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Deux musiciens de Dieu (2e partie)

Écrit par Raymond Laberge, Collaboration spéciale
02.06.2007
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En pays latin, César Franck, en pays germanique, Anton Bruckner

Anton Bruckner (1824-1896)

La vie d’Anton Bruckner offre de grandes similitudes avec celle de

César Franck. Dans sa belle candeur, Bruckner a dédié une de ses

oeuvres «au bon Dieu» car, pour lui, Dieu n’était pas le Seigneur

redoutable du Jugement dernier, mais le Bon Pasteur de l’Évangile. Le

pauvre petit instituteur-suppléant qu’était Bruckner parlait à Dieu

comme à un grand frère, à un conseiller bienveillant, à un ami idéal.

  • Portrait d'Anton Bruckner peint par Josef Büche(攝影: / 大紀元)

Affinités de Bruckner avec Franck

Fils d’un maître d’école d’Ansfelden, Anton Bruckner naît dans ce petit village de la Haute-Autriche. Pieux et modeste dès l’enfance, il ne songe d’abord qu’à suivre les traces paternelles. Chanteur, comme l’avait été son compatriote Schubert, dans une maîtrise, le futur compositeur sera successivement maître d’école, organiste à l’abbaye Saint-Florian, puis à la cathédrale de Linz, en Autriche. Nommé professeur d’orgue en 1868, d’harmonie et de contrepoint au conservatoire de Vienne, Bruckner se fixe définitivement dans la capitale de l’Autriche où se déroulera le reste de sa vie ardente et obscure. Dans ses dernières années, il connaîtra tout de même la gloire, grâce en particulier au soutien de Wagner. Il mourra à Vienne et son corps sera transféré, selon son voeu, à l’abbaye Saint-Florian où il repose au pied des grandes orgues.

À son arrivée à Vienne, Bruckner, qui a 34 ans, est précédé d’une enviable réputation d’organiste. On le compare à Jean-Sébastien Bach pour ses talents d’improvisateur mais, comme César Franck, il a besoin de mûrir longtemps encore avant de donner toute la mesure de son génie de compositeur. Par quelques côtés, Franck et Bruckner peuvent être comparés. De maturité tardive, l’un et l’autre ont vécu dans l’ombre, en marge d’une brillante société. Tous deux ont consacré leur temps et leurs forces à l’enseignement, et transmis leur savoir à des disciples bientôt illustres. Et les oeuvres symphoniques de ces organistes, que rapproche une certaine parenté d’inspiration mystique, trahissent, l’une et l’autre, la pratique quotidienne du roi des instruments de musique.

Au cours de l’un de ses rares voyages à l’étranger, Bruckner se rend à Paris et fait sensation, par ses fugues improvisées aux grandes orgues de Notre-Dame, devant Camille Saint-Saëns, Charles Gounod, Ambroise Thomas, César Franck. «Auparavant, on n’avait jamais rien entendu de semblable», affirme l’organiste Émile Lamberg. Des quelque 124 numéros d’opus que compte l’oeuvre entière de Bruckner, une vingtaine prennent place au sommet de la production musicale de l’ensemble du XIXe siècle, dont la Fugue en ré mineur pour orgue (1861), la Messe no 1 (1864), la Messe no 3 (1867-1868), le Te Deum (1881-1884), et surtout l’immense cycle des neuf symphonies, dont quelques-unes ne seront jamais jouées du vivant de Bruckner. Le reste est inégal, certes, mais toujours personnel et ne recèle aucune faiblesse.

Critiques et réconfort dans la foi

Dans les pays latins, on a longtemps considéré l’oeuvre de Bruckner comme typiquement nationale et réservée aux sensibilités germaniques ou anglo-saxonnes. De très nombreux témoignages montrent aujourd’hui l’erreur de ce rejet d’une esthétique. L’art de Bruckner, comme l’art d’Hector Berlioz ou celui de Johannes Brahms, s’impose par son universalité auprès des auditeurs pour qui la contemplation importe plus que la concision.

Les traits les plus caractéristiques du personnage pittoresque que fut Bruckner aident à mieux saisir la portée de son message. Le physique ingrat et le comportement maladroit, voire comique, de ce «paysan du Danube» égaré dans un monde citadin indifférent et cruel provoqueront dans son entourage la pitié, l’hilarité ou l’hostilité. Tardive, son oeuvre naîtra en dépit des railleries et calomnies dont il sera l’objet jusqu’à sa mort en 1896. Deux adversaires surtout, dans la Vienne musicale, empoisonneront l’existence de Bruckner: Hanslick et Brahms. L’omnipotent critique Eduard Hanslick exercera son influence néfaste par des comptes rendus de ce genre: «Je ne connais rien de si antinaturel, de si boursouflé, de si morbide ni de si pernicieux […] des ténèbres à perte de vue, un ennui de plomb, une surexcitation fébrile.»

Bruckner en vint à demander aux musiciens viennois de ne plus jouer sa musique afin de contraindre Hanslick au silence. Quant à l’attitude de Brahms à l’égard de Bruckner, elle constitue sans doute le plus navrant exemple d’inimitié entre deux grands artistes. Le musicologue allemand, Wilhem Furtwängler, a consacré une passionnante étude, Brahms und Bruckner, à ce dramatique antagonisme. Bruckner trouva un antidote dans l’affection de Richard Wagner, du chef d’orchestre Hans Richter, ainsi que de nombreux disciples, au premier rang desquels figurent Hugo Wolf et Gustav Mahler.

Un autre drame de la vie de Bruckner: jusqu’à la fin, il recherchera le mariage, mais toujours l’amour d’une femme lui sera refusé. Il est permis de déceler dans sa musique la véhémence de passions longtemps contenues. Lorsqu’il voulut dépeindre le caractère de Bruckner, Auguste Göllerich, élève et ami du compositeur, dans son ouvrage Anton Bruckner: Ein Lebens-und-Schaffensbild en 9 volumes, paru en 1938, emprunta à Lamartine les lignes suivantes: «Il est des âmes méditatives que la solitude et la contemplation élèvent invinciblement vers les idées infinies, c’est-à-dire vers la religion. Toutes leurs pensées se convertissent en enthousiasme et en prière, toute leur existence est un hymne à la Divinité et à l’espérance. Elles cherchent en elles-mêmes et dans la création qui les environne des marches pour monter jusqu’à Dieu, des expressions et des images pour se révéler à elles-mêmes.»

Le meilleur biographe de Bruckner, Ernst Decsey, a écrit: «Bruckner est le chanteur des hautes montagnes; en lui se reflètent la beauté des levers du soleil, la majesté lointaine et profonde de la douceur crépusculaire; la nuit étoilée étend sur lui ses voiles…» Wagner a pu nommer Beethoven pour situer Bruckner. Deux autres noms doivent être évoqués: ceux de Schubert et de Bach, à côté desquels celui de l’instituteur d’Ansfelden mérite une place.

Pour la première partie de cet article, qui traite du compositeur César Franck, veuillez consulter l'édition du 23 mai 2007, ou cliquez ici.

L'auteur est historien.

 

 

 

 

 

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