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TOGO: Quand la répression oblige à fuir

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque – Montréal
27.09.2007
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  • Koffi Antoine Nadjombé(攝影: / 大紀元)

Puni pour sa participation à un rapport d’Amnistie internationale sur la situation des droits de l’homme dans son pays, Koffi Antoine Nadjombé doit quitter sa terre natale pour échapper à la mort. Quelques années plus tard, son aventure toute réelle se retrouve dans les pages d’un livre qui l’aide à se libérer des fantômes du passé.

Nous sommes en 1999. Le dictateur au pouvoir depuis 1967, Gnassingbé Eyadema, règne d’une main de fer sur le Togo, petit pays de l’Afrique de l’Ouest. Un rapport d’Amnistie internationale, qui documente et révèle les crimes du régime au monde entier, est publié. Les autorités sont nerveuses et veulent mettre la main sur les responsables. Koffi Antoine Nadjombé, professeur de philosophie, est au centre de la mire.

Commence alors une descente aux enfers, menée de mains d’hommes vils et corrompus. Koffi est détenu, interrogé, torturé, envoyé dans une prison surpeuplée… pour son travail de défense des droits de l’homme. Libéré par la «bonne grâce» du dictateur, le pouvoir essaie de le récupérer, de l’amadouer, tout en le surveillant de près à toute heure par des agents en civil. La situation devient insupportable, Koffi s’échappe, dans un scénario dépassant la fiction hollywoodienne. Puis vient l’exil, dans un pays qui n’a pas que la terre de froide : le Danemark. Environnement hostile et sentiments d’ostracisme qui le pousseront à «fuir» une deuxième fois pour se réfugier au Canada, à Montréal plus précisément.

Toutes ces péripéties sont racontées dans le livre qu’il vient de publier : Togo : Quand la répression oblige à fuir. Imprimé sans éditeur, il s’agit d’une œuvre qui représente une démonstration d’une force de caractère que même la torture n’a pu briser. C’est un cri du cœur pour mettre fin aux exactions, une action de libération qui ne peut attendre à jamais l’arrivée d’un preneur. Le livre se lit bien, pour certains d’un coup tellement il accroche, et est écrit dans un langage imagé qui va droit au but dans sa simplicité.

La Grande Époque a rencontré M. Nadjombé.

LGÉ : Vous avez dû fuir votre pays en raison d’un rapport d’Amnistie internationale. Maintenant, vous avez écrit un livre qui, vraisemblablement, vous empêchera d’y retourner…

M. Nadjombé : Oui, on peut le dire ainsi. Mais, moi, je ne vois pas les choses de la même manière. La plupart de ceux qui ont quitté leur pays – suite à des répressions, des peines d’emprisonnement – n’ont pas voulu écrire pour des raisons de sécurité personnelle, mais je pense qu’il faut rompre avec la loi de l’omerta, la loi du silence. Dans mon esprit, c’est qu’il faut rendre compte de ce qui se passe, il faut le dire et de façon claire et nette, afin de pouvoir aider des gens qui peuvent ou qui pourront faire des enquêtes là-dessus et qui pourraient aussi donner plus de lumière pour ceux qui sont encore là-dedans.

LGÉ : Est-ce que vous pensez que le rapport a eu un impact positif sur le régime ou cela a-t-il simplement mené à plus de répression?

    

M. Nadjombé : Dans un premier temps, il y a eu plus de répression, mais au fur et à mesure que le temps avance, aujourd’hui des régimes ne peuvent plus se permettre de prendre le peuple en otage, donc ce qui fait que le Togo, comme tout autre pays, s’ouvre aujourd’hui, parce qu’il y a la Charte des droits de l’homme qu’il faut respecter, il y a la Déclaration universelle des droits de l’homme qu’il faut respecter. Le Togo a ratifié ces conventions, donc il est obligé de suivre et de se soumettre aux exigences de ces conventions.

En 2005, le grand dictateur est mort, en occurrence Eyadema Gnassingbé, et il a été remplacé par son fils. Son fils n’a pas pour le moment (on ne sait pas si c’est parce qu’il n’a pas encore pris le goût du pouvoir)… ça semble donner quelque chose ni figue ni raisin, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de répression systématique des opposants qui sont là; certains des opposants sont rentrés dans le gouvernement.

Le grand hic qui a été le grand problème, c’est comment Faure [Gnassingbé] est arrivé au pouvoir. Ce n’était pas une élection, il a été placé au pouvoir par des militaires et à coup de sacrifices humains, près de 800 Togolais ont été tués pour que Faure puisse être sur son trône. On espère qu’à travers lui de bons moyens seront pris pour que les droits humains soient respectés. Jusqu’alors, on peut au moins le dire, il n’y a pas encore une répression massive comme on en a connu dans le temps de son papa.

On espère que les élections législatives qui vont venir prochainement puissent donner de bons résultats, que ce soit des élections pures et limpides. Il a l’habitude de féliciter les autres qui ont organisé des élections pures et démocratiques; cette fois, ce doit être lui qui soit félicité d’avoir organisé des élections sans tache, sans bavure. Et, après ces élections législatives, il sera obligé de se resoumettre à une autre élection présidentielle pour être sûr d’être président ou pas. Pour le moment, on ne le considère pas comme président. On l’appelle Monsieur Faure. Il n’est pas encore le président des Togolais, et le président des Togolais tout le monde le connaît.

LGÉ : C’est qui?

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M. Nadjombé : C’est Bob-Akitani [Emmanuel Bob-Akitani, chef de l’opposition durant les élections de 2005 jugées non transparentes, ndlr].

