie 1500 soldats canadiens à

Kandahar dans le cadre de l’élargissement de la présence de l’OTAN dans

le sud du pays. Cette mission devait avoir lieu de février 2006 à

février 2007. Suite à l’insurrection des talibans en mai dernier, le

cabinet Harper décide de prolonger la mission en Afghanistan jusqu’en

2009. Elle change toutefois de mandat, elle passe de mission de paix à

une mission offensive pour contrer les insurgés. Certains documents

laisseraient sous-entendre que le gouvernement conservateur n’aurait

pas l’intention de rapatrier les troupes avant 2011.

D’après Le Devoir et Radio-Canada

[1] Cet article stipule que toute attaque perpétrée contre l’un de ses

membres vise tous ses membres et donc ceux-ci doivent défendre l’allié

attaqué en conséquence.

 

 

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.