Cités : des jumelles pour voir plus loin

Écrit par Michal Neeman, La Grande Époque
15.09.2007

 

  • Signature de l’accord de jumelage entre La Garenne-Colombes et Yoqneam en Israël(攝影: / 大紀元)

A l’orée des villes françaises, le promeneur aguerri distinguera sur le panneau à côté du nom de la ville qui accueille ses pas, ceux de ses sœurs  jumelles généralement accompagnées de leur drapeau national.

Le jumelage est apparu après la deuxième guerre mondiale avec pour objectif de renforcer la paix et la solidarité entre les peuples. Ce qui a commencé entre la France et l’Allemagne de l’après-guerre s’est rapidement étendu à toute l’Europe pour atteindre ensuite les Etats-Unis, le Moyen-Orient et les pays du Tiers-Monde.

Un peu d'histoire

Aujourd’hui, la pratique des jumelages constitue la première manifestation de relations formalisées entre collectivités locales relevant d’Etats différents.

Le jumelage est né de la volonté des communes de développer des liens d’amitié avec les populations des communes allemandes. En 1951, la création de l’association du Monde Bilingue a promu le concept du jumelage dans la perspective que l’éducation bilingue établirait la compréhension entre les peuples et encouragerait la paix. Du point de vue politique, il s’agit du souhait d’établir une nouvelle construction européenne. En effet en 1963, année de la signature du traité d’amitié entre la France et l’Allemagne, plus de 120 jumelages franco-allemands ont été recensés. 

Dans un deuxième temps, pendant la guerre froide le jumelage a permis de manifester la solidarité des communes françaises avec les communes de l’Europe de l’Est. A ce moment-là, l’association du Monde Bilingue est devenue la Fédération Mondiale des villes jumellées (FMVJ) dont le but principal était de fonder des cadres d’échange culturel. Dans la Charte des villes jumelées le jumelage culturel est défini comme «le lien qui unit, dans un esprit d’égalité et de réciprocité, des populations entières de deux ou plusieurs pays différents en vue de favoriser le contact des personnes, l’échange des idées, des techniques, des produits. […] Il est un instrument de culture populaire et de formation civique internationale […] et il ne saurait être détourné de son objet à des fins personnelles ou partisanes ou politiques» (Charte des villes jumelées, Aix-les-Bains, 1957).

La pratique du jumelage qui a commencé en France s’est répandue dans  le monde entier. Dans les années 1970, les jumelages changent de nature avec l’accès à l’indépendance des pays africains et l’émergence du Tiers-Monde sur la scène internationale.  Suite à la nouvelle mappe politique des communes des pays développés  s’engagent dans des actions concrètes de solidarité. Ces «jumelages-coopération» unissent des collectivités locales de pays industrialisés et de pays en voie de développement afin d’établir une nouvelle forme de coopération, privilégiant les rapports humains. Les jumelages-coopération associent donc au concept de paix, celui de développement. Ce type de jumelage se développe avec l’appui de la Fédération Mondiale des Villes Jumelées (aujourd’hui Fédération Mondiale des Cités Unies) et du Comité National de Jumelage français (aujourd’hui Cités Unies France)

Les lois de décentralisation françaises de 1982 jouent indirectement un rôle important dans l’essor de la coopération décentralisée, en créant un climat propice au développement des «actions extérieures» des collectivités locales françaises. Ainsi, pendant les années 80, les initiatives se sont multipliées.

Le Titre IV, De la coopération décentralisée de la loi du 6 février 1992, relative à l’administration territoriale de la République, reconnaît juridiquement le droit aux collectivités locales françaises de «conclure des conventions avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, dans les limites de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la France». Cette loi, en créant le concept de «coopération décentralisée», ne fait qu’entériner et encadrer une réalité qui existe depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

Mais le jumelage est avant tout une affaire d’amitié. Pour mieux comprendre comment se tissent les fils du jumelage, nous sommes allés interroger Philippe Juvin, maire de la Garenne-Colombes et son homologue israélien, Simon Alfassi, maire de la ville de Yoqneam.

Comme beaucoup de villes françaises, la Garenne-Colombes s’est jumelée dans les années 80 avec une ville allemande puis avec d’autres villes en Europe et dans le monde.

 «Il m’a paru important de développer l’idée du jumelage en général pour de tas de raisons, en particulier parce que je pense que la paix entre les pays n’est jamais définitive, y compris entre les pays européens», a dit Phillipe Juvin qui est également vice-président du conseil général des Hauts-de-Seine, en charge des affaires sociales,  professeur de médecine et chef du service des urgences à l’hôpital Beaujon, Clichy (Hauts-de-Seine). Le maire de la Garenne-Colombes a décidé de ne pas se limiter au strict cadre du jumelage européen et après avoir jumelé la Garenne avec Valpaços au Portugal, il a choisi de jumeler la ville avec deux autres pays qu’il considère comme «pays amis», Israël et les Etats-Unis.

Il existe une soixantaine de jumelages entre la France et Israël à ce jour. A la question comment décide-t-on de faire un jumelage avec une ville israélienne dans des temps de controverse, Philippe Juvin a répondu : «En fait les jumelages sont aussi des affaires d’amitiés et d’hommes, au-delà de la politique.  Simon Alfassi est un homme qui est d’abord francophone et francophile. En réalité il est tout ce que j’aime chez un homme politique israélien, c’est-à-dire qu’il aime son pays, il est attaché à des valeurs qui sont communes à la République française et à Israël : la fraternité et le respect de la dignité de l’homme.» 

