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Mémoire vive

Écrit par Mélanie Thibault, La Grande Époque - Montréal
27.06.2007
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Critique littéraire

Née en 1950, Béatrice Bantman a été médecin, puis journaliste au Monde

et à Libération. Elle vit dans la région d’Haute-Provence en France. La

Plus Belle est son premier roman. Il décrit le parcours difficile, mais

déterminé, d’une jeune fille née de la deuxième génération des

survivants d’Auschwitz. Louise, fille de la plus belle du camp, tente

de trouver sa place dans un monde ayant ravagé l’existence de ses

parents, incapables de renouer avec la vie d’avant les camps. Ce roman

démontre les atteintes qu’exercent les génocides humains sur les

générations suivantes. Un récit toujours actuel et bouleversant de

lucidité.

Nous en sommes à la troisième génération d’enfants de déportés et il me

semble que très peu de littérature y soit consacrée. Si l’on prend

l’exemple du Canada, la culture juive est souvent attribuée uniquement

à sa religion.

 

  • Béatrice Bantman(攝影: / ©photographies : Arnaud Feu0301vrier pour les eu0301ditions Denoeu0308l)

Béatrice Bantman, journaliste et écrivaine, auteure de La Plus Belle. (Éditions DeNoël)

C’est peut-être en partie lié aux contraintes qui ont resurgies suite aux débats sur l’accommodement raisonnable dans les médias. Une infime partie des articles parus sur le sujet a mis en relief le lien réel existant entre les Juifs de tout horizon, aujourd’hui, et la mémoire occupée par les ravages concentrationnaires.

Le livre de Béatrice Bantman souligne justement le fait que cette mémoire continue à se transmettre par la déchirure qu’elle crée au sein des générations lui succédant. Quand, au retour de ces atrocités, les Juifs ont dû reprendre leur vie, le quotidien ne pouvait s’envisager qu’avec la conséquence de ne plus savoir aimer un autre humain sans le souvenir de la perte de millions d’autres.

Ainsi, le développement de Louise, la petite fille de monsieur et madame Kramer, tous deux survivants des camps, sera bouleversé par l’image que ses parents lui prescrivent. Son père la veut médecin à tout prix parce qu’il sait qu’un médecin dans les camps a plus de chance de survivre. La mère de Louise lui répète qu’elle est revenue des camps parce qu’elle était la plus belle. Une beauté que Louise ne pourra jamais atteindre parce qu’elle ne pourra pas mériter cet honneur si chèrement acquis.

À l’image de cette beauté inatteignable, des coups que lui assène son père, elle s’éloignera. Louise n’arrivera jamais à satisfaire les attentes de ses parents. Victime de leur victimisation, elle combattra cette ambiance de répression, impulsée par un instinct de vie brûlant. Les acquisitions du carnet de vols décrivant tous les articles soudoyés dans les boutiques, les escapades sexuelles pour oublier son premier et seul amour; voilà différentes évasions donnant un répit aux souvenirs.

C’est l’émerveillement d’être encore en vie, d’être à la fois le prolongement d’une histoire et l’idée unique de sa propre identité personnelle qui donnent au roman sa valeur. Le style prête autant à la crédibilité historique qu’à l’intimité. Il y a à la fois la parole d’une enfant et celle d’une femme mûre rendant toute la richesse et la sensibilité nécessaires à leur mise en scène littéraire.

Même à dix mille lieues du monde de ses parents, des images rappellent leur histoire et rattrapent la femme qu’est devenue Louise. Plusieurs objets se suspendent dans l’espace intérieur de Louise et la relient au passé. Elle finira par l’aimer, par comprendre cette mère encore vivante, lorsqu’elle témoignera de sa vie dans les camps. Cette confrontation des univers évoque, de façon originale, comment le temps et les souvenirs se fixent tout en comprenant que l’histoire ne se termine pas avec la fin d’un livre.

Il est extrêmement rare de trouver dans un même roman une finesse dans l’écriture, de l’ironie, une sensibilité et une véritable profondeur du sujet, loin du mélodrame. Le rebond des années perdues, sur les parois de la solitude, est offert au lecteur avec les mots les plus justes pour décrire l’indicible.

C’est un livre indispensable si l’on cherche à comprendre, de l’intérieur, les répercussions qu’ont les génocides sur la perte du sens de l’humain. C’est avec le plus beau des courages que Béatrice Bantman a su passer au-delà du roman strictement autobiographique. Elle semble avoir puisé au fond des événements pour en faire ressortir l’essentiel du discours. C’est celui qui touche et qui fait réfléchir, qui alimente et qui laisse l’imaginaire faire son chemin, qui souffre et qui célèbre des instants de bonheur, qui parle de la mort pour que l’envie de vivre perdure.

 

 

 

 

 

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