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Rire sur délires soviético-tsaristes

Écrit par Mélanie Thibault, La Grande Époque - Montréal
09.05.2007
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Le Mandat ne pouvait trouver meilleures circonstances pour se produire

que celle de la période électorale en France. Bien que la pièce ait été

écrite en 1924 sous une Russie soviétique, elle demeure d’une actualité

mordante. Il est question ici de montrer les failles de deux régimes

extrêmes sans faire l’apologie d’aucun, l’humour en plus.

Confinée dans son appartement communautaire avec sa cuisinière et ses

deux enfants, une ancienne commerçante ruinée par la révolution,

manœuvre pour marier sa fille au rejeton d’un ancien tsariste encore

riche. La farce se met en place lorsque ce dernier exige en dot un

communiste, persuadé qu’il assurerait ses arrières face au Parti.

Pavel, le frère de la future fiancée devra donc se chercher des

origines prolétariennes et s’inscrire au Parti. Le bal des

faux-semblants démarre alors et le ridicule de situations hilarantes

suit bien allègrement.

  • Une scène de la pièce Le Mandat(攝影: / 大紀元)

Une scène de la pièce Le Mandat  

Pour comprendre toute l’importance du texte Le Mandat, il faut savoir que son auteur, Nicolaï Erdman, fut condamné en 1933 à l’exil par Staline, car Erdman refusait «d’aider à façonner les esprits selon les exigences du pouvoir». Il n’a pu revenir à Moscou qu’en 1949 et refusera par la suite de poursuivre son écriture théâtrale totalisant deux pièces majeures seulement, pour des raisons de survie en déduit-on. Le texte Le Mandat n’est joué que depuis 2000 (Mise en scène de Bernard Sobel). Depuis son interdiction à la fin des années 1920, le texte du Mandat était conservée par les archives soviétiques. La pièce ne fut autorisée qu’après la mort de l’auteur et uniquement dans sa version censurée. Il aura fallu plusieurs années de recherches avec le CNRS pour se rapprocher d’une version proche de sa création initiale.

Mais pourquoi censurer une pièce qui ne prend pas parti ? Parce que Le Mandat fait la promotion de la libre pensée et nous avertit des dangers du totalitarisme. En l’occurrence, Pavel dans la pièce se fabriquera un mandat lui-même auquel les autres personnages donneront tant d’importance qu’il finira par croire en son pouvoir et tentera d’en user, de convaincre, de proscrire. Ce sont les thèmes de l’exclusion, des déviances de l’autorité et de l’opportunisme politique qui se découpent tout au long du récit. C’est pourquoi cette comédie, aux premières allures inoffensives, fait brillamment éclore une réalité encore actuelle et qui concerne directement le citoyen.

Ce qui est foudroyant dans cette mise en scène de Stéphane Douret tient en plusieurs aspects. D’abord, le choix judicieux des comédiens et musiciens, déjà nombreux sur scène (10 comédiens et 15 musiciens) y est pour beaucoup. Une véritable chimie est pressentie entre l’interprétation éloquente des acteurs et celle des musiciens du groupe Pad Brapad Moujika. Le groupe de musicien alternera leurs compositions originales incarnant un personnage qui prendra part au récit à plusieurs reprises. Cette interaction fonctionne et soutient le rythme effréné de l’action. Ensuite, les performances physiques dessinées dans un espace géométrique bien dosé donne un plaisir fou à voir. Chaque comédien a une démarche stylisée qui est régie par tout le corps, ponctuant chaque échange avec un dynamisme enlevant. Les effets s’affirment sans que l’aspect historique soit négligé ni surligné.

Vsevolod Meyerhold mit en scène la pièce en 1925 dans la forme symbolique. Il est à noter que le travail de mise en scène actuel en conserve certains principes non sans modernité. Le rythme, l’absence de flottement, l’épuration de l’espace et l’importance accordée aux déplacements physiques sont les quelques notions de Meyerhold retrouvées dans la mise en scène de Stéphane Douret. Il crée, par de multiples inventions judicieuses, tout un univers dont l’unité de jeu des comédiens fera honneur.

Les costumes (May Katrem) décrivent, dans leur conception, une fuite de la couleur du motif et une perte de ces tissus colorés. Le maquillage en commun de chaque personnage, des cernes rouges sous les yeux, illustre lui aussi à merveille la situation. Le décor épuré (Malika Chauveau), composé d’affiches politiques énormes tour à tour soviétiques et tsaristes et de bagages épars, ajoute au symbole de précarité et de fourberie à la fois.

La manière dont chaque scène est abordée est d’une telle fraîcheur pour une problématique si dense. Fort habilement, l’aspect détestable des anciens bourgeois est mis en évidence. Pourtant la peur de chacun et les multiples quiproquos pour plaire au Parti sont omniprésents. On questionne les deux extrêmes avec l’intelligence tragi-comique la plus crédible. Ici, la loi rend fourbe et exulte les folies. La bonne devient duchesse et les témoins demeurent crédules. Que sont-ils prêts à faire pour un symbole? Comme appel à la tolérance mutuelle, un humour aussi bien orchestré n’aurait su être plus convaincant.

 

Comédie de Nicolaï Erdman

Mise en scène Stéphane Douret

Théâtre 13

103A Bd Auguste Blanqui - 75013 Paris

M°Glacière

Réservation : 01 45 88 62 22

Jusqu’au 3 juin 2007

 

 

 

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