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Les profits augmentent et les joueurs compulsifs souffrent

Écrit par Joan Delaney, La Grande Époque - Victoria
10.05.2007
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Gouvernement et jeux de hasard

Des études révèlent que beaucoup de Canadiens sont ambivalents par rapport au jeu. D’un côté, ils le perçoivent comme une source de plaisir et de divertissement mais, de l’autre côté, ils entretiennent des inquiétudes à propos des impacts sociaux qui en découlent.

Néanmoins, l’industrie du jeu au Canada a été en croissance constante au cours de la dernière décennie, et on ne peut nier son importance pour l’économie.

Une étude exhaustive, publiée récemment par la Canadian Gaming Association (CGA), rapporte que l’industrie a accumulé des recettes de plus de 15 milliards de dollars l’année dernière, incluant 700 millions de dollars provenant d’activités non reliées au jeu comme la nourriture, la boisson et le divertissement. De cette somme totale, 8,6 milliards de dollars sont allés dans les coffres des gouvernements pour financer des programmes sociaux et des organisations caritatives.

Durant la même période, ceux qui n’ont pas remporté le gros lot ont joué et perdu 14,5 milliards de dollars de leur argent durement gagné. Mais selon l’affirmation du président de la CGA, Bill Rutsey, cela équivaut à la somme que les gens dépensent pour n’importe quel autre type de divertissement.

«Pour la plupart des gens, c’est du divertissement, et ils s’en tiennent au budget qu’ils se sont fixé, donc ce n’est pas tellement différent que d’aller à une partie de hockey.»

L’industrie du jeu comprend les casinos, les loteries, les bingos, les courses de chevaux, le jeux organisés pour le bénéfice des oeuvres de bienfaisance ainsi que le jeu électronique sur les machines à sous et les appareils de loterie vidéo.

Ce que l’étude ne mentionne pas, ce sont les aspects négatifs du jeu : les faillites, les divorces, le crime, les pertes d’emploi, la dépression et le suicide.

On estime le nombre de Canadiens entièrement dépendants du jeu à 1,5 %, et environ 2,5 % ont des difficultés ou sont à risque de devenir dépendants. Cela constitue plus de 1,5 million de Canadiens, selon Statistique Canada.

Raymond Reshke, directeur exécutif d’un organisme qui œuvre pour contrer les problèmes de jeu à Edmonton, connaît très bien les conséquences d’une dépendance sévère au jeu. Sous l’emprise d’une dépendance aussi forte que celle qu’on pourrait avoir à l’alcool ou à la drogue, M. Reshke a perdu 500 000 $, s’est aliéné famille et amis, a perdu sa maison et son emploi au gouvernement en tant qu’adjoint au sous-ministre de l’Infrastructure en Alberta.

Il a été condamné à neuf mois de prison en 2004 pour avoir fraudé 106 000 $ au gouvernement albertain, somme qu’il a dépensée au jeu. Ironiquement, M. Reshke avait une dépendance aux loteries vidéo, soit les mêmes jeux électroniques qu’il avait aidé à introduire en Alberta au début des années 90.

M. Reshke estime que le jeu électronique, souvent appelé la cocaïne du jeu, «peut créer une forte dépendance si on perd le contrôle».

«Selon moi, ils sont très destructifs, ils créent une dépendance automatique; pas juste les appareils de loterie vidéo, mais les machines à sous également. Et le fait qu’on les retrouve partout est aussi un problème. Elles sont dans tous les bars-salons de la province.»

Cette province est l’Alberta, aussi connue comme le temple du jeu au Canada, on y dénombre environ 12 000 machines à sous et 6000 appareils de loterie vidéo. Elle a dix-sept casinos, soit le plus grand nombre par personne au Canada, et elle est la province avec le plus grand nombre de casinos en Amérique du Nord, selon Garry Smith, chercheur spécialiste dans le jeu à l’Université d’Alberta.

Le ministère albertain du Jeu estime que 5,2 % de la population ont des problèmes de jeu, ce qui est le taux le plus élevé au Canada derrière la Saskatchewan qui affiche 5,9 %.

M. Smith souligne que les joueurs compulsifs contribuent à 40 % des revenus amassés par l’industrie du jeu. Il croit que les gouvernements sont dans un «conflit d’intérêt total» en récoltant l’argent provenant du jeu.

«Le gouvernement fédéral est complice, car il contrôle le jeu avec le Code criminel du Canada. Il a retourné aux provinces la législation en matière de jeu et elles sont devenues déraisonnables en essayant d’en soutirer l’argent. Entre-temps, cela nuit aux gens.»

