L’Afrique n’est pas coutume

Écrit par Mélanie Thibault, La Grande Époque - Montréal
26.04.2007

 

 

Pour la première fois, la troupe Boyokani Compagny se produit à

Montréal dans l’enceinte du MAI, centre multidisciplinaire avec un

spectacle digne de cette mention et bien au-delà. En effet, le texte

Shakespearien côtoie avec succès l’adaptation de Serge Limbvani: Une

Afrique qui revendique avec énergie l’évolution des mœurs.

Préparez-vous tout de même à près de trois heures de spectacle, sans

entracte. 

  • Hamlet et Polonius lors de la pièce Hamlet (攝影: / 大紀元)

Hamlet et Polonius lors de la pièce Hamlet exécutée pour la première fois à Montréal.(Hamlet)  

La première idée d’adaptation d’Hamlet de Serge Limbvani est née de l’écoute du récit déchirant d’une jeune fille sénégalaise dont la famille la force à épouser un homme riche possédant déjà cinq autres femmes. La pièce de Shakespeare est alors la ressource évidente pour la remise en question des traditions africaines – mariage forcé, importance des morts, vengeance filiale. Hamlet se situera donc en Afrique et deviendra l’histoire d’une femme forcée à épouser un homme plus âgé. Trouvant l’amour et le plaisir physique auprès de son beau-frère, elle emploiera en sa faveur la coutume selon laquelle: «le petit frère peut hériter de la femme de son frère à la mort de celui-ci».

Limbvani obtient une résidence de création à Dakar et entame une tournée, assumant les frais en son nom. Il regroupe des acteurs de diverses origines: Vict Ngoma du Congo Brazza, Moumon Ekissi Eugène de la Côte d’Ivoire, Frank Betermin de la France, Seydi Abdoulaye du Sénégal et Kpomahou Tella du Bénin. Chacun amène ses techniques traditionnelles de danse, de chant et de jeu dans son accent propre pour des préoccupations qui leur seront communes. Avec une vitalité exceptionnelle, à l’image de la troupe de comédiens arrivant chez Hamlet, le spectacle donne l’envie de croire que le théâtre rend plus lucide, non sans ravissement.

Une entrée des plus inventives place l’expression du corps comme substitut au texte shakespearien. Gertrude, mère d’Hamlet, accueille de ses halètements jouissifs, avant que les corps ne se soient encore touchés, Claudius, le frère de son propre mari. Les amants n’en peuvent plus de se cacher. Gertrude admet ne pas avoir de plaisir avec le mari qui lui fut imposé. Et de la solution meurtrière s’exaltent de nouveaux cris de plaisir. Cette scène décalée donne tout de suite le ton tragicomique que la troupe a su maîtriser avec nuance.

Les performances musicales étaient une partie intégrante de certains personnages, créant une dissonance au malheur. Le départ de Laërte, comme la rencontre d’Hamlet avec ses vieux copains comédiens, est propice aux jeux physiques et aux chants, dans le rappel des instants de joie qu’un vivant peut parcourir, avant comme après sa disparition. De même, le dévoilement de l’assassinat est abordé par le jeu de la troupe de comédiens dans une mise en abîme grotesque où l’écart théâtral rattrape la réalité. Limbvani démontre intelligemment qu’une coutume transformée pour le respect de l’humain n’empêche pas l’Afrique de faire prévaloir sa culture.

Ce spectacle tient de la critique sociale défendant l’utilité du théâtre comme une arme contre la répression et une aide à l’affirmation identitaire. Les différents points de vue des coutumes conduisant à se corrompre portent une réflexion profonde sur la société africaine actuelle. Les émotions extrêmes contribueront, par leur traitement distancié, à réfléchir activement aux libertés bafouées par certaines coutumes.

Le lieu théâtral se prêtait bien au spectacle. La petite salle du MAI est favorable au sobre décor (une toile de tissu comme en rappel à l’esprit du père), aux apartés visuels avec le public (dans les moments de recul identitaire) et à la dimension épique apportée par la distribution (selon un jeu conscient de la fable). Effectivement, il n’en fallait pas davantage pour savourer la présentation.

Cependant, quelques désagréments sont à connaître. La durée du spectacle de près de trois heures, sans entracte, pèse au bout d’un moment. Aussi, le développement narratif, peut-être pour demeurer fidèle à Shakespeare, finit par l’emporter sur l’inventivité. L’intérêt premier résidait dans la transformation de la fable qui était largement soutenue par l’apport ludique des acteurs. C’est comme si l’adaptation était née d’un concept trop chargé pour être appliqué tel quel sur scène. Heureusement, la scène du combat rattrape le coup avec une lutte à la chorégraphie enlevante inspirée d’une technique africaine de combat. Dommage que certains costumes soient manifestement mal assortis au corps des comédiens, bien que le type de tissu convienne.

Le spectacle a déjà eu lieu dans plusieurs pays d’Europe et d’Afrique et possède plusieurs heures de représentation à son actif. Il ne semble donc pas concevable de voir de tels attributs demeurer aux dépens des belles trouvailles et de la grande qualité du spectacle. Il en demeure tout de même un spectacle substantifique et distinct.

Hamlet

Boyokani Compagny

Adaptation et mise en scène de Hugues Serge Limbvani

D’après la traduction de Jean-Michel Desprat

Du 18 au 29 avril au MAI (Montréal, arts interculturels)

Du mercredi au samedi 20 h, les dimanches 15 h 30

Surtitrage en anglais les jeudis 19 et 26 avril et le samedi 28 avril

3680, rue Jeanne-Mance

Tél.: 514 982-3386