Le Collectif Urgence Darfour mobilise l’aide internationale

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque
24.06.2007

 

 

 

 

Enfin, après des années de négociation et de blocages entre membres du Conseil de sécurité des Nations unies et gouvernement soudanais, une force internationale plus convaincante que les maigres troupes de l’Union Africaine (UA) va pouvoir se positionner au Darfour. La décision a été annoncée le 12 juin par Ban-Ki-Moon, Secrétaire général des Nations unies.

 

  • La population du Darfour pourra-t elle vivre en paix ?(攝影: Scott Nelson / 2004 Getty Images)

 

 

On peut oser y voir le résultat indirect des efforts du ministre des Affaires étrangères français, qui avec sa proposition (mal accueillie) de corridor humanitaire du Tchad vers le Darfour et avec son déplacement à Khartoum a donné une impulsion politique nouvelle aux efforts de résolution de cette crise humanitaire majeure.

Il y a dans le conflit au Darfour, cette guerre civile souvent qualifiée de génocide, quelque chose de plus effrayant encore que le déplacement de millions de personnes et le chiffre annoncé de 250 à 400 000 morts – chiffre qui, froideur des statistiques, nous parle moins que la vue d’un seul corps couvert de mouches, ou que les pleurs d’un seul enfant. Le plus effrayant, le plus révoltant, est peut-être que cent Darfour – en Afrique ou ailleurs – attendent leur génocide, en ont tous les ingrédients : il faut des tribus fâchées les unes avec les autres, des armes automatiques fournies par une puissance en ayant les moyens et y voyant un intérêt. Il faut de la famine liée aux dérèglements climatiques, et souvent une pincée de fanatisme religieux. Il faut, surtout, une position stratégique, avec par exemple d’abondantes ressources naturelles convoitées par les grandes puissances. Les massacres ne sont alors que les dommages collatéraux des combats politiques des « grandes » nations. Pour le pétrole en premier lieu, pour les métaux en second, pour l’uranium en troisième... La plupart des éléments suscités sont présents dans le conflit au Darfour.

Pouvoir arabe élitiste, négro-africains méprisés

Le Soudan est géographiquement encadré par 10 pays : au Nord, l’Egypte. Puis, en rotation anti-horaire, à l’Ouest successivement la Lybie, le Tchad, la République Centrafricaine. Au Sud, République Démocratique du Congo, Ouganda, Kenya. A l’Est, l’Ethiopie - et en remontant vers la mer rouge, l’Erythrée.  Le Darfour, zone saharienne en bordure du Tchad et de la République Centrafricaine, est la région la plus sèche et la plus occidentale du Soudan. Il en fait partie depuis 1916, époque où la domination égyptienne a été remplacée par une domination anglaise. Les 5 à 6 millions de personnes qui en forment la population sont depuis toujours négligées, voire méprisées, par le pouvoir arabo-musulman de la capitale, Khartoum.

 

Ces populations ont, les premières, subi dès les années 70 les conséquences de la désertification du Sahel.  Ajoutez à cela le doublement de la population en 20 ans et tous les ingrédients de la grande famine de 1983 à 1985 ont été réunis. Les richesses soudanaises cependant, sont restées concentrées sur « l’élite » autour de Khartoum.

C’est en février 2003 que le conflit – puisque déjà conflit il y avait, avec alternance de pillages des faibles ressources par les milices arabes et interventions gouvernementales, est devenu visible : deux mouvement rebelles du Darfour réclamant une meilleure répartition des richesses ont attaqué et occupé un chef-lieu du Nord-Darfour, puis l’aéroport de la ville d’El-Fascher.  La réaction du président soudanais, Omar Hassan el-Béchir, à cette rébellion contre le pouvoir  a été d’envoyer l’armée et d’armer les nomades arabes de l’Ouest du Soudan, avec un simple message. «Servez-vous».

 

Les cavaliers du diable

Ces nomades, les Janjawid ou «cavaliers du diable», ont depuis écumé les villages du Darfour, volant, violant et tuant en toute impunité.  Avec comme conséquence une panique générale, l’abandon des cultures et l’exode massif. Les centaines de milliers de morts au Darfour seraient pour la plus grande part dues aux conséquences des pillages et des bombardements par l’aviation soudanaise : les populations paniquées et en fuite ont été décimées par la faim et les maladies plus encore que par les armes.

Souvent présenté comme un génocide, ce que l’ampleur du désastre humanitaire peut justifier, cette guerre civile menée par des pillards n’a pourtant probablement pas une origine principalement ethnique. Marc Lavergne, spécialiste du Soudan au CNRS, explique par exemple, que la proximité ethnique est grande entre les milices janjawid arabes et les populations pastorales du Darfour ; l’expert considère que les alliances ont été multiples dans le passé entre ces tribus, et que les tueries sont plus la conséquence d’un brigandage encouragé par le gouvernement soudanais que d’une volonté d’épuration ethnique.