Dans un article intitulé The Legalization of Gambling in Canada concernant la légalisation du jeu au Canada, M. Smith et les coauteurs, Colin Campbell et Timothy Hartnagel, font un compte-rendu des influences qui ont changé la perception que le public a du jeu au Canada, «allant du péché, au vice, à une forme de divertissement.»

Les auteurs ont découvert que de nombreux changements aux articles du Code criminel dans le but de légaliser le jeu ont été suivis par «une série de circonstances involontaires et négatives», comme les crimes commis pour financer le jeu, le jeu illégal, les crimes associés au jeu compulsif et la corruption de fonctionnaires nommés et élus.

«Admettons que j’ai une dépendance aux loteries vidéo et que je vole 100 000 $ à mon employeur. Cet argent va dans les appareils, ce qui veut dire que le gouvernement a maintenant l’argent du crime. L’employeur est victime, il n’a aucun moyen de récupérer l’argent, mais c’est le gouvernement qui l’a.»

Les loteries vidéo et les machines à sous sont considérées comme les formes de jeu qui sont les plus propices à créer des dépendances. En Alberta, explique M. Smith, 80 % des gens qui ont des problèmes de jeu ont une dépendance aux machines électroniques.

Un comité permanent du Sénat a déclaré, en 2005, qu’un «certain nombre de suicides» était directement attribuable au jeu électronique. Le comité a entendu un témoignage basé sur des études révélant que le coût social des loteries vidéo est trois à cinq fois plus grand que les recettes qu’elles rapportent.

Les appareils de loterie vidéo sont permis dans des établissements comme les bars-salons et les restaurants, tandis que les machines à sous sont habituellement dans les hippodromes et les casinos. Même si certaines provinces ont fait des efforts pour en réduire le nombre suite à des pressions du public, on estime à plus de 38 000 le nombre d’appareils de loterie vidéo au Canada, dans plus de 8500 endroits. Les appareils de loterie vidéo ne sont pas permis en Ontario ni en Colombie-Britannique, mais les machines à sous le sont.

En 2001, un recours collectif en justice a été lancé par Jean Brochu au nom de 119 000 Québécois qui étaient devenus dépendants du jeu en jouant aux loteries vidéo. M. Brochu, qui a perdu sa maison, sa voiture et son permis de pratiquer le droit parce qu’il avait volé 50 000 $ pour rembourser ses dettes de jeu, affirme que Loto-Québec n’a pas averti les joueurs au sujet des risques de dépendance reliés aux loteries vidéo. Le cas est encore en cour.

M. Rutsey souligne que le Canada dépense 90 millions de dollars annuellement pour combattre les problèmes de jeu, soit plus que n’importe quel autre pays.

«Les problèmes de jeu est un sujet qui est traité très sérieusement par les gens dans l’industrie», dit-il. «Personne n’a un plan d’affaires qui vise à tirer avantage des personnes en détresse ou des gens qui ne peuvent être responsables d’eux-mêmes.»

 

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Judith Glynn, directrice des opérations de prêts chez Ontario Problem Gambling Research Centre, fait remarquer que les autres industries qui vendent des produits comportant des risques inhérents, comme le tabac et les cigarettes, sont tenues «à un niveau assez élevé de responsabilité», et cela devrait être ainsi pour le jeu.

«Nous essayons de travailler avec le gouvernement et les opérateurs ici en Ontario pour faire davantage, pour les sensibiliser à ce qu’ils peuvent faire afin de réduire les risques que leurs clients peuvent encourir. Nous disons qu’ils peuvent et devraient faire davantage et vous allez voir que ce sentiment est présent dans tout le pays.»

Entre-temps, Québec compte retirer un nombre d’appareils de loterie vidéo des bars pour les installer dans les hippodromes de la province. Il y a deux raisons derrière ce déplacement, explique M. Rutsey. Premièrement, l’industrie des courses de chevaux a besoin de recettes supplémentaires que les loteries vidéo peuvent apporter, deuxièmement, cela apaisera le public préoccupé par le fait que l’emplacement des appareils de loterie vidéo dans les quartiers pauvres incite les démunis à jouer.

Il y a des moyens de réduire le jeu en utilisant des stratégies robustes, croit M. Smith, mais les gouvernements sont froids à cette idée, car ils verront une diminution de leurs recettes. En fait, n’étant pas satisfaite d’être le plus grand centre de jeu en Amérique du Nord après Las Vegas, Reno et Atlantic City, l’Alberta planifie la construction de casinos supplémentaires.

«Ça ne va pas changer», estime M. Reshke. «Le gouvernement est maintenant très impliqué, et nous devons seulement gérer cela de notre mieux.»

 

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