Still Life : la nostalgie de Jia Zhang Ke

Écrit par Michal Neeman, La Grande Époque
13.06.2007

 

Cinéma

La chaleur est insupportable dans la vallée des Trois Gorges. La nudité

luisante des corps des ouvriers, transpirant sans arrêt, nous plonge

dans une intimité presque gênante. C’est paradoxal de voir cela, compte

tenu de la froideur qui règne entre les gens dans cette société

chinoise contemporaine où l’argent régit tout.

Alors qu’elle ouvre ses portes à l’Occident, cette société qui a perdu

ses valeurs depuis les années 50 ne laisse pas de place à la sympathie

et à la solidarité. Les plans séquences du film, incrustés de passages

oniriques, renforcent le sentiment d’aliénation et la nostalgie qui

caractérisent l’histoire. 

  • Still Life, l’histoire de deux quêtes amoureuses dans une Chine en perte d’identité(攝影: / 大紀元)

Still Life, l’histoire d’une quête amoureuse dans une Chine en perte d’identité. (Image.net)

«Tu es nostalgique. Le monde n’a pas de place pour des gens comme nous», dit le jeune Chinois au protagoniste dans un rare moment d’amitié et de chaleur humaine. L’amitié entre le jeune et le héros, Sang Ming, se manifeste par l’échange de leur numéro de téléphone portable. Chacun se fait appeler par l’autre pour faire écouter la chanson de sa sonnerie. Les hommes braves ont une longue vie est la chanson qu’a choisie Sang Ming. «Les hommes courageux n’existent plus», lui dit son jeune copain, avant que ne retentisse sa propre sonnerie: Le fleuve mène à l’infini. Ces deux chansons chinoises, glorifiant la Chine et les Chinois, expriment la nostalgie de cette contrée de jadis où le paysage était intact et les gens vertueux.

Toujours dans un style décalé, un jeune enfant, tout près, chante des chansons américaines des années 60. Dans une société qui perd son identité, la nostalgie américaine remplace celle de la Chine et de ses traditions.

Le sommet de cette nostalgie confuse apparaît dans des scènes particulièrement touchantes, où une Chine traditionnelle s’amalgame avec une Chine marxiste.

Quand Sang Ming retrouve sa femme, elle est au service d’un personnage caricatural que les maoïstes auraient appelé un «propriétaire». Derrière des barreaux symboliques de sa condition d’otage – elle doit travailler pour cet affreux personnage tant que son frère n’aura pas remboursé l’argent qu’il lui doit – elle attend son verdict, quand Sang Ming (son mari retrouvé) demande à «l’employeur» de sa femme s’il peut la reprendre. Ce dernier lui demande 30 000 yuans, la même somme que Sang Ming avait déjà payé à son beau-frère pour pouvoir l’épouser. La femme de Sang Ming, en costume Mao, incarne la pureté et l’innocence. Elle est la seule femme vertueuse du film. Vendue plusieurs fois par son frère, elle restera fidèle à son mari durant ces seize longues années de séparation.

Une certaine scène ne fait qu’ajouter à l’impression de confusion: les héros se promettent de s’attendre (en attendant que le mari puisse rassembler l’argent de la rançon) en mangeant des bonbons qui scelleront sans doute le renouvellement de leur alliance. L’ouvrier est torse nu et la femme porte une tenue militaire de l’époque de Mao. Ils regardent le paysage grandiose des Trois Gorges (prêt à être «dompté» par l’homme et englouti sous les flots) à travers le trou béant d’un mur démoli rappelant par sa forme, au choix, un cœur de fin de film hollywoodien ou une affiche de propagande du réalisme socialiste.