Du global vers le local: le Forum social québécois

Écrit par Mathieu Rouy, Collaboration spéciale
14.08.2007
  • Marche d’ouverture du Forum social mondial de Porto Alegre, au Brésil(Stringer: JEFFERSON BERNARDES / 2005 AFP)

Plus besoin d’aller bien loin pour se procurer tel ou tel produit indonésien, ce jus de fruit sud-africain ou un vin chilien. Tout circule plus rapidement, les gens, l’information, les capitaux. Ce phénomène semble inéluctable, lié au progrès de l’humanité. Outre la réduction des distances, la mondialisation est aussi responsable d’une uniformisation culturelle et encourage l’exploitation de la main-d’œuvre bon marché partout dans le monde. Y aurait-il d’autres avenues, d’autres manières de concevoir et de construire ce monde en pleine transformation? C’est sur ces questions que se pencheront les participants du Forum social québécois qui se tiendra à Montréal, du 23 au 26 août prochain, à l’UQAM et au parc Émilie-Gamelin.

Depuis 1971, les dirigeants de la planète et ses élites économiques se réunissent chaque année, à Davos en Suisse, pour y définir, à huit clos, les grandes lignes des agendas économiques globaux, régionaux et industriels. Le Forum économique mondial se définit comme étant une organisation internationale indépendante, dévouée à faire de ce monde un endroit où il fait bon vivre par la création de partenariats. Ce type de rencontre est fortement contesté par un mouvement aujourd’hui bien connu sous le nom d’altermondialiste.

On a donc vu, depuis une dizaine d’années, de nombreuses mobilisations sociales visant à remettre en question la mondialisation telle que nous la connaissons, que ce soit lors du soulèvement populaire au Chiapas mexicain, suite à l’entrée en vigueur de l’ALENA en 1994, lors des manifestations contre l’Organisation mondiale du commerce à Seattle en 1999, ou celles de Gênes contre le G8 en 2001. Au Québec, le Sommet des Peuples en avril 2001 avait été le théâtre de manifestations semblables.

C’est justement à la même époque que le Forum social mondial (FSM), en réponse au Forum économique mondial de Davos, a vu le jour suite à la mobilisation d’organisations et de mouvements militants d’origines diverses. Prenant place à Porto Alegre, au Brésil, ce Forum avait pour but d’offrir un espace au débat démocratique d’idées, à l’approfondissement de la réflexion et à la formulation de propositions visant à construire des alternatives aux politiques néolibérales. Grâce au succès obtenu, le FSM est devenu un événement annuel. Il s’est déplacé du Brésil à l’Inde, au Pakistan, au Mali, au Venezuela, et s’est récemment tenu à Nairobi, au Kenya.

Inspirés par le concept, des jeunes d’ici ont convenu de l’importance d’organiser un forum social au Québec qui rassemblerait les forces militantes de toutes les régions de la province. Après deux ans de travail, derrière le slogan «un autre Québec est en marche», le premier Forum social québécois (FSQ) est sur le point de se concrétiser. Appuyé par l’Institut d’études internationales de Montréal, le FSQ bénéficie d’un large soutien populaire, comme en témoigne la diversité de ses porte-parole : Paul Piché, Karen Young, Gil Courtemanche, Joujou Turenne, Monique Simard, Laure Waridel, Louise Beaudoin, Samian, Armand Vaillancourt, Raôul Duguay et Robert Jasmin. Le Forum désire être un espace public critique, inclusif et participatif, visant à rejoindre toutes les facettes de la société civile, mais tout en restant non partisan. Les partis politiques ne peuvent donc pas y participer officiellement, bien que leurs membres puissent le faire à titre individuel.

Aspect intéressant, le Forum repose en grande partie sur l’autoprogrammation, et ce, dans un souci d’approche horizontale et non hiérarchique. Ainsi, le contenu du Forum est établi par ses participants autour de huit axes thématiques : droits humains et lutte pour l’égalité, environnement, services publics et biens communs, monde du travail et économie solidaire, culture et communication, démocratie, solidarité internationale, et spiritualité. Plus de 300 ateliers sont actuellement au programme, et à cela s’ajoutent quatre grandes conférences et une multitude d’activités culturelles.

Les forums sociaux mondiaux ont fait l’objet de nombreuses critiques, et cette version québécoise ne risque pas d’y faire exception. Bien que ces forums se prétendent non partisans, certains affirment qu’ils sont récupérés par des mouvements politiques. Par exemple, en 2006, lors du FSM de Caracas au Venezuela, l’implication du gouvernement dans la logistique de l’événement et le discours de quatre heures qu’a tenu Hugo Chaves dans le cadre de celui-ci ont donné l’impression que le FSM entérinait ses propos. Une tendance à la polarisation politique des participants du Forum pourrait ainsi remettre en question l’indépendance de ses travaux.

D’autres se demandent si des plans d’action concrets découlent de ces forums. Ne pouvant pas prendre position, puisque étant un espace public et non une organisation, le Forum ne peut formuler de résolutions ou de recommandations. À cela, Raphaël Canet, l’un des organisateurs du FSQ, répond qu’un grand nombre d’initiatives émergent des forums sociaux : «Au Forum social mondial de Nairobi en février dernier, explique-t-il, le mouvement des intouchables en Inde a formé une alliance avec le mouvement des sans-terre du Brésil et celui d’Afrique du Sud, ainsi qu’avec des groupes de commerce équitable de certains pays du Nord, dans le but de créer des coopératives agricoles, et ceci n’est qu’un exemple.»

Personne ne sait où cette aventure mènera, mais pour ces gens qui ont investi corps et âme pour que se tienne le premier forum social au Québec, une chose est sûre : si la prise de conscience des problématiques globales est nécessaire, tout doit commencer par des initiatives locales.