« De fil en aiguille »

Écrit par Patrice-Hans Perrier, Collaboration spéciale
26.06.2007

La réputation de Montréal comme capitale de l’écodesign se confirme

Hors de doute, le mois de juin aura permis aux créateurs de mode de

s’afficher aux quatre coins de Montréal. En effet, dans la foulée du

défilé J’aime Kyoto, un autre événement d’envergure est venu confirmer

la position de Montréal comme capitale de l’écodesign. Une foule

considérable a envahi, le 18 juin dernier, l’église

Saint-Jean-Baptiste, le temps d’assister à un défilé qui risque fort de

devenir éponyme. Le Grand Défilé Vert nous en a mis plein les yeux avec

les créations d’une vingtaine de designers hors norme.

Cet événement, organisé dans le cadre de la 3e édition du Festival de

la Terre (qui se terminait dimanche dernier, 24 juin), n’avait rien à

envier aux grands défilés de la haute couture. Bien au contraire!

  • Des mannequins paradent(攝影: / 大紀元)

 

Pendant 90 minutes, une cohorte de mannequins a défilé sous le feu des projecteurs, tenant en haleine la foule qui en redemandait d’une fois à l’autre. Véritable kaléidoscope, ce défilé a fait la preuve que «le phénomène de la récupération est là pour rester», pour reprendre les propos du vidéo de présentation. Les francs-tireurs de la garde montante de l’écodesign sont venus bousculer allègrement nos idées préconçues sur le vêtement. Et il y avait matière à réflexion, au-delà de l’effet de surprise.

Bousculer les consciences

L’idée de subvertir la mode et de faire des miracles à partir de trois fois rien ne date pas d’aujourd’hui. Coco Chanel confectionnait, déjà avant la Première Guerre mondiale, des tenues provocantes qu’elle arborait afin d’assister aux mondanités des courses de chevaux. Cette égérie de l’anti-couture n’hésitait pas à bousculer les conventions bourgeoises afin de s affranchir des jalons d'une bienséance étriquée.

Alors que le conflit franco-prussien éclate, en 1914, les matières premières et les denrées de première nécessité sont rationnées. Qu’à cela ne tienne. Chanel empruntera le jersey, un tissu confortable porté d’ordinaire par les messieurs, afin de confectionner une petite robe de sport qui allait faire fureur! Les coupes sont simples et efficaces, les textiles souples, le snobisme cède la place au bien-être… même si les dictats de la mode reprendront le haut du pavé par la suite.

Les mannequins du Grand Défilé Vert affichaient un air désinvolte tout en se déhanchant sur le podium, provoquant nos regards émerveillés. Des princesses de pacotilles, plus vraies que nature, défilaient en exhibant fièrement des vêtements rapiécés somptueux! Des tenues de soirée, faites à partir de cravates ou de doublures de soie, ont carrément arraché des cris de stupéfaction de la bouche de l’assistance. Véritable ode au syncrétisme, ce défilé aux accents néopunk baveux, est venu nous rappeler que tout est permis au XXIe siècle. De jeunes ingénues se dandinaient en crevant la bulle de leur chewing-gum et, l’instant de quelques minutes mémorables, on se serait cru dans une revue des années 1920.

Les années folles de l’an 2000

Le mouvement dadaïste allait crever la bulle spéculative des années folles, alors que la crise de 1929 couvait sans crier gare. Le poète Tristan Tzara et, à sa suite, un groupe d’artistes iconoclastes cassent la baraque des conventions en affichant des airs de provocation qui auront des suites. L’immense artiste Sonia Delaunay fera son entrée dans le décor en illustrant des recueils de poèmes de Tzara. Cette dernière se passionnait pour les contrastes chromatiques réalisés en peinture et releva le pari audacieux de transposer son travail pictural dans le domaine des imprimés. La peinture venait de quitter le chevalet et de faire son entrée du côté de l’industrie des textiles. Delaunay réalise des costumes pour les ballets de Diaghilev et finit par ouvrir une boutique de mode à Madrid. Le reste appartient à l’histoire, l’artiste ayant carrément révolutionné la confection des imprimés.

Et, par un heureux retour de balancier, les créatrices du Grand Défilé Vert ont démontré que la juxtaposition de tissus rapiécés, de morceaux de tulle et même de sous-vêtements peut générer des tableaux aux contrastes chromatiques flamboyants. Toutefois, au-delà de l’excentricité et de la provocation, c’est le confort qui semble prédominer dans le travail de la jeune relève.

L’éternelle jeunesse

La création fait preuve d’une éternelle jeunesse, puisqu’elle se renouvelle au gré des transferts de connaissances et d’expertises qui se matérialisent de génération en génération. Une jeune fille, du nom de Aube Robichaud-Bélanger, a provoqué tout un émoi en prenant part au défilé, accompagnant les jeunes mannequins qui portaient ses créations pour enfants et adolescents. La jeune designer de dix ans a appris son métier sur le tas, encouragée par sa marraine et par sa mère qui n’ont pas hésité à lui acheter une machine à coudre et à lui refiler tout ce qui leur tombait sous la main en termes de fripes et de retailles. Aube fit appel à des camarades de classe pour le défilé du 18 juin dernier et a mis un bon trois mois de travail assidu afin de préparer sa prestation. Une future Chanel?

Une mode éthique

Le travail des artistes de la récupération, avec aux premières loges les modistes, s’inscrit en droite ligne dans un mouvement qui se réclame du développement durable. Isabelle Boisvert qui tient les rênes de la boutique Folle Guenille, estime que «la beauté prend sa forme de bien des façons». Cette ancienne conceptrice de décors de cinéma tente de proposer des créations inusitées à une clientèle locale qui ne dispose pas forcément de moyens considérables. Toutefois, une majorité de clientes est disposée à débourser un peu plus pour des créations uniques qui sont originales et confortables. En effet, «les textiles réutilisés pour une seconde fois possèdent une souplesse surprenante», souligne-t-elle. Cette façon de procéder permet d’éviter qu’une quantité importante de fripes prenne le chemin de l’incinérateur et favorise l’emploi local, tout en sortant des sentiers battus de la mode commerciale.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres pour une majorité de ces créatrices, puisqu’il s’agit d’un travail qui ne permet pas de générer un revenu stable en bout de ligne. Les designers ne disposent pas de locaux ou d’équipement sophistiqué et l’approvisionnement en matière première peut être compliqué. Cela peut paraître surprenant, mais il est difficile de faire le tri des quantités inouïes de vieilles fringues qui s’amoncellent dans les centres de tri de la métropole. Voilà pourquoi des programmes de réinsertion sociale ont permis de pallier à une pénurie d’employés pour ce qui est de trier la précieuse ressource. Chemin faisant les centres de tri de la ville de Montréal, mis à la disposition des créateurs, permettent d’éviter que 60 000 tonnes d’articles prennent le chemin de la décharge publique. Et les écocentres sont débordés à l’heure actuelle, ne sachant trop que faire des quantités de vêtements qui leur sont confiés. Curieux paradoxe en définitive!

Par-delà la récupération des produits de notre consommation débridée, c’est peut-être la récupération des consciences qui a été amorcée au tournant d’un an 2000 plein de rebondissements. Comme tenait à conclure une Isabelle Boisvert optimiste, «notre clientèle démontre une conscience et un sens du partage certains, n’hésitant pas à consommer localement». Serions-nous à l’aube d’une nouvelle révolution industrielle, alors que de petits ateliers d’artisans remplaceront peut-être les sweatshops du tiers-monde?