Six ans après, l’Amérique n’est pas plus sûre

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque – Montréal
10.09.2007

  • La statue de la Liberté, avec en arrière-plan Manhattan(Staff: STAN HONDA / 2007 AFP)

Osera-t-elle changer de cap ?

Le triste anniversaire du 11-septembre est maintenant devenu un rituel pour évaluer les progrès réalisés depuis les attaques contre le World Trade Center (WTC). D’année en année, les Américains se posent la même question: est-ce que notre pays est plus sûr? S’ils peuvent déclarer qu’aucun autre acte terroriste d’envergure n’a été perpétré depuis, grâce à une sécurité intérieure renforcée, le portrait à l’extérieur des frontières est des plus sombres et la menace toujours aussi élevée.

Faillite annoncée

La déclaration de «guerre à la terreur» du président américain, George W. Bush, quelques heures après les attentats contre le WTC, était un présage des années de chaos à venir : une solution militaire contre un ennemi non défini. Les résultats concrets de cette stratégie après six ans parlent d’eux-mêmes.

Philip H. Gordon, analyste senior chez le think tank de Washington Brookings Institution et ex-membre du Conseil de sécurité nationale américain, trace un portrait clair et cinglant des échecs ou défaillances des politiques de l’administration Bush dans son livre récemment paru, Winning the Right War: The Path to Security for America and the World.

«Six ans après le début de la “guerre contre la terreur”, les Américains sont moins en sécurité, nos ennemis sont plus forts et le point focal géographique du champ de bataille – le Moyen-Orient – est dangereusement instable», écrit-il.

Pour illustrer son point, il mentionne la guerre en Irak, qui coûte 300 millions de dollars par jour, où les pertes de tous les côtés montent toujours en flèche et où les États-Unis doivent maîtriser une insurrection en plus d’une guerre civile; le régime fondamentaliste en Iran est toujours bien en place, cherchant à se doter d’armes nucléaires, alimentant les conflits irakien et afghan et commanditant des groupes terroristes; la bande de Gaza est sous le contrôle du Hamas, organisation islamiste radicale; le Hezbollah est populaire au Liban, ayant déclaré sa «victoire» sur Israël à l’été 2006; la Syrie est dominée par une dictature antiaméricaine, alliée de l’Iran; et Israël n’a pas amélioré les relations avec aucun de ses voisins, les possibilités de paix étant bien loin.

À travers tout cela, M. Gordon remarque la faillite de l’autorité morale des États-Unis, qui sont de moins en moins respectés partout dans le monde, même par leurs alliés, et de plus en plus viscéralement détestés dans le monde arabo-musulman.

Thomas H. Kean et Lee H. Hamilton, respectivement ex-président et ex-vice-président de la commission américaine sur le 11-septembre, arrivent aux mêmes conclusions dans un article publié, le 9 septembre 2007, dans le Washington Post.

Ils écrivent : «Le progrès à domicile – dans notre capacité de détecter, prévenir et répondre aux attaques terroristes – a été difficile, incomplet et lent, mais il a été réel. À l’extérieur de nos frontières, toutefois, la menace d’un échec pèse [sur nous]. Nous faisons face à une vague de radicalisation et de rage dans le monde musulman, une tendance à laquelle nos propres actions ont contribué. La menace continuelle ne vient pas d’Oussama Ben Ladena, mais des jeunes musulmans sans travail ni espoir, qui en ont contre leurs propres gouvernements et qui voient de plus en plus les États-Unis comme un ennemi de l’Islam.»

Autorité morale

La perte d’autorité morale est aussi abordée par MM. Kean et Hamilton dans leur essai. Pour eux, elle a un nom : Guantanamo. «Aucun mot n’est plus empoisonné pour la réputation des États-Unis que Guantanamo», estiment-ils. Les deux hommes affirment que la prison devrait être fermée immédiatement et qu’une politique légale et viable internationalement devrait être instaurée pour restaurer la crédibilité américaine.

Mais au-delà de Guantanamo, il y a la guerre d’Irak déclenchée sans l’accord de la communauté internationale, le scandale de la prison d’Abu Ghraïb pour lequel aucune justice réelle n’a été accomplie et d’autres dérapages moindres ou inconnus.

Pour les critiques plus sévères, c’est un demi-siècle de politique étrangère questionnable, avec le soutien de régimes totalitaires en Amérique du Sud et ailleurs.

L’Amérique est-elle devenue «faible», comme le prétend Oussama Ben Laden dans sa dernière vidéo?

L’Irak draine

Une chose est certaine, l’Irak est en train de drainer les ressources américaines. Ces derniers jours ont été particulièrement périlleux, alors que tous attendaient le bilan du général Petraeus, en charge des forces américaines en Irak, supposé être déterminant dans la planification de la prochaine marche à suivre.

On se bat à Washington et dans les pages des grands quotidiens pour déterminer si la surge (surtension, augmentation drastique) de troupes à Bagdad a réussi à réduire les pertes de la coalition et les attaques interconfessionnelles. Car il s’agissait d’un tour de force, ou d’une obstination, que d’envoyer des milliers de soldats en plus en Irak alors qu’un mouvement très fort demande une réduction planifiée ou un retrait total.

On commence à critiquer aussi cette stratégie de mettre tous les œufs dans le même panier, tandis que des foyers terroristes comme l’Afghanistan sont aux prises avec un manque d’effectifs. L’importance accordée à l’Irak est aussi en train de rendre les États-Unis aveugles ou impuissants face à d’autres facteurs pouvant leur causer problème.

