Quand le stress pointe au travail

Écrit par Frédérique Privat, La Grande Époque - Guadeloupe
27.05.2007

 

Avec la mondialisation et la montée des incivismes, nombre de salariés subissent une pression psychologique les menant parfois au suicide…

Dans la même centrale nucléaire d’EDF, quatre salariés. Chez Renault, trois… Les cas de suicides au travail font malheureusement partie du quotidien des faits divers dans nos médias.

Dans de telles situations où les scènes se répètent sur des mêmes sites de travail, on pense alors à des questions de management, de pression, voire de harcèlement… la porte est ouverte à toutes les interrogations, chez Renault par exemple, où le Technocentre de Guyancourt (Yvelines) a été le théâtre de suicides en série.

 

  • La pression au travail, un facteur parfois difficile à gérer(攝影: / 大紀元)

 

 

Le psychiatre Christophe Dejours, au micro de l’AFP, a tenté d’apporter des éléments de réponse à ces événements : «le développement de l’évaluation individuelle des salariés et leur mise en concurrence aboutissent à les ‘isoler’, à détruire ‘le lien social’ au travail et à les fragiliser personnellement»…

 

En effet, des témoignages recueillis  par l’AFP auprès de salariés de ce site révèlent, par exemple, que l’informatisation accrue entraîne une absence de communication par voie humaine, indispensable pour assurer une ambiance de travail sereine et sécurisante. «Notre seul interlocuteur est notre poste informatique. Il n’y a plus de relation humaine ni de reconnaissance de notre travail». Et d’ajouter que «tout se passe avec son poste (ordinateur), dans le système Renault Spot/Déclic : toutes les nouvelles de l’entreprise sont dans Déclic, pour prendre des congés, c’est dans Déclic (...) On s’envoie des e-mails alors que les salariés sont à moins de 20 mètres.»

 

Dans un lieu pourtant résolument moderne, le travail, bien qu’amélioré quant au confort physique, semble présenter de profonds dysfonctionnements quant aux conditions « morales ». En outre, comme le souligne M. Dejours, l’isolement dû au travail sur un ordinateur a permis d’individualiser l’évaluation des performances des salariés, car si autrefois, le travail en chaîne induisait une évaluation collective, depuis la conception jusqu’à la vente, en passant par la production, aujourd’hui, la liaison individu et poste informatique permet de repérer et isoler le travail de chacun, augmentant alors la charge de responsabilité pour le salarié.

Le stress augmente donc, entraînant une réaction différente de chacun face à des pics plus ou moins élevés. En effet, face à la pression, là où un individu réagira positivement en allant de l’avant, un autre se repliera sur lui-même, incapable de supporter de telles situations. On peut alors atteindre des seuils où l’insupportable conduit parfois à l’irréparable…

Ce cas n’est pourtant pas isolé puisqu’un suicide a aussi été enregistré en février dernier chez PSA-Peugeot Citroën, laissant supposer que c’est l’organisation même du travail dans ces usines métallurgiques, soumises au diktat de la mondialisation et de l’informatisation à outrance, qui est en cause.

Alors, face à ces situations de crise, des moyens sont mis à disposition : des formations à la gestion du stress, la mise en place d’Observatoires du stress (existant depuis 1999) et des réflexions dites «approfondies» quant aux conditions de travail et aux difficultés rencontrées. Plus généralement, on propose des massages, des salles de sport et de détente, des services de conciergerie pour délester les travailleurs de certaines menues tâches domestiques.

 Mais ces actions, souvent bienvenues dans certaines entreprises, ne demeurent-elles pas encore trop limitées comparées au malaise profond qui transparaît lors d’actes en série tels que les suicides ?

Avec des pratiques basées sur le management par le stress telles que «faire des observations au salarié en présence de ses collègues», l’obligation de résultat avec augmentation des performances ou la «presque obligation» de pluridisciplinarité (avoir des compétences diverses autres que la formation initiale…), les valeurs primaires de respect et de tolérance même ne sont-elles pas effacées ?

Le Dr. Anne-Marie Guedj qui dirige les urgences psychiatriques de l’hôpital Sainte-Anne, ici interviewée par l’AFP, est amenée régulièrement à consulter des patients venus après des tentatives de suicides liées aux conditions de travail : «Il me semble que les gens racontent depuis quatre ou cinq ans des histoires comme ça, de débordements, des gens qui viennent qui n’ont pas du tout de pathologie psychiatrique et qui explosent en raison de la pression liée au travail».

Elle les repère au type d’histoires, au fait d’être accompagné par des collègues de travail ou d’être envoyé par le médecin du travail.

 «Les gens sont assez culpabilisés de ce qui arrive, en considérant que c’est un peu de leur faute, et puis il apparaît qu’en dehors du problème lié au travail, ils n’ont pas de problème», dit-elle.

 «C’est vraiment lié aux conditions de travail, sans accuser qui que ce soit, à la pression de la réussite, peut-être aussi à des modes d’adaptation demandés à des nouvelles techniques et pas toujours bien préparés», souligne Mme Guedj.

Les plus exposés, selon elle, ne sont pas ceux qui travaillent enfermés dans un bureau, mais les salariés «qui sont en bute aux revendications de Monsieur Tout-le-monde : on voit aussi beaucoup de professions en rapport avec le public, ils parlent tous d’une exigence accrue du public, qui exige de passer tout de suite, d’avoir une réponse immédiate, menace d’interpeller la hiérarchie, etc.»

Ainsi, une enquête menée par le ministère du Travail en 2003 (Darès) révélait que près d’un salarié sur quatre (22 %) en contact avec le public, de vive voix ou par téléphone, déclare avoir subi des agressions verbales, et 2 % des agressions physiques. «Les gens ne se plaignent pas du tout de la technique de leur travail, des apprentissages, etc., en fait ils se plaignent d’être en bute à des usagers qui protestent et une hiérarchie qui ne les soutient pas forcément», ajoute-t-elle.

Alors, quand un agent de la Caisse d’Allocations Familiales, un postier ou un enseignant se fait agresser par des  clients  mécontents ou insatisfaits, ce sont là encore, les notions de respect de l’autre qui sont sur la sellette.

Bien sûr, la question qui peut venir à l’esprit est «mais, pourquoi ces types de travailleurs en contact avec le public, ne sont-ils pas formés aux réponses face à l’agressivité et aux violences ?» En effet, même si des formations sont mises en place dans certaines catégories professionnelles, il faut pourtant admettre qu’elles ne sont que des palliatifs superficiels et cachent le véritable nœud du problème, à savoir, l’intolérance, le manque de responsabilisation («c’est toujours l’autre qui a tort, et jamais moi») et de civisme de certains…

De même cette intolérance se retrouve aussi chez les dirigeants qui, exigeant toujours plus de leurs salariés, les acculent parfois dans leurs plus sombres méandres…

Ainsi, ces difficultés réelles trouvent leurs sources à tous les niveaux de l’échelle sociale et hiérarchique, révélant alors la complexité des mutations sociales où compétitivité, manque de responsabilité, et déshumanisation prennent le pas sur les élémentaires règles de solidarité, de civisme et de respect de l’autre.