Pour le maire israélien : «Tout a commencé il y a quelques années quand j’ai rencontré l’adjoint au maire de la Garenne-Colombes, M. Yves Perrey, avec qui je me suis immédiatement entendu. Ensuite j’ai rencontré le maire, c’était très chaleureux et je l’ai invité à venir en Israël».

A savoir si cette amitié implique une prise de position politique de la part de la mairie française, Philippe Juvin nous a répondu : «On peut ne pas être d’accord avec tous ses amis sur tout. En revanche, avec ses amis on est d’accord sur l’essentiel. Moi je suis d’accord sur l’essentiel avec Israël. C’est-à-dire je crois dans la liberté, dans la nécessité de la démocratie, c’est la seule démocratie de la région. Je crois que nous avons un socle de valeurs communes et une histoire commune. La France a participé en son temps à aider l’Etat d’Israël quand il  était en danger. Voilà ! Etre ami c’est avoir un socle  de valeurs communes. Ce n’est pas être d’accord sur tout.»

Pour la cérémonie de la signature, Philippe Juvin est arrivé à Yoqneam avec une délégation comprenant le rabbin, le curé et le pasteur de la Garenne-Colombes : «C’est pour montrer que notre richesse à nous en France elle est aussi sur la diversité religieuse». Ce geste exprime son aspiration d’établir une relation humaniste et universelle en dépassant les frontières politiques ou religieuses qui peuvent parfois séparer les hommes.

«Ca a été formidable et tout le monde se souvient avec grande émotion de ce voyage à Jérusalem».

Deux mois après la visite de la délégation française en Israël, une délégation israélienne est arrivée à la Garenne-Colombes et en novembre 2005 le jumelage a été signé en France. Le maire de Yoqneam se souvient lui aussi d’un «moment émouvant», une cérémonie au cours de laquelle il a déposé un bouquet de fleurs sous l’Arc de Triomphe au nom des habitants de Yoqneam, «c’était l’un des moments les plus touchants».

«Avec Yoqneam ça s’est vite passé, je crois qu’en un an nous avons bouclé la totalité du processus», affirme Philippe Juvin.

Vite, mais non pas sans obstacles. La situation délicate d’Israël dans le Moyen-Orient et dans son rapport avec la France ont fait qu’il y a eu des revendications pour signer en parallèle un jumelage avec une ville palestinienne comme contrepartie. La réaction de Philippe Juvin était sans équivoque. «C’est absurde ! Dans le mariage il n’y a pas de contrepartie», dit-il. «Il se trouve qu’on est en train de travailler avec la ville de Marrakech au Maroc. Donc voilà on travaille aussi avec une ville arabe. Mais c’est différent, on travaille parce que c’est positif, ce n’est pas une contrepartie». 

Néanmoins Philippe Juvin affirme qu’il ne fait pas de jumelage avec n’importe quel pays.

«Le jumelage dépasse le strict cadre politique quotidien. C’est de la politique de fond. C’est-à-dire que je n’imagine pas jumeler la ville avec un pays ou par exemple les élections ne sont pas libres, c’est inimaginable. Ou avec un pays dans lequel les valeurs humaines fondamentales ne seraient pas respectées. Je ne me vois pas jumeler la ville de la Garenne-Colombes avec une ville iranienne ou une ville de  Corée du Nord», affirme le maire français avant de continuer : «Concernant la Chine nous avons eu des demandes d’une ville et j’ai refusé pour ces raisons là. Maintenant il faut voir si la Chine évolue et comment elle évolue».

Yoqneam est une ville «High Tech»  où fleurissent de nombreux projets éducatifs de pointe. Jusque-là, des cadres israéliens et français ont travaillé ensemble sur des questions  d’éducation, de société, de logement ou d’aménagement urbain. Et cela n’est que le début, les échanges culturels et sportifs continuent de se développer. Cependant pour le maire de Yoqneam, la plus grande réussite de ce jumelage c’est d’avoir pu rapprocher  le maire français des problèmes d’Israël, de lui faire comprendre ses problèmes de sécurité, de lui montrer le pays et ses frontières. «A travers les relations personnelles j’ai pu lui expliquer clairement la situation en Israël. Je peux dire qu’il a réellement compris la situation en Israël. La ville de Yoqneam a établi plusieurs jumelages dans le monde mais celui-ci est sans doute le plus réussi car il existe une véritable amitié entre Yokneam  et la Garenne-Colombes».

Pour le maire de la Garenne-Colombes, la mission de l’homme politique est «de créer tous les petits outils qui rendent les hommes plus dépendants les uns des autres». En effet, l’interdépendance, nous dit Philippe Juvin, favorise les relations humaines ainsi que les relations entre pays, entre systèmes politiques forcément dépendants. «Mais ça aussi c’est possible quand il y a un socle de valeurs communes. C’est le cas avec l’Allemagne, c’est le cas avec le Portugal, c’est le cas avec les Etats-Unis et c’est évidemment le cas avec Israël, c’est pour ça que nous nous sommes jumelés avec ces quatre pays. Ce n’est pas par hasard.»

 

En collaboration avec cites-unies-france.org