Par exemple, la politique de détente avec la Chine est peut-être ce qui pourrait faire le plus grand tort aux États-Unis. Le déficit commercial entre les pays est immense (200 milliards en 2005), en faveur de la Chine, et cette dernière possède un surplus de devises américaines d’environ 700 milliards. Non seulement l’économie américaine se voit-elle fragilisée, ou même projetée dans un état de dépendance, mais les investissements américains en Chine financent le réarmement de Pékin, elle qui vend massivement du matériel militaire aux pays ennemis des États-Unis, l’Iran en tête. Ces armes se retrouvent ensuite dans les mains d’insurgés qui tuent les soldats américains ou de l’OTAN.

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Le fantôme Ben Laden

À la veille du 11-septembre, Ben Laden a refait surface pour donner la frousse aux Américains. Est-il vraiment l’homme le plus recherché de la planète? Si c’est le cas, plusieurs questions se posent et certaines d’entre elles se rapportent à l’éternelle question pakistanaise. Selon certaines informations, il serait réfugié dans les zones tribales de l’ouest du Pakistan, à la frontière avec l’Afghanistan. Les États-Unis considèrent toujours le régime du général Musharraf comme un allié.

Il y a division sur la mesure de la sincérité de ce pays, aux prises avec une panoplie de problèmes politiques et sociaux dont la montée de l’intégrisme radical est le plus sérieux.

Certains pourfendent le Pakistan, l’accusant d’immobilisme et critiquent sévèrement l’approche américaine. C’est le cas du journaliste britannique Robert Fisk, expert du Moyen-Orient et interviewé dans la dernière édition de la revue L’Actualité. Il avance que le Pakistan représente une bien plus grande menace que l’Iran, car il a déjà la bombe atomique, pourrait être victime d’un coup d’État islamiste et ces services secrets (l’ISI) devraient se retrouver sur la liste des organisation terroristes en raison de ses liens étroits avec les talibans et son appui d’actions politiques violentes à l’étranger.

Thomas H. Kean et Lee H. Hamilton sont à peu près du même avis. Ils ont écrit dans leur rapport pour la Commission du 11-septembre qu’il était «impératif d’éliminer les sanctuaires de terroristes». «La plus grande menace à la jeune démocratie afghane vient de l’autre côté de la frontière pakistanaise, d’une résurgence des talibans. Le Pakistan devrait mener le bal dans la fermeture des camps et déraciner Al-Qaïda. Mais les États-Unis doivent agir si le Pakistan ne le fait pas», ont-ils écrit dans le Washington Post.

Mais il existe des avis contraires. Anthony C. Zinni, un général des Marines à la retraite, a écrit une lettre d’opinion dans le Washington Post également, intitulée Stand by Our Man in Pakistan. Il insiste qu’on devrait être moins rudes à l’égard du général Musharraf et reconnaître ses efforts déjà accomplis pour combattre le terrorisme. Selon lui, malgré les déficiences du régime, les États-Unis devraient continuer d’entretenir des bonnes relations avec ce pays et même d’en faire plus pour l’aider dans sa difficile tâche.

Et pour en revenir à Ben Laden, est-il autant dangereux qu’avant? Il est évident que l’organisation terroriste qu’il a mise sur pied continue à prospérer, mais certains analystes affirment qu’il n’a plus le même poids. La vraie menace proviendrait davantage de l’Égyptien Ayman Al-Zawahiri, lui qui a aidé à renflouer les coffres de l’organisation et qui mène une campagne de relations publiques beaucoup plus soutenue que «l’homme le plus recherché de la planète», qui doit vivre dans la clandestinité absolue.

Changement de cap

Comment les États-Unis pourront-ils gagner la guerre «juste», comme l’appelle M. Gordon, et ainsi réellement éliminer les menaces terroristes qui pèsent sur eux? Il entrevoit, dans son livre, une série d’actions loin d’être farfelues, mais qui nécessiteraient un leadership politique hors du commun.

Selon lui, l’Amérique a plus de chance de gagner cette guerre en «conservant sa force, sa cohésion et son attrait qu’en détruisant ses ennemis par les armes».

Il n’élimine pas la nécessité de continuer à mener des opérations militaires, mais pour lui aussi la question morale est centrale. Puis vient la question du pétrole : «La guerre juste demandera une réduction dramatique de la dépendance de l’Amérique au pétrole importé, qui en retour ne va pas seulement réduire le financement de ceux qui appuient le terrorisme, mais aussi promouvoir la démocratie au Moyen-Orient en retirant les pétrodollars qui permettent aux régimes de cette région d’opprimer leur population.»

Ajoutez à cela une médiation sincère au Proche-Orient. Essentiellement, M. Gordon avance que le combat doit se faire davantage dans le champ idéologique, prenant exemple sur la défaite du bloc soviétique de l’intérieur. L’idéologie terroriste prend racine dans des contextes particuliers qui ne sont pas du tout indépendants des événements et politiques locaux et internationaux.

Conspirations

Le 11-septembre est également l’occasion de rappeler que les théories de conspirations sur l’événement vont toujours bon train. Un bon nombre de gens croient que ces attentats ont été perpétrés par l’administration Bush elle-même, dans le but de se donner des raisons pour renforcer son contrôle sur la population et mener des guerres à l’étranger.

Quoi qu’il en soit, Ben Laden semble croire que c’était bel et bien une œuvre de son camp, comme mentionné dans sa dernière vidéo : «Bien que l'Amérique détienne la plus grande puissance économique et qu'elle possède l'arsenal militaire le plus grand et le plus sophistiqué […], dix-neuf jeunes ont réussi, avec la volonté de Dieu, à dévier sa boussole.» Quoique certains disent que Bush et Ben Laden sont copains…