Royal-Bayrou : un mariage à la française

Écrit par Marc Gadjro, La Grande Époque - Montréal
02.05.2007

 

 

 

 

Une petite révolution pour un dialogue tranquille et un mariage de raison.

 

Comme convenu, la «rencontre historique» du 28 avril dernier entre François Bayrou et Ségolène Royal n’a pas scellé l’alliance officielle entre la gauche et le centre-droit français. Mais à quelques jours du second tour de la présidentielle qui l’opposera à Nicolas Sarkozy, l’élue socialiste et le candidat malheureux du parti centriste tentent de se rejoindre au-delà de leurs apparentes divergences. Sur les bases d’une matrice commune, le «Tout sauf Sarkozy» est plus que jamais en marche.

  • La candidate socialiste française, Ségolène Royal, et le candidat centriste, François Bayrou. (Staff: MEHDI FEDOUACH / 2007 AFP)

 

«Ni allégeance, ni ralliement»

Le simple fait qu’une candidate de gauche – qualifiée pour le second tour de l’élection présidentielle – s’affiche dans un débat télévisé avec un candidat précédemment éliminé, était sans doute bien assez inédit au regard de la tradition politique française. Faisant face à des frondes d’ampleur semblables au sein de leurs partis politiques respectifs, Mme Royal et M. Bayrou se sont donc bien gardés d’aller plus loin dans leur exercice de rapprochement.

Sans précédent dans l’histoire de la Cinquième République, ce débat d’un nouveau genre dans l’entre-deux tours d’une campagne présidentielle a en tous cas comblé les attentes des deux protagonistes : Ségolène Royal tentait de séduire les 7 millions d’électeurs (18 % de l’électorat) qui ont voté en faveur du candidat centriste au premier tour. Il s’agissait pour elle d’afficher sinon la proximité, du moins la compatibilité du «pacte présidentiel» défendu par le Parti socialiste, avec la sensibilité politique représentée par François Bayrou. Pour ce dernier, c’était l’occasion de matérialiser sa capacité à dépasser le traditionnel clivage gauche-droite et à «sortir de l’éternel affrontement bloc contre bloc». Tout en demeurant l’arbitre de la campagne malgré sa défaite du 22 avril dernier.

Entre convergences politiques et divergences économiques

Adversaires objectifs du «régime UMP», il s’agissait surtout pour l’un et l’autre d’incarner à deux la modernisation de la vie politique française. Ainsi, lorsque Ségolène Royal souhaite l’avènement d’une Sixième République qui permettrait de «laisser respirer la société française» grâce à un plus grand rôle offert au Parlement et une «réelle indépendance» pour le pouvoir judiciaire, François Bayrou propose «d’ouvrir les fenêtres» et renchérit : «La Cinquième République ça ne marche plus. Partout où il y a monopole, il faut mettre le pluralisme. Ça suffit le pouvoir concentré.»

Mme Royal, «présidente d’une région rurale», rejoint alors l’élu du «montagneux Béarn» sur la politique de décentralisation. De même, lorsque la candidate du puissant Parti socialiste offre d’introduire «une dose de proportionnelle» dans le mode de scrutin français, le chef de la petite UDF lui emboîte le pas avec empressement chiffrant la prescription à «50 %». De la réforme des institutions européennes à celle des retraites, les deux ex-rivaux ont donc volontiers mis en avant leurs affinités politiques.

Une entente tout juste brouillée par des divergences attendues sur les thèmes économiques : François Bayrou a ainsi critiqué «l’étatisme» exacerbé selon lui du «pacte présidentiel» socialiste. Il a aussi fustigé le poids des dépenses publiques qui pèsent à ses yeux sur les finances de la France et aggravent l’endettement national. Et l’égérie socialiste de marteler en retour que la nécessité de l’efficacité économique doit concorder avec l’idéal d’une véritable justice sociale et l’exigence d’un partage équitable des fruits de la croissance.

Forcés à s’unir…

Mais Mme Royal s’est dit surtout déterminée à faire «un bout de chemin ensemble», avec son nouvel ami qui, fait-elle remarquer, «s’appelle aussi François». Tout comme son conjoint, François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste français.

Elle affirme aussi être en faveur d’un «compromis social» et semble tout à fait disposée à «orienter» son «pacte présidentiel» dans un sens plus libéral. Elle évoque depuis longtemps un assouplissement de la fameuse loi socialiste des 35 heures. Elle n’exclut pas non plus, si elle est élue, d’incorporer des ministres UDF au sein de son gouvernement.

Mieux, elle prend soin de laisser entrevoir la possibilité d’une nomination de M. Bayrou au poste de premier ministre dans une sorte de «cohabitation volontaire». Elle offre enfin des gages en battant ostensiblement le rappel des cadres sociaux-démocrates que sont Jacques Delors et Dominique Strauss Kahn, avec qui elle était froissée depuis la tenue des primaires internes au Parti socialiste.

Mme Royal est ainsi apparue, tout au long de ce débat de deux heures, comme étant la plus encline à faire des concessions sur «les dogmes» qui régissent traditionnellement les programmes des gouvernements socialistes. Elle reconnaît ouvertement ne pas avoir d’autre choix, si elle veut aller au-delà des «36-40 %» que lui garantit pour l’instant le vote de gauche.

Quitte à affronter ensuite la défiance de la «gauche de la gauche», laminée lors du premier tour mais qui, du socialiste orthodoxe Henri Emmanuelli au trotskiste Olivier Besancenot, soupçonne Bayrou de vouloir asphyxier le PS avec le «Parti démocrate» qu’il compte créer dans l’optique des futures élections législatives. François Bayrou, lui, n’est guère mieux loti puisqu’il se retrouve forcé à «bouger sur sa gauche» au moment où sa formation UDF subie, avec le ralliement massif de ses députés à Nicolas Sarkozy, une hémorragie à laquelle elle ne survivra certainement pas.

Principal dénominateur commun : le «Tout Sauf Sarkozy»

Face à ces «périls», le «repoussoir Sarkozy» apparaît presque comme une aubaine. François Bayrou  prévient que «Sarkozy représente un danger pour la France», tandis que Ségolène Royal dénonce son «ignoble brutalité». Tous deux ont accusé l’ancien ministre de l’Intérieur d’avoir voulu interdire le débat par des «intimidations» et des «menaces» qui mettent en cause selon eux «les réseaux qui rapprochent de très grandes puissances financières et de très grandes puissances médiatiques autour» du candidat de l’UMP.

Reste à savoir si cette union intéressée permettra à Ségolène Royal de l’emporter le 6 mai en dépit des pronostics des sondages qui donnent systématiquement, depuis des semaines, son adversaire gagnant. Il lui reste une semaine et un autre débat, officiel celui là, avec le candidat de l’UMP, le 2 mai, pour reprendre définitivement la main. Sur ce plan, le «dialogue tranquille» instauré par Ségolène Royal et François Bayrou aura au moins permis une première victoire : habitué depuis presque toujours aux projecteurs du devant de la scène, Nicolas Sarkozy s’est retrouvé à l’arrière-plan. En spectateur. Dès cette semaine, il entend bien reprendre l’offensive…