LGÉ : Donc vous dites que la situation est un peu moins pire. Est-ce que ça veut dire que vous pourriez retourner au Togo?

M. Nadjombé : Dans mon cas, non, je ne pense pas. Pour moi, les conditions ne sont pas encore réunies. Il doit vraiment y avoir un changement politique clair et net, un changement politique qui pourrait apporter des améliorations, qui accepterait des organisations de défense des droits humains sur le terrain au Togo. À ces conditions-là, avec un président démocratiquement élu, un Parlement élu, on pourrait commencer le processus de retour.

LGÉ : Dans votre livre, vous vous échappez d’une manière totalement rocambolesque, extravagante, courageuse, on voit les agents du régime qui, sans répit, vous poursuivent… Est-ce qu’ici, même au Canada, vous pouvez être l’objet d’intimidations?

M. Nadjombé : Oui. Le régime a toujours des gens ici qui surveillent nos activités, nos allées et venues. Mais le Canada ne permet pas qu’il y ait une atteinte directe à notre vie, à notre personne physique, mais il y a toujours des manières de se défaire des opposants du régime. On connaît des gens ici qui sont des étudiants permanents. Ce sont des gens qui sont toujours étudiants et qui n’évoluent pas, qui n’avancent pas, et qui trouvent des moyens de vivre et, ces personnes, nous connaissons le travail qu’elles font au Canada.

LGÉ : Des espions?

M. Nadjombé : Oui. On pourrait les appeler des espions, des hommes du régime. Ils sont là, on les connaît. Il y en a à Montréal, à Québec, à Toronto… Partout où il y a des Togolais, il y a de ces personnes-là.

LGÉ : Votre livre n’est pas tendre envers le Danemark et sa politique sur l’immigration, malgré que ce pays a été le premier à vous accueillir…

M. Nadjombé : J’en profite pour remercier le Danemark de nous avoir sauvé la vie. Nous en sommes très, très, très reconnaissants. En tant que quelqu’un ayant fui l’oppression, quand on rentre dans un pays où l’on trouve ces mêmes formes d’oppressions, d’infantilisation des gens…, les étrangers, les réfugiés qu’ils accueillent deviennent des non-désirables. Nous n’étions pas les bienvenus finalement. Nous comprenions dans la population que nous n’étions pas les bienvenus. Nous étions de trop, nous étions des voleurs d’emplois, nous étions des tricheurs «parce que nous ne voulions pas travailler» mais, du travail, il n’y en avait pas. Les étrangers, surtout les réfugiés d’origine africaine, sont considérés comme des faiseurs d’enfants. Tout ça, jumelé dans une politique intentionnellement organisée, fait que je n’ai pas d’excuse pour cet état des choses au Danemark. C’est comme ça jusqu’à ce jour.

Je ne fais pas de la propagande pour qui que ce soit, mais quand les sociaux-démocrates étaient au pouvoir lorsque nous sommes arrivés, la situation était autre. Les réfugiés, les étrangers, étaient les bienvenus. Tout était fait pour nous accueillir, les centres étaient là. Mais dès les élections de 2001 qui ont fait venir la droite au pouvoir, c’était fini. C’était vraiment le retour à l’enfer : les réfugiés devaient se cacher, nous n’avions plus droit à quoi que ce soit, ce qui fait que je ne peux être tendre envers un pays qui a été qualifié pendant longtemps de champion de la défense des droits de l’homme.

Une grande partie de la population est raciste.

LGÉ : Nous voyons beaucoup de préjugés ressortir avec la commission Bouchard-Taylor… Est-ce que vous sentez que la situation pour les immigrants est meilleure au Canada?

M. Nadjombé : Oui, la situation est mieux au Canada.

LGÉ : Votre livre n’a pas encore d’éditeur. Vous avez décidé de le publier quand même. Pourquoi?

M. Nadjombé : J’ai décidé de le publier et de ne pas attendre un éditeur parce que j’ai essayé de prendre un temps maximum pour écrire – près de trois ans pour écrire ce livre – et ne pas le publier serait une sorte de blessure que je porterais. Alors, pour moi, le publier était nécessaire, c’était comme une thérapie. Il faut faire connaître sa douleur, il faut faire connaître ses souffrances, si on les étouffe, alors c’est nous qui porterons les revers. Donc, pour moi, c’est vraiment une thérapie, c’est vraiment un soulagement, une libération de publier ce livre, quoi qu’il m’ait coûté… Je suis toujours dans l’espoir de trouver un éditeur sous peu.

LGÉ : En quelques mots, qu’est-ce que vous souhaitez au Togo, à l’Afrique, au monde?

M. Nadjombé : Au Togo, je souhaite la venue d’une république démocratique meilleure, que les bandits qui sont au pouvoir actuellement – des filous qui sont en train de voler le pays avec leurs copines – qui n’ont d’autre forme de gouvernement que la «cleptocratie», que toutes ces personnes s’évincent et que l’Afrique renaisse dans ses droits et ses devoirs face à l’humanité, face au monde. Et que l’Afrique puisse jouer le rôle qui lui revient et que l’on ne connaisse pas l’Afrique que par les guerres, les famines, les atrocités inimaginables, c’est mon souhait le plus ardent. Je pense que la nouvelle génération est prête à ce que ce rêve devienne réalité. Ça peut prendre du temps, mais ça va se réaliser.

Le livre Togo : Quand la répression oblige à fuir de Koffi Antoine Nadjombé est disponible à la section canadienne francophone d’Amnistie internationale à Montréal, 6250, boul. Monk. Téléphone : 514 766-9766.

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