Still Life : la nostalgie de Jia Zhang Ke

Écrit par Michal Neeman, La Grande Époque
26.05.2007

 

 

 

 

 

La chaleur est insupportable dans la vallée des Trois Gorges. La nudité luisante des corps des ouvriers transpirant sans arrêt nous plonge dans une intimité presque gênante. C’est paradoxal avec la froideur qui règne entre les gens dans cette société chinoise contemporaine où l’argent régit tout.

 

Alors qu’elle ouvre ses portes à l’Occident, cette société qui a perdu ses valeurs depuis les années cinquante ne laisse pas de place à la sympathie et à la solidarité. Les plans séquences du film incrustés de passages oniriques renforcent le sentiment d’aliénation et la nostalgie qui caractérisent le film

  • Still Life, l’histoire de deux quêtes amoureuses dans une Chine en perte d’identité(攝影: / 大紀元)

 

 

«Tu es nostalgique. Le monde n’a pas de place pour des gens comme nous», dit le jeune Chinois au protagoniste dans un rare moment d’amitié et de chaleur humaine. L’amitié entre le jeune et le héros San Ming se manifeste à travers l’échange des numéros de leurs téléphones portables. Chacun des deux se fait appeler par l’autre pour faire écouter la chanson de sa sonnerie. Les hommes braves ont une longue vie est la chanson qu’a choisi Sang  Ming. «Les hommes courageux n’existent plus», lui dit son jeune copain, avant que ne retentisse sa sonnerie à lui : Le fleuve mène à l’infini. Ces deux chansons chinoises glorifiant la Chine et les Chinois expriment la nostalgie de cette contrée de jadis où le paysage était intact et les gens vertueux.

Toujours dans un style décalé, un jeune enfant voisin chante des chansons américaines des années soixante. Dans une société qui perd son identité, la nostalgie américaine remplace celle de la Chine et de ses traditions.

  Le sommet de cette nostalgie confuse apparaît dans les deux scènes finales, où il s’agit d’un amalgame entre une Chine traditionnelle et une Chine marxiste.

Quand Ming Sang retrouve sa femme, elle est au service d’un personnage caricatural que les Maoïstes auraient appelé un «propriétaire». Derrière des barreaux symboliques de sa condition d’otage – elle doit travailler pour cet affreux personnage tant que son frère n’aura pas remboursé l’argent qu’il doit – elle attend son verdict quand Sang Ming (son mari retrouvé) demande à  «l’employeur» de sa femme s’il peut la reprendre. Ce dernier lui demande 30 000 yuans, la même somme que Sang Ming avait payé déjà à son beau frère pour pouvoir l’épouser. La femme de Sang Ming en costume Mao incarne la pureté et l’innocence. Elle est la seule femme vertueuse du film. Vendue plusieurs fois par son frère, elle restera fidèle à son mari pendant ces 16 longues années de séparation.

La scène finale ne fait qu’ajouter à l’impression de confusion : les héros se promettent de s’attendre (en attendant qu’il puisse rassembler l’argent de la rançon) en mangeant des bonbons qui scelleront sans doute le renouvellement de leur alliance. L’ouvrier est torse nu et la femme porte une tenue militaire de l’époque de Mao. Ils regardent le paysage grandiose des Trois Gorges (prêt à être «dompté» par l’homme et englouti sous les flots) à travers le trou béant d’un mur démoli rappelant par sa forme, au choix : un cœur de fin de film hollywoodien ou une affiche de propagande du réalisme socialiste.