Au Soudan d’ailleurs, il est parfois bien difficile de faire la différence entre arabes et négro-africains.

La rébellion a d’abord été menée par le Front de Libération du Darfour (FLD), ensuite rebaptisé MLS (Mouvement de Libération du Soudan).  Le pouvoir soudanais a réalisé le coup de maître de réussir à fragmenter cette rébellion par la conclusion d’un accord de paix en mai 2006, dont la valeur réelle est au niveau de celle d’un mauvais faux, mais qui a été accepté par une dissidence de MLS dirigée par un des fondateurs  du mouvement, Minni Minawi. A la suite de cet accord de paix, les rebelles se sont fragmentés en une dizaine de groupes affaiblis et en conflit, dont les accrochages réguliers débordent jusqu’aux camps de réfugiés.

 

L’un deux, El-Gereida, au Sud du Darfour, porte le triste titre de plus grand camp de déplacés au monde. Plus de 120 000 personnes y vivent, dépendant des tonnes d’aide alimentaire fournies par les grandes puissances et de l’aide des centaines d’humanitaires dont les possibilités d’action fondent comme neige au soleil – lourdeurs administratives voulues, expansion des zonesnon-sécurisées.

 

Le régime chinois et le pétrole soudanais en toile de fond.

Les hélicoptères et les bombes, les balles et les armes automatiques qui servent à cette guerre civile et qui ont permis les massacres de masse perpétrés entre 2003 et 2005 sont majoritairement fournies par la Chine, avec dans une moindre mesure des apports venant de Russie.

Le Soudan est effectivement un emplacement d’importance stratégique majeure pour le régime communiste chinois, qui y a déjà investi près de 4 milliards de dollars. La China National Petroleum, entreprise d’état, détient en particulier près de la moitié des actions des deux grands groupes pétroliers soudanais, la Greater Nile Petroleum company et Petrodar.

Pékin achète d’ailleurs près de la moitié du pétrole soudanais, qui est son troisième fournisseur après l’Arabie Saoudite et l’Iran et lui fournit près de 10 % de sa consommation annuelle - L’énorme machine de l’économie chinoise, broyeur espéré de toute opposition internationale au régime, est avide de ce pétrole.

Alors, même après l’imposition d’un embargo sur les armes par les Nations unies, le régime chinois  a continué à fournir hélicoptères, camions, munitions, soutien logistique à Khartoum.

La China National Petroleum Corp a aussi fait construire au sud-Soudan les aéroports militaires d’où décollent les forces gouvernementales quand elles mènent leurs raids sur les rebelles

 ainsi que sur les hôpitaux et les villages.

 

Blocages diplomatiques

Chaque tentative par les Nations Unies de déployer une force de paix au Soudan a été bloquée par la Chine et la Russie, fortes de leur siège au Conseil de sécurité des Nations unies.

En juillet 2004, la Chine a dilué la résolution qui devait obliger le Soudan à faire arrêter et juger les miliciens Janjawid. En avril 2006, la Chine a été forcée d’accepter le vote d’une résolution à la seule condition que le sommet du pouvoir soudanais ne soit pas touché par elle. Elle a depuis systématiquement refusé – dernière action en date le 29 mai – l’élargissement des sanctions contre Khartoum.  «Davantage de pression n’aidera pas à résoudre le problème. Ces sanctions volontaires (...) vont simplement aboutir à compliquer la recherche d’une solution au problème», a déclaré le représentant chinois pour le Darfour, Liu Guijin.

C’est dans ce contexte que le French Doctor et ministre des Affaires etrangères français Bernard Kouchner a entrepris un déplacement en Afrique la semaine dernière, qui l’a mené en particulier au Soudan et au Tchad. Et bien que M. Kouchner se soit heurté à l’inflexibilité d’Omar el-Béchir, autant sur l’idée d’une force internationale au Darfour que sur celle d’une conférence internationale sur le Darfour proposée à Paris, Khartoum a cependant, le lendemain de la visite du ministre, officiellement accepté une «force hybride» Union africaine (UA) - Nations unies. Khartoum avait déjà accepté cette force internationale en novembre 2006, avant de se rétracter six semaines plus tard. Comprise entre 17 et 20 000 hommes, elle devrait  pouvoir remplacer les 7 000 soldats, sous-équipés et démoralisés, de l’Union Africaine.

Parallèlement, M. Kouchner a obtenu du président tchadien Idriss Déby, allié de Paris, qu’il accepte d’examiner le déploiement de troupes dans l’est du pays, contaminé par la crise au Darfour, pour y «sécuriser» l’environnement des camps de réfugiés et de personnes déplacées, et aider à réinstaller ces dernières dans leurs villages. Quelques jours avant, Médecins Sans Frontières avait tiré la sonnette d’alarme sur les conditions sanitaires et sur la malnutrition frappant un déplacé sur cinq dans cette zone du Tchad.

 

Pour aider ou pour s’informer : http://www.urgencedarfour.info/